Chapitre 38
Je suis plongée dans mes contrats, penchée sur le bureau, comme chaque soir depuis la mort de mon père. Je mâchouille le bout de mon stylo, la mine déconfite et les yeux injectés de sang par manque de sommeil.
Je n'ose plus compter les jours depuis que ce manoir est devenu aussi silencieux qu'un cimetière. Seul, de temps en temps, le vieux bois du manoir grince. Mes pensées dérivent, tout en s'efforçant de rester concentrées sur les chiffres que j'aligne méthodiquement.
Il le faut, pour que je garde la tête hors de l'eau. Le commerce fluctuant des Shaffer est la seule chose à laquelle je peux me raccrocher.
La porte du bureau s'ouvre doucement, à peine un grincement. Je reconnais le pas léger de Molly avant même de lever les yeux. Comme toujours, elle apparaît avec sa discrétion habituelle, un plateau à la main et l'air joviale
La tisane.
Elle me l'apporte tous les soirs à la même heure, ponctuellement, sans jamais faillir à son rôle. Même après avoir était mise au courant de toute la vérité, elle n'a pas bronché. C'est la seule qui est restée à mes côtés.
-"Evelyn, tu devrais arrêter pour ce soir", murmure-t-elle en posant la tasse fumante sur le bureau.
Je ne réponds pas tout de suite, trop absorbée par l'opération que je tente de boucler avant que la fatigue n'engourdisse totalement mes pensées. Je sens son regard peser sur moi, doux mais insistant.
C'est ce regard-là qui me fait lever la tête, le visage de Molly baigné dans la lumière artificielle. Elle a cet air maternel qui, parfois, me fait oublier qu'elle est ma gouvernante et non ma mère. Une ligne floue entre autorité et tendresse.
Depuis la mort de père, elle a accentué cette position, à la fois protectrice et préoccupée, mais toujours à distance, comme si elle savait qu'elle ne pouvait combler le vide qui s'est creusé en moi.
-"Mademoiselle", répète Molly, sa voix tremblante d'inquiétude, "Vous vous épuisez".
Elle marque une pause cherchant ses mots comme si elle avait peur de ma réaction.
-"Votre père n'aurait pas voulu ça."
Un frisson me parcourt à l'évocation de son nom, mais je refoule toute émotion visible. Je ne laisse que mon sourire planer sur mes lèvres.
-"Je sais ce que je fais, Molly", dis-je en tentant de dissimuler l'agacement qui pointe dans ma voix.
-"Vous ne le savez pas toujours, Mademoiselle", répond-elle doucement, "Et ce n'est pas en forçant un travail acharné, jour après jour, que vous réglerez quoi que ce soit".
Elle pose une main réconfortante sur mon avant-bras, mais je la retire presque aussitôt comme si elle m'avait brulée. Je vois rien qu'à ses yeux plissés que je l'ai blessée.
-"Nikolay... ", murmure Molly doucement en se mordant la lèvre, "Pensez vous vraiment qu'il est digne de confiance ?".
Je me fige. Le nom fait écho dans la pièce, comme une cloche lointaine. Je ferme les yeux, expirant lourdement pour éviter à ma colère de surgir. Je repose les contrat lentement, et croise les bras.
-"Pourquoi me pose-tu encore cette question ?".
-"Parce que... il est dangereux, Mademoiselle. Vous le savez. Tout le monde le sait. Il est peut-être le vampire le plus puissant, mais aussi le plus démoniaque. On raconte des horreurs sur lui...", chuchote Molly presque dans un murmure comme si elle craignait ma réaction.
Elle baisse les yeux sur ses mains, ses doigts se tordant nerveusement.
-"J'ai l'impression que vous vous perdez à cause de lui".
Je laisse échapper un rire sans joie.
-"Crois-moi, Molly. Je ne suis pas assez naïve pour ignorer qui il est. Mais au moins, contrairement à Lyssandra, il est honnête. Honnête dans sa cruauté. Je sais à quoi m'attendre avec lui".
Elle relève brusquement la tête, ses yeux écarquillés par l'incompréhension et la peur.
-"Honnête dans sa cruauté ?", s'emporte Molly.
Elle secoue la tête, comme si elle refusait d'accepter ce que je viens de dire.
-"Mademoiselle, ce n'est pas une justification. C'est sadique ! Vous ne devriez pas vous approcher de lui".
Je me lève, ne pouvant plus contenir mon agitation. La chaise grince sur le parquet tandis que je fais les cent pas dans la petite pièce.
-"Sadique, peut-être, mais il est le seul qui peut faire revenir mon père", je réplique d'un ton sec et tranchant comme une lame de rasoir.
Molly fronce les sourcils, la tristesse se mêlant à la colère dans son regard.
-"Et vous pensez vraiment que c'est une bonne idée ? En vous associant à lui, en dépassant les limites comme vous le faites ?", m'accuse t'elle en grimaçant.
Je m'arrête, mon souffle s'accélère. Mes sourcils se froncent et je ferme le poing.
Elle sait. Elle a toujours su.
-"De quelles limites parles-tu ?".
Elle serre les lèvres, hésitante. Puis, comme si un barrage cédéait en elle, elle lâche :
-"Le loup-garou. Le frère de Lyssandra, Mademoiselle et un enfant qui devait avoir à peine dix an", me blame t'elle.
J'aurais dû savoir qu'elle entendrait ma conversation avec Nikolay. Après tout c'était déjà ce qu'elle faisait quand mon père était maitre de cette maison.
Je me raidis, mon cœur battant plus fort. Je savais que ce sujet reviendrait, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi direct.
-"C'était nécessaire, Molly".
Elle se lève brusquement, renversant presque la tasse sur le bureau.
-"Nécessaire ? Vraiment ? Ce n'est pas comme cela que je vous ai connu Mademoiselle ! Vous les avez manipulés. Vous avez déclenché une guerre entre eux et votre meilleure amie et une alliance avec ce monstre. Juste pour quoi ? Pour une promesse en l'air ?", me confronte Molly.
Je serre les poings, tentant de garder mon calme.
-"Tu ne comprends pas".
Je m'approche d'elle, les yeux brûlant d'une détermination que rien ni personne ne peut s'éteindre.
-"J'ai enrôlé des gardes forestiers pour enquêter sur ce camp qui vivent en autarcie. Ils me ramenaient les lieux dans lesquels ils dormaient, sans savoir que c'était en faite des loups garous. Les créatures surnaturelles se croient au-dessus de tout. Ils pensent comme Lyssandra que je devrais mendier pour obtenir juste une faveur de leur part. Il fallait que quelqu'un leur rappelle la réalité", j'explique durement en sentant mes ongles créer des arcs de cercle dans ma peau.
-"Et c'est pour ça que vous avez utilisé l'aconit tue-loup ? Pour leur donner envie de massacrer des vampires ?", essaye de comprendre Molly malgré sa réticence.
Je hoche la tête.
-"C'était une stratégie. Le jour de la rencontre, un soir de pleine lune. Un simple mélange de ginseng pour booster leur énergie et d'aconit tue-loup pour... disons, intensifier leurs pulsions. Je n'en ai pas mis assez pour les tuer, Molly, seulement assez pour les rendre un peu plus... réactifs. Puis j'ai sommé un partisan de Nikolay de bruler l'encens à l'entrée de leur tente, au moment où ils sont les plus vulnérables, pendant la transformation", je continu le regard perdu dans le vague en me remémorant les étapes comme un robot.
Molly essaye de faire un pas vers moi
-"Réactifs ? Mademoiselle, ils sont devenus incontrôlables !", m'accuse t'elle.
Un silence tombe entre nous, lourd, oppressant. Molly me regarde comme si elle ne me reconnaissait plus. Comme si la fille qu'elle avait élevée avait été remplacée par une étrangère. Mais je n'ai pas de regrets. Je sais ce que je fais. Tout est calculé. Rien n'est laissé au hasard.
Je fais quelques pas, contemplant avec une froide fascination la bougie parfumée sur le bureau. Je me tourne vers elle, un sourire à peine perceptible aux lèvres.
-"Le tissu de ma robe n'était pas rouge, tu sais. Il était blanc. C'est moi qui l'ai teinté avec du sang de vampire."
-"Quoi ?", réagit Molly ébahie.
-"J'avais besoin de les attirer, et quoi de mieux que le sang de vampire. En me baladant depuis Grimhill jusqu'au manoir des Blackwood, j'étais sur qu'ils me suivraient. Et ils l'ont fait. C'était prévisible. Leur instinct les pousse à tuer des vampires, surtout en état de frénésie. Et qui devait absolument être là pour voir ça ? Cassian. Qu'il découvrir la vérité, qu'il découvre ce qu'est sa sœur au point où il veut se venger en se ralliant à notre partie. Le reste n'est qu'un malencontreux incident."
Molly me fixe, incrédule.
-"Et tu crois que c'était la bonne chose à faire ?", me reproche t'elle encore en serrant les poings.
-"Oui, parce que maintenant, il est plus enclin à accepter la proposition de Nikolay, s'il ne l'a pas déjà fait, sans savoir que c'est nous qui avons provoqué cette situation", je m'extasie en sentant le plan se refermer sur mes victimes.
-"Nikolay..." souffle-t-elle.
Ses épaules s'affaissent, comme si le poids de tout ce que je viens de lui révéler l'écrasait.
-"Mademoiselle, tout ça... c'est de la folie".
Je secoue la tête, refusant d'entendre ses reproches. Elle s'approche de moi, ses mains tremblantes, cherchant à agripper mes bras comme pour me ramener à la raison.
-"Madmoiselle je vous en prie, revenez à la raison. Vous savez très bien qu'il ne ferait pas ça uniquement pour vous. Il joue avec vous. Et si vous êtes attirée par lui, vous devriez vraiment te poser des questions", tente de me raisonner Molly
-"Attirée par lui ?", je répète en fronçant le nez de dégout, "Tu es ridicule, Molly. Ce n'est pas une question d'attirance mais d'objectif".
Elle soupire, secoue la tête.
-"Peut-être que vous ne vous en rendez pas compte, mais il vous a déjà manipulée. Nikolay est un monstre, Mademoiselle. Vous êtes entrain de vendre votre âme et je préfère prier pour votre rédemption », s'attriste Molly.
Je reste silencieuse, incapable de répondre tout de suite. Peut-être parce que, au fond, une partie de moi sait qu'elle a raison. Mais je ne peux pas me permettre de douter maintenant. Pas après tout ce que j'ai fait.
-"Nikolay me ramènera mon père", répété-je d'une voix plus basse, presque pour me convaincre moi-même.
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Ma chambre est plongée dans une obscurité apaisante, seulement éclairée par la lueur faible de la lune filtrante à travers les rideaux épais. Le silence est presque absolu, à peine rompu par les craquements du bois sous mes pieds alors que je me dirige vers mon lit.
J'enroule un châle autour de mes épaules, plus par habitude que par besoin, et m'assois sur le bord du matelas, épuisé par la conversation que je viens d'avoir avec Molly. Mon esprit est encore en proie à une multitude de pensées contradictoires.
La fatigue, pourtant, me gagne, et pour la première fois depuis des jours, je ressent le besoin impérieux de m'allonger, de fermer les yeux, de tout oublier pendant quelques heures.
Je me glisse sous les couvertures, le corps lourd et tendu. Je laisse échapper un soupir en posant ma tête sur l'oreiller, mes paupières se ferment lentement. Le monde extérieur s'efface, et je commence à sombrer dans un sommeil incertain.
Mais alors que le silence profond de la nuit s'installe pleinement, quelque chose m'a choisi tire de ma torpeur.
Un bruit. À peine perceptible, mais assez pour me réveiller en sursaut.
Je me redresse brusquement dans le lit, mon cœur battant à tout rompre. Le silence a repris ses droits, mais mes sens sont désormais en alerte. J'écoute, tendant l'oreille, implique de capter le moindre son.
Rien.
-" Calme-toi, Evelyn", murmuré-je à moi-même, la voix rauque encore ensommeillée, "Ce n'est rien".
Je me rallonge lentement, mon corps se détend à nouveau sous les draps. Mais à peine ai-je fermé les yeux que le bruit revient. Un léger froissement, comme un souffle ou le mouvement furtif de quelque chose dans l'ombre.
Cette fois, je me fige, le souffle coupé. Je n'imagine pas. Il y a quelque chose, ou quelqu'un, dans la pièce.
Je me redresse une nouvelle fois, ma main glissant sous l'oreiller pour saisir la dague que je garde toujours près de moi, juste au cas où depuis la mort de mon père. Mon cœur bat trop vite, je sens l'adrénaline monter en moi, mon corps tout entier tendu comme un arc.
-"Qui est là ?", demandé-je, ma voix tremble malgré moi.
Mais seul l'obscurité me répond par un silence glacial. Je scrute la pièce, mais mes yeux ne discernent que des formes floues et des ombres immobiles. Peut-être un meuble, peut-être un recoin du mur... ou peut-être quelque chose qui m'observe, caché dans le noir.
Un craquement résonne, beaucoup plus proche cette fois, juste à côté de la porte de ma chambre.
Je serre la dague plus fort, mes doigts tremblant légèrement sous l'effet de la peur qui s'insinue en moi comme du poison.
-"Montre-toi !", dis-je d'un ton plus assuré que je ne le sens réellement.
Pas de réponse. Mais j'entends maintenant des mouvements, légers, à peine perceptibles, comme si l'intrus se déplaçait lentement dans la chambre, déterminant de faire du bruit.
Mon souffle devient plus court. Je tends l'autre main vers la lampe posée sur la table de chevet, mes doigts effleurant la surface froide du métal. Je l'attrape d'un coup sec et tourne le bouton pour l'allumer.
Le grésillement de la lumière artificielle brise soudain l'obscurité, projetant des ombres mouvantes sur les murs, révélant le moindre recoin de la pièce.
Et c'est là que je le vois.
Je pousse un cri, un son étranglé qui meurt presque aussitôt dans ma gorge.
Debout, près du pied de mon lit, ces grands yeux bleus me fixe.
Zephyr Maxwell.
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Bonjour,
Merci beaucoup pour votre lecture.
Lunarae.
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