Chapitre 34

Assis dans la hutte médicale du camp, je lutte pour garder mes yeux ouverts. Cela fait deux jours que je n'ai pas dormi, ni mangé. Mes cernes s'agrandissent comme du plomb, et chaque grondement de mon estomac me rappelle que je suis au bord de l'effondrement.

Pourtant, je ne bouge pas. Je reste figé, les yeux rivés sur le lit d'hôpital où repose Ezren, son corps frêle immobile sous les draps blancs, une perfusion accrochée à son bras. Il est si pâle, presque translucide. Seule la machine qui surveille son pouls me confirme qu'il est encore en vie.

Le médecin de la meute a été clair : Ezren a survécu. Mais jamais plus il ne pourra marcher.

La réalité s'abat sur moi, implacable. J'ai échoué à le protéger. Et même si, cette nuit-là, je n'avais pas le contrôle de moi-même, cela ne change rien à la douleur qui me ronge de l'intérieur.

Tout s'était passé trop vite. La rage, le chaos, puis Lyssandra... ma propre sœur. J'ai vu ses mains griffues se refermer sur les jambes d'Ezren, les arrachant sans hésitation. Le cri qu'il avait poussé ce soir-là résonne encore dans mes oreilles.

Mon poing se serre, mes ongles s'enfoncent dans l'accoudoir de ma chaise. La colère et la tristesse se mêlent dans un torrent d'émotions incontrôlables. Je considère Ezren, si jeune, si innocent.

Ses rêves de devenir un Gamma, un combattant respecté dans la meute, sont brisés à jamais. Il ne pourra plus jamais courir dans les bois avec les autres loups, ni sentir l'eau fraîche de la rivière sur sa peau en nageant comme il voulait tant le faire.

Et pourtant, malgré tout cela, elle reste ma sœur.

-"Tu ne devrais pas te culpabiliser de la sorte, Cassian. Les accidents arrivent."

La grave voix de Luke me fait sursauter. Je n'ai même pas entendu ses pas malgré mon ouïe surdéveloppé, non pas parce qu'il a été discret, mais simplement que mon attention est ailleurs.

Il est le seul à venir voir régulièrement Ezren. Sa mère, elle, évite la hutte autant que possible, et quand elle me croise, son regard est empli de haine. Comme le reste de la meute, elle me tient responsable.

Je baisse les yeux, le poids de sa douleur m'écrase. J'ai beau savoir que je n'étais pas maître de moi cette nuit-là, ça ne change rien. J'aurais dû prévoir, j'aurais dû faire quelque chose.

-"J'aurais dû savoir ce qu'il se tramait, Luke. Je connais Lyssandra, je savais qu'elle me cachait des choses, mais je n'ai rien fait. J'aurais dû l'éloigner... j'aurais dû... ".

Ma voix se brise, et je passe une main tremblante sur mon front.

Luke soupire et secoue la tête, comme s'il pouvait balayer mes mots d'un simple geste.

-"Tu es un jeune loup, Cassian. Les instincts, la rage, tout ça, c'est plus fort que nous. Les vampires s'étaient rassemblés, tu n'avais pas d'autre choix que de répondre à l'appel. Tu ne pouvais pas prévoir les conséquences."

Il passe une main dans ses longs cheveux bruns, visiblement frustré.

Je ferme les yeux un instant, me laissant bercer par le rythme apaisant du cœur d'Ezren, les battements réguliers de la machine qui surveille son état.

-"Et c'est ce que je dirais à sa mère ? Que c'est à cause de mes instincts que son fils ne pourra plus jamais marcher, que ses rêves sont anéantis ?", je ricane amèrement, incapable de cacher mon sarcasme.

Luke ne répond pas tout de suite. Il s'approche d'Ezren, pose une main délicate sur son front, presque paternel dans son geste. Mais lorsqu'il se tourne vers moi, son expression est plus dure, plus fermée.

-"Ce n'est pas ta faute, Cassian." Sa voix est tranchante, déterminée. "Et je ne te tiendrai pas responsable. Mais sache une chose : je jure que celui qui a fait ça paiera et ceux même si c'est ta sœur", dit t'il en se détournant, mais pas avant que je voie la lueur glaciale dans ses yeux.

Je déglutis difficilement. La mention de Lyssandra fait naître une peur sourde en moi.  Je ne veux pas qu'il lui arrive malheur. Surtout que jamais elle n'aurait agit de la sorte d'elle même. C'est ce monstre qui traine à ses côtés qui a finit par la pervertir.

Je sais ce que Luke est en tête. Il veut du sang, il veut la vengeance. Et même si cela signifie affronter ma propre sœur, il est prêt à le faire.

Une partie de moi le comprend. En voyant Ezren ainsi mutilé, je ne peux pas prétendre que je ne ressens pas cette même soif de justice. Il est si jeune, si vulnérable. Son avenir dans la meute est compromis. 

Il ne sera plus qu'un fardeau, une proie facile pour les moqueries et les humiliations. Pourtant, Luke est généreux de vouloir encore de lui dans la meute. Beaucoup préféreraient le voir partir, effacé de leur mémoire comme une cicatrice qu'on ne veut plus regarder.

Mais Lyssandra... Elle ne lui aurait jamais fait de mal, pas de son plein gré. Je le sais au fond de moi. Elle est devenue une autre sous l'influence de Zephyr. Il l'a corrompue, la manipulant pour ses propres fins.

Je me rends compte aujourd'hui que j'ai failli à mon rôle de grand frère. J'ai voulu croire que la suivre et la protéger était la meilleure solution, mais je comprends maintenant que le vrai devoir d'un frère est parfois de s'opposer, de la sauver d'elle-même, même si cela signifie se dresser contre elle.

Je suis sur que c'est lui, qui l'a transformé en une machine à tuer, un monstre sans âme. Il doit payer pour cela, et je jure sur tout ce que j'ai de plus cher que je le traquerai jusqu'au bout du monde s'il le faut. Je ne peux pas rendre à Ezren ses jambes, mais je peux lui offrir une forme de justice.

Je pose une main tremblante sur la petite silhouette d'Ezren. Il a déjà assez souffert. Jamais je ne le laisserai devenir une proie facile pour la cruauté des autres.

-"Je te promets, Ezren. Je te promets de ramener sa peau et son sang."

Luke hoche la tête, ses yeux sombres reflétant la même détermination que la mienne.

-"Zephyr rachètera le crime de ta sœur. Repose toi, Cassian. Demain, nous aurons du travail", dit t'il quittant la pièce, me laissant seul avec mes pensées.

**********

Je suis réveillé par le froissement des draps. Instantanément, mes muscles se tendent, et je me redresse, les yeux écarquillés. Ezren bouge, se frotte les yeux. Il semble encore à moitié dans ses rêves, mais il sourit faiblement en me voyant.

-"Cassian", murmure-t-il, sa voix faible mais teintée de bonheur, "J'ai fait un rêve incroyable. On était à la mer, tu m'apprenais à nager.", rit t'il doucement, le visage illuminé d'un grand sourire.

Mon cœur se serre. J'ai du mal à déglutir, les mots semblant bloqués au fond de ma gorge. Lorsque je le vois ainsi, pétillant de vie, la bonne humeur sur le visage, je refuse d'être celui qui brisera ses rêves. 

Je savais que se serait dur mais je ne lui rendrais pas servir si je lui mentais. Je refuse de le berner d'espoir qui n'aboutiront jamais. Je refuse qu'il reste dans l'attente que ses jambes repoussent. 

Cela ne l'aiderait pas. Cela permettra juste de repousser mes propres fardeaux.  

Je prends une grande inspiration, mon ventre se serre et mes mots se perdent dans un flot de salives.

-"Ezren, à propos de ça...", je m'explique, ma voix tremblante, incapable de trouver la bonne manière d'aborder la vérité.

Mais avant que je ne puisse continuer, il repousse la couverture et tente de se lever. Le temps semble ralentir alors que ses jambes fléchissent sous lui. Je n'arrive pas à l'attraper à temps. Il s'effondre lourdement au sol.

Le cri qu'il pousse déchire l'air comme un coup de poignard. Ses yeux sont écarquillés, pleins d'effroi. Il regarde ses jambes, enveloppées dans des bandages immaculés, comme si son cerveau refusait de comprendre ce qu'il voit.

Je tombe à genoux à ses côtés, mes bras l'entourant tandis que son petit corps tremble contre le mien.

-"Cassian... qu'est-ce qui m'arrive ? Ça ne peut pas être vrai... Les loups guérissent de tout, pas vrai ?", panique t'il.

Son regard cherche désespérément une lueur d'espoir dans mes yeux. Je me mords la lèvre, retenant mes larmes. Je l'aide à se relever dans un silence lourd de sous entendu.

-"Pas cette fois, Ezren", murmuré-je.

Un silence pesant s'abat sur la pièce. Ezren ne pleure plus. Il fixe un point invisible devant lui, ses grands yeux perdus dans le vide. L'enfant joyeux que je connaissais a disparu. Ses épaules s'affaissent, et il retourne sur le lit, comme vidé de toute vie.

-" Je ne serai jamais un Gamma... Je suis fini."

 Sa voix n'est plus qu'un murmure, à peine audible. Son visage n'est plus que figé dans le marbre comme celui d'une poupée de porcelaine. Ces prochains gestes sont robotiques, arquant à peine humainement son bras pour cacher du drap le bas de son corps.

-"Plus personne ne voudra de moi. Je ne suis plus qu'un bon à rien, un loup mutilé n'est qu'un fardeau", entonne t'il comme s'il venait de réciter une poésie.

Je pose une main réconfortante sur son épaule.

-"Si on te forçait à quitter la meute, je te suivrais. Peu importe où, je resterai avec toi", je le rassure.

Il secoue doucement la tête, un sourire triste sur ses lèvres.

-"Ça ne servirait à rien, Cassian. Tu ne peux pas me rendre mes jambes..."

Ses mots me frappent comme un gifle, mais je refuse de céder à la douleur. Je dois être fort pour lui. Je m'assois à ses côtés sur le lit, sentant sa détresse s'insinuer dans chaque fibre de mon être.

Il me regarde, les yeux embués de larmes qu'il retient. Je passe un bras autour de ses frêles épaules, et il se laisse aller contre moi, comme un petit frère cherchant un refuge dans l'étreinte de son aîné.

-"Tu restes un héros pour moi, tu sais », murmure-t-il, sa voix cassée par l'émotion. " C'est toi qui m'as toujours protégé, toi qui m'as appris à ne jamais abandonner. Rien de tout ça n'est de ta faute."

Ces mots me transpercent. Ce petit d'une dizaine d'année à ressenti ma propre culpabilité, sans même que je ne formule le moindre mot. Au lieu de se centrer sur son propre mal, il préfère apaiser le mien.

Je ferme les yeux, retenant mes propres larmes. Je serre un peu plus mon étreinte, murmurant dans un souffle :

-"Je suis désolé, Ezren..."

Il secoue la tête contre ma poitrine, refusant mes excuses.

-" Non, ne sois pas désolé. Ce n'est pas toi qui m'as fait ça. Ce n'est pas toi qui es responsable." Sa petite voix est ferme, déterminée. "Tu es toujours mon grand frère. Tu l'as toujours été. Et rien ne changera ça."

Un silence plane entre nous, mais il est empli d'un lien indéfectible. Un lien plus fort que le sang, plus fort que la douleur. Malgré tout ce qui s'est passé, Ezren me fait toujours confiance. Et c'est précisément cette confiance qui me donne la force de continuer, de me relever.

Je dépose un baiser sur le sommet de sa tête, le cœur lourd mais résolu.

-" Je te promets une chose", dis-je doucement en m'éloignant un peu pour plonger mon regard dans le sien. "Je trouverai Zéphyr. Peu importe où il se cache, peu importe le temps que cela prendra. Je ne reviendrai pas tant que je n'aurai pas obtenu justice pour ce qu'il t'a fait car c'est lui la source du mal. Je ramènerais ce sang pour que plus jamais tu ne ressentes l'horreur de la transformation. Je te rendrais ta liberté, celle de rêver, et de ne plus jamais te sentir brisé. Je te le jure, Ezren."

Son regard brille d'une lueur d'espoir, minuscule, mais présente. Il hoche la tête doucement, ses traits se dilatent malgré la tristesse.

-"Je te crois, Cassian. Je te fais confiance."

Ce sont ses derniers mots avant qu'il ne ferme les yeux, épuisés. Sa respiration devient plus régulière, et il s'endort paisiblement contre moi. Mais moi, je reste éveillé, le regard fixé sur l'horizon invisible, une détermination inébranlable gravée dans mon âme.

Je trouverai Zephyr. Et je ferai tout pour rendre à Ezren ce qui lui a été volé, même si cela doit me coûter la vie.

*******************
Bonjour, 
Merci beaucoup d'avoir lu ce chapitre. 
J'espère que l'histoire vous plait toujours autant. 
Lunarae.

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