Chapitre 35
Les cimes des arbres laissent apparaitre leur pâleur de givre. Le froid de février a fait apparaitre un manteau blanc. L'air de la forêt est saturé d'odeurs familières : la mousse humide, la terre retournée par des racines puissantes, et quelque chose de plus vif, plus fugace... du vivant.
Les yeux perçants, je laisse mon regard dériver entre les fourrés à la recherche de ma proie. Le vent siffle faisant hérisser quelques poil et frétiller les branches. Je m'arrête, un souffle court entre mes lèvres, mes sens en alerte, chaque muscle prêt à bondir.
Sous ma forme humaine, mes instincts sont toujours là, affûtés, prêts à être libérés. Je ferme les yeux, laissant la brise du matin me murmurer ce que je cherche.
Je le sens.
Un lapin. Son odeur est fraîche, pure mais parsemé de crainte. Il sait instinctivement qu'un prédateur le surveille. Je n'ai pas mangé depuis des jours, veillant sur le pauvre Ezren, et la meute refuse que je m'alimente de leur gibier.
Bien que j'aie appris à me contrôler, à ne pas céder aux impulsions... parfois, je me laisse aller. Et ce matin, je suis prêt à tuer pour me nourrir. Même si la viande est cru, je veux sentir le gout de la chaire sur mes lèvres.
Je m'accroupis, les mains effleurant la terre froide, et je commence à m'approcher silencieusement. Chaque mouvement est calculé, précis, presque élégant dans ma sauvagerie. Je me fonds avec l'ombre des arbres, mes yeux perçant à travers les feuilles.
Là, entre deux buissons, le pelage blanc du lapin luit sous les faibles rayons du soleil. Il ne se doute de rien, ses petites oreilles tressaillent, mais il ne m'entend pas. Il ne peut pas m'entendre.
Je me rapproche encore. Mon cœur bat plus vite, chaque battement résonnant dans ma poitrine. Mes doigts se croustillants, prêts à saisir mais je ne dois pas me précipiter. Il ne doit pas fuir.
Je me délecte déjà de la chaleur de son sang sur ma langue, de la douceur de sa fourrure entre mes mains.
Encore quelques pas.
Je me prépare à bondir. Mon souffle est suspendu.
Puis j'attaque.
Mais lorsque je m'élance, le silence est brisé par un bruissement soudain. Mes doigts effleurent à peine sa fourrure, pendant qu'il détale à toute jambe dans son terrier. Mes doigts se referment capturant simplement le vide où il était quelques instants plus tôt.
Qui a osé le faire fuir ?
Je fulmine de rage, enfonçant mes ongles dans la paume de ma main.
C'est là que je l'entends.
Un bruit derrière moi, aigre, léger, mais suffisant pour faire dresser tous les poils de ma nue. Je grogne, mon instinct prenant immédiatement le dessus.
Comment ai-je pu ne pas le sentir ?
Mes crocs pointent à travers mes lèvres. Je n'entends plus que mon propre souffle lourd, et cette présence oppressante qui me fixe. Il est là, sortant des fourrés avec la grâce d'une ombre. Silencieux il garde cette même chevelure longue d'un noir de jais et ses yeux d'un rouge profond.
Nikolay. Le vampire de la fête qui discutait avec Lyssandra.
Je recule instinctivement, mes muscles tendus. Je n'ai pas entendu sa venue, et cela me déplaît. Il se tient là, immobile, ses yeux sombres rivés sur moi. Son visage est impassible, presque amusé, mais son aura est glaciale et étrangement nonchalante.
Il connait le besoin des loups, cette force irrépressible qui nous pousse à déchirer la chair des vampires de nos crocs. Cette soif de sang qui nous force à les dévorer et planter nos crocs dans leurs chairs.
Mais lui, il n'est pas du tout impressionné par la menace que je représente.
Je grogne, mes lèvres se retroussant sur mes crocs, luttant contre l'envie de mordre, de déchirer. Mais je sens que je ne peux pas. Pas contre lui.
Mon cœur se met à palpiter, mes mains devinrent moites. C'est un instinct purement primal, lorsqu'on ressent la domination de l'autre, nous devenons la proie.
-"Cassian", murmure-t-il, sa voix aussi froide que la nuit. "Vous feriez bien de vous calmer."
Je grogne plus fort, ma respiration se fait rauque. Je ne veux pas l'attaquer. Pas maintenant. Mes pupilles oscillent entre le bleu et le jaune, mon loup hurlant au simple fait de sentir son sang et d'entendre son cœur battre.
Je fixe Nikolay, mon souffle court, la gorge serrée. Mes mots, durs et secs, s'échappent avant que je ne puisse me retenir :
-"Pourquoi es tu ici ?".
Ma voix tremble légèrement, mais je m'efforce de la rendre ferme, malgré le nœud qui m'étrangle la gorge. Il lève les yeux au ciel avec une nonchalance qui me donne envie de hurler, un sourire poli, presque amusé, tirant ses lèvres pâles.
D'un geste élégant, il ajuste le veston de son costume avec une perfection déconcertante, comme s'il ne se trouve pas en pleine forêt, face à un loup-garou sur le point de craquer. Chaque mouvement, à le don de me faire frémir et je dois me retenir pour ne pas lui arracher la gorge.
-"Car je suis pleinement conscient que votre Alpha n'aura jamais le courage d'accepter mon offre", déclare t'il d'une voix douce, mais chaque mot étant une morsure venimeuse, "Ce n'est qu'un chien mouillé, qui fuirait si l'on osait seulement le bousculer".
Il a sorti cette dernière phrase avec tant de dédain que d'instinct mon nez se fronce. Un grognement animal sort de ma gorge, mes griffes s'allongeant d'elle même.
-"J'oubliais, je ne devrais pas insulter un Alpha, ça a le don de vraiment vous mettre en rogne", fait t'il comme si c'était un simple fait, sans prendre le temps de ricaner, avec une froideur glaciale.
Mon estomac se tord à l'entente de ses mots, l'envie de lui en coller une me brûle la poitrine, mais je sais que Nikolay ne s'arrêtera pas là. Il poursuit, implacable, chaque mot une lame bien placée, apporte pour découper mes convictions.
-"Je ne peux pas contrecarrer les ordres de mon Alpha", répliqué-je, tentant de maintenir un semblant de contrôle, même si mes paroles sonnent creuses face à son assurance.
Ses yeux froids se teintent d'un éclat amusé, qui ne présage rien de bon. Une telle expression chez lui semble si rare qu'il sait. Il sait que je peux résister. Et cette certitude dans son regard me glace le sang.
-"Tu es un menteur, Cassien. Et, crois moi, je déteste ça", s'exprime t'il, sa voix glissante, menaçante mais douce, comme un serpent enroulé autour de ma gorge, "Vois-tu, je sais de sources sûres que tu peux résister aux attaques mentales de Luke. Un talent rare, et encore plus impressionnant venant de toi".
Il fait une pause, me jauge, savoure ma surprise mais je ne veux pas lui laisser ce contentement. Je reste impassible, sur mes gardes malgré ma surprise. Il est hors de question que je lui laisse cette chance de me déstabiliser.
-"Tu savais que Zephyr traînait avec Lyssandra. Tu aurais pu rapporter cette information à ton Alpha, accomplir ce qu'il désire le plus ardemment... et pourtant, tu ne l'as pas fait. Tu as résisté. C'est un exploit, Cassian. Cela prouve que tu es bien plus fort que tu ne le crois, et plus capable de te soustraire à certains ordres que tu ne l'admettrais. Alors... je suis convaincu que tu pourrais également passer outre nos petits accords", conclut t'il en jetant un coup d'œil à sa montre.
Je sens mon cœur se contracter, luttant pour ne pas montrer la panique qui commence à grimper en moi. Nikolay est en train de m'encercler, et chaque mot qu'il prononce, chaque sourire narquois qu'il affiche, me pousse un peu plus vers un abîme dont je ne vois pas le fond.
La culpabilité m'envahit, lourd fardeau sur mes épaules. C'est une raison. J'aurais dû en parler à Lyssandra, j'aurais dû tout dire dès que j'ai appris qu'elle savait... mais je ne l'ai pas fait. À cause de Zephyr, parce que j'avais peur qu'elle finisse par me rejeter pour lui.
J'étais terrifié à la simple idée qu'elle me tourne le dos et maintenant, elle est devenue cette bête à cause de lui. En tentant de ne pas la perdre je n'ai fais qu'aggraver la situation.
Je serre les poings, refoulant cette douleur, ce tourment. Zephyr... Il est mauvais pour elle. Pour nous tous. J'en suis certain. Peut-être que Nikolay me rend service, après tout. Peut-être qu'il voit quelque chose que je n'ai pas encore pleinement accepté.
-"Pourquoi ferais je cela ?", demandé je, la question s'échappant de mes lèvres malgré moi.
Nikolay sourit, satisfait. Il sent qu'il me tient, que je suis tout à son écoute.
-"Parce que désormais, tu désires Zephyr plus que tout, non pas pour protéger le petit secret de ta sœur, mais pour profiter de son sang et le donner à ce jeune garçon. Ne le tiens-tu pas pour responsable de ce qui s'est passé dans ce bureau ?", rétorque t'il, marquant une pause pour me laisser réfléchir.
Il incline la tête, ses yeux rivés aux miens.
-"Je suis prêt à te l'offrir sur un plateau d'argent. Rien de plus simple. Et pour te montrer que je suis un homme de parole, je suis même disposé à te donner un peu de mon sang, histoire de t'éviter la transformation ce mois-ci. Une petite faveur entre messieurs."
Mon esprit vacille. Il me propose... une libération. Non seulement de Zephyr, mais aussi de la malédiction qui me ronge. Une promesse douce, tentatrice, presque irrésistible. Pourtant, une voix au fond de moi, la dernière parcelle de raison, me hurle de ne pas accepter, que la réalité ne peut pas être aussi belle qu'il le prétend.
-"Tu es bien trop généreux. Jamais un vampire ne le serait autant", grommelé-je, ma méfiance évidente, bien que ma volonté commence à faiblir.
Nikolay esquisse un sourire plus large, presque paternel, mais teinté d'un cynisme glacial.
-"Je suis avant tout un homme de principes, mon cher. Un gentleman", déclare t'il.
Il ajuste encore une fois sa veste avec une lenteur calculée, chaque geste mesuré.
-"Mais, tu as raison, la générosité sans retour est un mythe. Il y a, bien entendu, une petite contrepartie à tout cela", amène Nikolay tout en douceur.
Je me redresse légèrement, sur la défensive.
-"Je vous écoute".
Nikolay s'avance doucement, sa silhouette imposante malgré son air détendu.
-"Vois-tu, ta sœur... Lyssandra. Elle est vraiment... spéciale", articule t'il en détachant ses mots.
Je me fige. Mon cœur manque un battement. Une vague de panique et de colère me submerge, me laissant pâle et tremblant. Mes mains deviennent moites rien qu'à l'évocation de son prénom.
Lyssandra ? Non. Qu'est ce qu'un homme comme lui peut lui vouloir ?
Pense t'il réellement que je sois prêt même pour Ezren à sacrifier ma soeur ?
Nikolay continue, savourant chaque seconde de ma réaction.
-"Ah, je vois que tu n'en savais rien. Fascinant, n'est-ce pas ? Elle possède un don rare, celui de ramener les morts à la vie", susurre t'il d'une voix grave comme si c'était la chose la plus aisée du monde.
Je sens la terre se dérober sous mes pieds. Mon corps est martelé de coup invisible à chaque mot qui sort de sa bouche.
C'est impossible. Même dans un monde avec autant de créature surnaturelle, nul ne peut défier la mort. Elle est fataliste.
Lyssandra a été tellement traumatisé par la mort de nos parents, qu'elle a peur des étendues d'eaux et qu'elle peinait il y a quelques mois à simplement prendre une douche !
Si elle en était capable... Si avait pu avoir ce don, elle aurait ramené nos parents.
-"Vous mentez !", craché-je, incapable de contenir ma rage, "Sinon, elle l'aurait fait pour nos parents".
Il sourit, comme s'il avait anticipé cette réponse. Nikolay s'approche le regard vainqueur face à ma crédulité.
-"C'est là que tout se complique, mon cher. Ta sœur, dans toute sa bonté, pense que les morts devraient rester dans leur tombe. Chaque jour, elle commet des actes que d'autres jugeaient immoraux, mais cette barrière-là, elle refuse de la franchiser. Trop... horrible, selon elle, car elle a des principes", se renfrogne t'il en levant les yeux au ciel.
Ses mots me frappent comme une gifle, me laissant sans voix. Je ne peux pas croire ce que j'entends et pourtant... Il vient de décrire Lyssandra. Une femme têtue qui cache ses valeurs derrière un masque.
Nikolay se penche légèrement en avant, ses yeux perçant les miens.
-"Ce que je te propose, c'est simple. Zephyr... tu pourras en faire ce que tu veux. Le torturer, boire son sang, l'affamer, l'utiliser même pour ramener Lyssandra si tu le désires. Mais garde-le vivant, mon ami. Car s'il meurt, ta sœur ne te pardonnera jamais, et moi, je perdrais un levier crucial pour obtenir ce que je veux", finit t'il par conclure.
Une part de moi veut hurler, refuser catégoriquement. Mais une autre, plus sombre, plus profonde, voit une logique implacable dans ce qu'il propose. Zephyr... est une nuisance. Un danger pour nous tous.
Peut-être qu'en me débarrassant de lui, je la protégeai, elle, ainsi qu'Ezren. Peut-être que je pourrais être... le héros de cette histoire.
-"Qui te dis que je souhaite à ce point que Zephyr meure ?", je lui demande.
Nikolay ricane doucement, sa voix résonne d'un murmure glacial.
-"C'est là que cela devient amusant, petit louveteau. J'ai récemment fait une nouvelle amie, une alliée plutôt ingénieuse. Je crois que tu ne la portes pas dans ton cœur", sourit t'il de toutes ses dents.
Je fronce les sourcils, confus.
De qui parle-t-il ?
Personne ne peut être capable d'espionner un loup sans qu'on ne l'entende ou qu'on le sente. Personne même s'y risquerait, encore moins un vampire.
Nikolay continue, imperturbable.
-"Et, surtout, elle est immensément riche".
Je sens un frisson glacer ma colonne vertébrale.
Il n'y a qu'une seule personne assez folle pour se ranger à ses côtés, une seule qui correspond à cette description.
Evelyn Shaffer .
Le sourire de Nikolay s'étire, cruel et satisfait.
-"Je vois que tu comprends enfin. Alors... accepte-tu ce contrat ?", me propose t'il comme une pomme empoisonnée.
Mon esprit est une tempête de doutes, de trahison et de culpabilité. Mais je ne peux plus faire marche arrière.
-"Je l'accepte... si vous me promettez qu'aucun mal ne sera fait à Lyssandra".
Nikolay s'incline légèrement, un geste théâtral mais d'une nonchalance extrême.
-"Je suis un gentleman, voyez. Jamais je ne lèverais la main sur une dame".
Je le regarde, mon cœur battant à tout rompre. Cet homme est un monstre, manipulateur et égocentrique. Mais il tient ma vie, celle de ma sœur, et celle de Zephyr entre ses mains.
-"Tu es un monstre".
-"Un monstre, peut-être. Mais un monstre prêt à tout sacrifier pour récupérer ce qui lui appartient. Crois-moi, Cassian, quand tu auras vécu aussi longtemps que moi, tu comprendras"
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Bonjour,
Merci beaucoup pour la lecture de ce chapitre.
Lunarae.
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