Chapitre 43

La musique pulse à travers mes veines, chaque battement de "Crazy in Love" me fait vibrer de l'intérieur. Je suis sur scène, mes talons heurtant la scène en bois à chaque pas. Les projecteurs m'aveuglent à moitié, mais je connais cette scène par cœur.

Blisscrystal...

Je ne fais plus qu'un avec l'espace autour de moi, avec la barre glacée sous mes doigts et la chaleur qui émane de la foule en bas. Je les sens tous. Leurs yeux avides braqués sur moi. Mais ce soir... ce soir, j'en ai plus rien à faire.

Je ne les ressens même plus. C'est à peine si je remarque leur joue rougie par le désir.

Je glisse mes doigts sur la barre, la saisissant avec une grâce mécanique, et je m'élance, mes jambes s'enroulant autour du métal. Mon corps se tord, se cambre, suspendu dans l'air, mes cheveux flottant autour de moi comme des vagues d'ombre.

La musique continue de résonner dans ma tête, la voix de Sofia Karlberg devient une bande-son qui accompagne chaque battement de mon cœur.

"Got me looking so crazy right now..."

Mon souffle se fait plus court. Je pense à lui. À Zephyr. Il est dans chaque mouvement, dans chaque ondulation de mes hanches, dans la manière dont je me balance, comme si tout mon être était au bord de l'explosion.

Comme si ma peau ne supportait plus de contenir ce que je ressens pour lui. Comme si elle avait essayé de le contenir pendant bien trop longtemps.

C'est tellement stupide. Tellement... dangereux. Je le sais. Mais à ce stade, je n'ai plus le contrôle. Et je n'en veux plus.

Je ne pense qu'à lui, à son regard perçant qui me fait frissonner, à la manière dont il sourit avec cette arrogance tranquille. Il est devenu une obsession. Une folie qui me consume. Nikolay peut bien me tuer.

Je le sais. Il n'attend que ça, il n'attend que le moment où Zephyr aura trop d'importance pour moi. Mais ça n'a plus d'importance. Je suis trop loin pour faire demi-tour. C'est trop tard.

Mes pieds touchent à nouveau le sol, mes talons claquent contre la scène, un bruit presque hypnotique. Je m'abaisse, mes mains glissant sensuellement le long de mes cuisses, mes pensées toujours noyées dans ce mélange toxique d'obsession et de désir. Le public est là, tous ces hommes qui me regardent avec envie, mais je ne ressens plus rien pour eux. Plus aucun dégoût, plus aucune honte. Tout ça, c'est du vide.

Zephyr est le seul qui compte.

C'est lui qui connaît chaque courbe de mon corps, chaque tremblement de mes lèvres. C'est lui qui me possède, pas ces pauvres types au regard avide. Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est regarder.

Mais lui... Oh lui...il me connaît. Il sait qui je suis, ce que je suis. Et malgré tout, je reviens toujours à lui comme une toxico à une drogue.

Je termine ma danse avec un dernier mouvement fluide, mes doigts effleurant la barre, mon corps ondulant avant de s'immobiliser. Je suis en sueur, essoufflée, mais intérieurement... je brûle encore.

La foule applaudit, mais leurs cris me paraissent lointains, flous, comme si je n'étais plus vraiment là. Ils m'acclament tous mais quand je ferme les yeux, je ne vois que celui qui n'est pas là pour m'applaudir. 

Zephyr.

Je me force à ouvrir de nouveau les yeux, à parcourir la foule d'un simple coup d'oeil, et c'est là que je la remarque.

Parmi tous les regards, il y en a un qui se détache.

Evelyn...

Assise tranquillement au fond de la pièce, ses doigts traînant lentement sur ses lèvres. Elle lèche doucement le sang qui macule le coin de ses lèvres, et mes entrailles se nouent. Ses yeux rouges brillent dans la pénombre, et elle a ce sourire... ce sourire glacial et carnassier.

Elle a changé. Je le vois à ses pupilles rouges qui brillent dans l'obscurité. Je le sens à l'odeur de rouille dans la pièce et à la froideur qui se dégage de son corps. 

Elle n'a plus rien d'humain. C'est un vampire. Froid...Cruel...Inhumain...

Je descends de la scène, mes talons frappant le sol avec plus de force que nécessaire, le bruit résonnant dans la salle presque vide. Je m'approche d'elle, mon corps encore vibrant d'adrénaline, mais mon esprit soudain alerte. Il y a quelque chose d'affreusement mauvais dans l'air.

Ses lèvres sont couvertes de sang, et je sens l'odeur métallique et cruelle envahir mes narines. Il y a quelque chose qui ne va pas, quelque chose d'atrocement faux. Mes yeux se tournent instinctivement autour de la salle...

Et c'est là que je vois les corps. Immobiles. Sans vie. Des cadavres jonchent le sol, à peine visibles dans l'ombre, leurs visages tordus dans une expression de terreur figée. Leur membres sont arqués dans des positions inhumaines comme si une voiture leur avait roulé dessus. 

-"Pour la première performance que je vois c'est vraiment pas mal", souffle Evelyn avec une pointe de sarcasme, ses yeux pétillants d'une malice dérangeante, et un sourire ornant son visage.

Elle marque une pause en se tournant vers un cadavre.

-"Qu'est ce que tu en as pensé toi ? Je t'ai pas vu applaudir, je risque de me facher".

Mon sang se glace. Entre ses doigts, elle tient le cadavre ensanglanté d'un homme. Son coup suinte de sang et sa bouche est ouverte dans une expression horrifiée. Son crane a été vidé et étalé sur le plan de travail, il ne reste que deux trous à la place de ses yeux.

Rien qu'à voir l'expression sur son visage, il a senti chaque instants ou sa vie est sorti de son corps. Elle s'amuse à le faire parler, enfonçant ses doigts à la place de ses orbites vides, bougeant sa bouche comme si c'était une marionnette. 

Elle ne semble même pas avoir conscience qu'il est vraiment mort. Elle ne semble même pas le considérer comme un être humain mais plutôt comme un objet inanimé, une marionnette avec laquelle elle peut s'amuser. 

Un frisson parcourt mon dos en voyant son sourire gravé sur son visage. Il reste figé comme s'il avait été gravé dans le marbre et qu'elle ne pouvait plus l'enlever. Un sourire forcé, d'une grandeur horrifiante. 

J'ouvre la bouche pour bégayer quelques mots mais je la referme immédiatement en voyant son regard. Il ne brille pas comme ceux des autres vampires en proie à une soif de sang insatiable. Elle ne tremble pas de manques, ni ne frémit rien qu'à la vue du sang. 

Evelyn est calme, sereine, si on oublie la lueur d'extase qui passe dans ses yeux. 

Elle ne tue pas par soif de sang. Elle tue pour le plaisir.

 -"J'ai trouvé ça très amusant", mime t'elle avec une autre voix en faisant bouger la bouche du malheureux, les doigts à l'intérieur de sa boite crânienne. 

Je ne réponds rien, complétement figé, les yeux écarquillés sur la scène que je vois devant moi. Je me couvre le nez pour éviter de sentir l'odeur infecte qui imprègne maintenant mes vêtements. 

Je n'ai pas le coeur sensible, mais je n'ai jamais vu une scène aussi immonde. 

Co...Comment a t'elle pu en arriver là ? Qu'est ce qui l'a fait devenir un vampire ?

Qu'est ce qui la rendu si folle ?

Parce qu'il n'y a que la folie qui peut justifier qu'elle parle à un cadavre.

-"Oh excuse moi, je m'essaye au ventriloquisme, mais j'ai un peu de mal", ricane t'elle en lâchant le mort, dont la carcasse vient s'écraser sur la table. 

J'ai du mal à détacher mon regard du cadavre. Beaucoup de mal à m'empêcher de vomir et à faire taire ses voix qui s'insinuent au milieu de mes questions dans mon esprit. J'ai l'impression de dériver, de me faire pousser sur un radeau qui ne retrouvera jamais la berge.

Je dois me reprendre.

Je dois arriver à me détacher de cette scène.

Je dois pas me laisser atteindre par le fait que c'est Evelyn. 

J'ai vu des tueries de masse. J'ai vu des vampires accomplir les pires atrocités... Mais jamais ils ne faisait parti de ceux qui m'aidaient et s'inquiétaient pour moi. 

Je ne dois pas laisser la panique me submerger. Aucun doute ne doit m'effleurer. Il n'y a aucune chance que je puisse la ramener. Je ne retrouverais jamais Evelyn...
Je me concentre, fermant les yeux pour filtrer les pensées qui m'habitent et je commence à faire le vide. 

10.

Je chasse toute pensée inutile. Pas de peur. Pas de colère. Juste le silence, juste le vide. Un décompte froid, implacable, qui me permet de chasser toutes les émotions parasites. Mes parents me l'on appris comment faire taire ses voix. Elles deviennent un murmure lointain, une simple rumeur. 

5

Quand on combat un vampire. Il faut savoir ne plus accorder de crédit à la pitié ou à la peur. Alors j'ai appris à faire le vide. Ce décompte me permet de me contrôler, leur laisser dix secondes de fuites avant l'extermination. 

0.

Les voix s'éteignent enfin, laissant place à un calme glacial. Lorsque je rouvre les yeux, Blisscrystal est plongé dans le noir.

Evelyn se déplace dans le noir avec cette grâce qui n'appartient qu'aux vampires. Ses pas sont légers, mais je les entends. Je la sens près de moi, ses mouvements rapides mais désordonnés. Elle est jeune encore, trop jeune. Ses instincts sont aiguisés, mais son esprit n'est pas encore forgé le combat.

Contrairement à moi, elle ne connait pas tous les recoins de ce club.

Un sifflement fend l'air. Une lame, sûrement. Je l'esquive de justesse, mon pied pivotant avec la précision d'un mécanisme bien huilé. Evelyn rit, un rire cruel qui résonne dans les ténèbres.

-"Tu te débrouilles bien, Lyssandra. Jamais je n'aurais cru que tu aurais si peu de réaction face à un cadavre mais ça doit être normal en discutant avec tous les jours".

Je souffle et lève les yeux au ciel, parant avec agilité son prochain coup mais même dans le noir, je peux sentir son sourire malsain s'élever.

-"Mais la question qui me taraude l'esprit reste : est ce que tu pourras sauver Zephyr ?".

Son nom frappe mon esprit comme une gifle. Je sens mes entrailles se serrer, mais je maintiens mon calme.

Ne pas réfléchir. Je dois l'effacer de mes pensées car un seul faux pas peut me tuer.

-"Qu'est-ce que tu racontes ?", je lui hurle.

Un nouveau coup. Cette fois, je pare. L'acier frôle mon canif, mais je tiens bon, utilisant la force de son attaque contre elle pour l'éloigner de moi. Mes sens sont en éveil, chaque mouvement calculé.

Evelyn reprend, sa voix flottant dans l'obscurité.

-"On a Zephyr. Cassian l'a attrapé, ton propre frère. Si tu ne fais pas le sortilège, Zephyr ne s'en sortira pas", s'amuse t'elle à ricaner.

Mon souffle se coupe une seconde. Elle essaye de me déstabiliser, d'empêcher mon compte à rebours de s'exercer avec précaution. Zephyr... Mon cœur bat si fort que je sens mes côtes vibrer. Mais je ne dois pas céder à la panique.

Evelyn veut me déstabiliser, me rendre vulnérable. Je serre les dents et laisse le vide m'envahir à nouveau. Rien ne me dit qu'elle l'a vraiment ni même pourquoi et comment Cassian aurait réussi à l'attraper.

-"Cassian n'aurait jamais réussi à avoir Zephyr", je surenchéris.

-"Oh non, ma chère",  murmure-t-elle, sa voix se rapproche, caressant mon oreille comme un serpent venimeux, "Tu ne savais pas que Cassian était un loup garou...? Et maintenant...Il vient de mordre Zephyr. Il est faible. Mourant, même bien que même dans cet état tu puisses le retrouver".

Je sens le froid se répandre dans mon corps, comme si mes propres veines s'emplissaient de glace. Mais je l'évacue. Je ne dois pas la laisser m'atteindre. D'un geste vif, je tourne le canif pour sentir le manche en bois m'effleurer la peau. La lame qu'elle brandit n'est rien contre la menace que représente ce pieu pour elle.

Je frappe à l'aveugle, sachant que mes coups sont précis malgré l'obscurité. Je l'entends à son souffle et ses mouvements qui font vibrer l'air.  Je la connais. Evelyn est rapide dû à sa récente transformation, mais son manque d'expérience la trahit.

Un éclair d'acier pourfend les ténèbres. Elle attaque, mais je contre, déviant son coup d'un geste ferme. Le pieu suit, rapide, implacable. Evelyn le voit trop tard. Elle tente de se concentrer sur la lame, aveugle au danger réel. Je frappe avec le bois. Mon coup la touche mais effleures à peine le dessous de son oeil. 

Elle bondit en arrière avec un cri de rage.

-"Sale garce..." 

Sa voix résonne, tordue par la folie, mais je n'écoute plus. Je sens les voix des morts en moi, et je les appelle. Evelyn recule d'un pas, choquée, son regard oscillant entre fascination et terreur. Puis, elle éclate de rire, son rire complètement dérangé, et je la vois vaciller.

-"Oh, Lyssandra, prépare-toi parce que ça va être bientôt fini pour lui si tu ne vas pas à Grimhill", dit 'elle en secouant la tête, un sourire étrange tordant ses lèvres, "Si tu ne fais rien, il mourra". 

Après avoir prononcée ces mots, elle s'enfuie de sa vitesse vampirique, me laissant genoux sur le sol, le souffle coupé.

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Bonjour, 
Merci beaucoup pour votre lecture. 
Lunarae.

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