Chapitre 27

Nikolay se tourne vers moi, son regard se radoucit légèrement. Il enserre d'une main le cou de Matthias et d'une autre, il réajuste le pan de sa veste.

-"Evelyn, il y a beaucoup de choses que vous ignorez. Votre père est sous l'emprise de Zachaeus, un vampire ancien et cruel. Il doit lui obéir car c'est lui qui l'a transformé, s'il ne le fait pas, la marque sur son cou le tuera à petit feu", m'explique t'il d'une voix si détaché que je sens mon cœur frémir. 

Comment peut t'il l'annoncer de manière si solennel comme si ce n'était rien ? Je suis censée accepter simplement ma mort ou la sienne ? 

Je dois juste me conforter dans l'idée que les vampires existent, qu'il y en a deux dans mon salon, dont un mon propre père et que je ne peux rien y faire. J'ai été élevé pour comprendre, analysé et solutionné des problèmes qui sont réels, pas magique. 

Je me suis battue pour obtenir ce que j'ai actuellement, alors qu'eux n'avait qu'un tour de passe passe, hypnose où je ne sais quelle bêtise pour réussir.

-"Pourquoi ? Pourquoi tu aurais voulu devenir un vampire ? Pourquoi tu aurais accepté de te soumettre à un monstre ? Tu m'as toujours enseigné qu'un Shaffer doit savoir se débrouiller seul, grandir seul et résoudre ces problèmes seuls. Ce que j'ai fais c'était par mes propres moyens et ce n'était jamais assez bon pour toi, alors qu'un tour de magie te suffisais pour obtenir ce que tu désirais", je m'insurge en écarquillant les yeux, fixant mon père d'un air courroucé. 

L'air dans la pièce s'est tendu, j'ai l'impression que l'oxygène me manque tant je peine à respirer. Je vois ces pupilles d'un rouge sang s'adoucir, reprenant leur teinte bleuté et pourtant, son visage inhumain ne cesse d'hanter mes pensées.

Pourquoi ais-je ce gout amer de trahison et de défaite ? 

Pourquoi alors je me battais de toutes mes forces pour survivre, lui qui pouvait vivre ne saisissait pas sa chance ? 

-"Je suis désolé Evelyn. Je t'en ai toujours énormément demandé pour pas que tu finisses comme moi. J'étais bien trop faible pour diriger notre famille. J'ai ouvert une entreprise que je ne pouvais pas gérer, et je n'arrivais même plus à cacher nos dettes à ta mère. Personne nous finançait et je voulais te donner la vie que tu méritais. Tu devais grandir loin de la rue et de la pauvreté. Alors j'ai fais ce pacte", commence t'il le visage lasse tandis que Nikolay desserre un peu sa prise. 

Pour la première fois, ce mur qui me semblait infranchissable et impénétrable se fissure. Pour la première fois, il n'est plus simplement Monsieur Shaffer, cet homme d'entreprise si droit et parfait. 

Il réussit enfin à parler comme un père.

On dit que chaque personne à plusieurs visages et qu'il ne les montre que quand il est au plus bas. Lui se cachait derrière son travail pour éviter de montrer ses faiblesses. 

-"Quand Zachaeus m'a transformé, il m'a fait commettre d'horrible crime sadique. Il disposait entièrement de ma vie et en échange me donnait l'argent pour construire mon empire. Je m'engageais à lui trouver des jeunes femmes, pour ses films, qu'il achetait à un bon prix. Et lorsque je ne pouvais plus me regarder dans la glace, j'essayais de justifier mes actes en me disant que je n'avais pas le choix. Qu'elle s'appelle Sarah ou Alexandra, je me rappelle de chacune d'entre elle", s'excuse t'il platement son corps retombant sur le sol tandis que Nikolay continu de lui jeter un regard pour qu'il ne tente rien de stupide. 

Mes poings se serrent et ma gorge se noue. 

Non... Non... Ça ne peut pas être vrai. Ça ne peut pas être la vérité que je cherchais ces derniers jours. Mon père est un homme qui aime son entreprise mais il ne commettrait jamais de tel crime. 

Je ne peux pas y croire. Je ne veux pas y croire. Mes émotions sont si fortes que j'ai l'impression que je vais exploser. Jamais je n'ai ressenti un poid si lourd sur mon coeur. Jamais je n'ai autant désirer sa mort. 

Comment a t'il pu commettre autant de crimes simplement pour l'argent ? 

Comment n'a t'il pas pu voir que nous étions bien plus heureux avant ? 

Il aurait du se battre comme il me l'a enseigné au lieu de baisser les bras à la moindre difficulté. Il aurait dû repousser ciel et terre pour trouver un investisseur

Pourquoi s'est t'il comblé dans la médiocrité jusqu'à transformer ce qu'il était et se donner à un homme pareil ?

Je le déteste... et pourtant... des perles d'eaux salés roulent le long de mes joues.

Je devrais le haïr mais mon coeur n'y arrive pas. Quand je le vois étendu de la sorte, la douleur et la culpabilité creusant ses traits. Quand il entonne enfin les excuses que j'ai toujours rêvé d'entendre, je n'arrive pas à le détester.

C'est exactement ce que Molly disait. Parfois quand on aime quelqu'un, on est prêt à pardonner les pires horreurs qu'il a commise. 

Je ne peux pas lui tourner le dos alors qu'il se montre enfin comme un père, avec des problèmes, des émotions et un coeur à revendre, pas simplement un mur impassible. 

Alors il a beau être un vampire maintenant, je préfère ce monstre là que celui qui met un costume.

-"Papa, j'aurais très bien pu me satisfaire de peu. Je n'avais pas besoin de tout ça. Notre famille était heureuse et qu'importe ce que tu aurais fait, elle le serait resté. Maintenant qu'est ce que cela signifie pour nous ? Qu'est ce qu'il va rester des Shaffer ? ", je lui demande doucement en essayant de me rapprocher. 

Nikolay pose une main sur mon épaule pour m'empêcher de continuer à marcher dans sa direction. Son regard est distant comme d'habitude et sa position nonchalante et pourtant, il me fait signe que mon père n'a toujours pas déposé le couteau.  

-"Ton père n'était pas suffisamment bête pour penser qu'un jour Zachaeus ne lui demanderait pas plus. Alors il me versait une partie de l'argent pour te protéger, si un jour il venait à te faire du mal", intervient Nikolay bras en avant en voyant mon père se relever. 

Titubant, son couteau glisse de ses doigts, les larmes coulant le long de ses joues. Je lis le désespoir dans ses yeux bleutés, qui brule à chaque larme qu'il verse. Ses mains tremblantes se tendent vers l'arme, mais son visage est celui de quelqu'un qui est déjà résigné.

-"Mais...Je ne peux pas... Je ne peux pas te tuer. Si j'ai fais toutes ces horreurs c'était pour toi, pour ta sécurité et ton bonheur. Plus rien n'a de sens si je tue la personne pour qui je suis devenu ce monstre", soupire mon père, amer alors que la marque sur son cou commence à s'étendre.

Je me précipite à ses côtés envoyant valser la main de Nikolay qui tentait de me retenir. Je lui jette un regard noir entre mes larmes quand il tente de m'en empêcher. Je m'effondre à genoux, sur le tapis du salon tentant de chasser les larmes de son visage. 

Maintenant qu'il est devenu si humain, je ne veux plus le perdre.

La marque commence à se tordre devenant noire et sinistre, gagnant du terrain sur sa peau blanche. Il vacille, tombant à terre, des gémissement de douleurs résonnant dans la grande salle. 

Pour la première fois, mes mains viennent l'enserrer, et j'en viens à me demander comment une personne peut me rendre aussi triste.

-"Je suis désolé d'avoir été aussi dur avec toi. Je voulais t'éloigner de moi, que tu ne comprennes jamais le monstre que j'ai été mais tu as toujours été bien plus forte et intelligente. Même ta mère n'a jamais réussi à te faire décrocher des larmes de douleurs, alors sache que je suis fier de toi", sourit t'il alors que la marque semble s'installer sur l'ensemble de son corps. 

J'ai toujours rêvé d'entendre un jour ces mots. Je voulais le comprendre et d'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu qu'il me donne l'attention que ma mère me prenait. Quand j'étais petite, je trouvais son bureau froid et austère, son air dur et fermé et pourtant je le trouvais si fort que je ne pouvais m'empêcher de le jalouser. 

J'ai tout fait pour grandir, sourire pour qu'un jour enfin : il comprenne ma valeur. Qu'il sache que je ne suis pas simplement cette fille qui traine à Blysscristal. 

-"Papa...", je murmure, ma voix cassante.

Mes larmes montent à mes yeux mais mon père les chasses d'un revers de la main. Son geste est attentionné d'une douceur que je ne lui connaissais pas. 

-"N'oublie pas ce qui te rends forte. Je préfère le voir s'afficher sur ton visage que des larmes...", geint t'il à peine reveillé. 

Il tousse, crachotant du sang sur le parquet, ses yeux devenant peu à peu vitreux. Et au milieu de mes larmes qui sanglotent à perte de vue, au milieu de la tristesse qui ronge mon visage, j'esquisse un sourire comme il me l'a demandé. 

-"J'avais oublié à quel point ton sourire pouvait être magnifique...", soupire t'il une dernière fois avant que ces muscles se détendent. 

Je le prends dans mes bras, sentant la vie le quitter lentement. J'aimerais hurler, me plaindre, pleurer et crier, sortir toutes ses émotions qui menacent de me réduire à néant mais je les garde.
Je refuse que s'il me voit qu'importe ou il soit, il sente ma tristesse. Je veux qu'il garde en lui cette image de moi qu'il trouve magnifique.

Il me laisse cet héritage, les Shaffer.

Et moi pour ne jamais oublié ce qu'il a été, je promets que ce sourire restera gravé.

La marque s'étend, couvrant son corps, et en quelques instants, son corps s'effondre, se transformant en cendre qui ne tarde pas à s'éparpiller dans la pièce. Mes mains tremblant, sentant encore il a quelques minutes le corps chauds de mon père.

Je n'ai jamais eu de vrai père. Et quand je l'ai enfin trouvé, je n'ai même pas eu de corps pour l'enterrer.  

Nikolay s'agenouille à mes côtés, sa main posée doucement sur mon épaule. Il a cet air détaché et pourtant ce sourire conciliant :

-"Evelyn..."

Je lève les yeux vers lui, le cœur brisé, cachant ma rancoeur et mon amertume envers ce Zachaeus Caldwell.

-"Merci, Nikolay. Merci de m'avoir sauvée."

Il hoche lentement la tête, ses yeux emplis de compassion.

-"Je l'avais promis à ton père. Et un Blackwood tient toujours ses promesses."

Un silence lourd s'installe. Puis, lentement, il me prend dans ses bras, chaleureusement, donnant toute l'attention que son corps peut donner. Il est généreux et présent et je nierais si je disais que j'en avais pas besoin.

C'est doux, chaud et réconfortant à croire qu'il sait exactement quoi faire pour calmer les émotions qui tourbillonnent. Nikolay se penche vers moi, ses lèvres frôlant mon front dans un geste réconfortant.

-"Toutes mes condoléances pour votre père. Je promets de continuer à honorer le marcher que j'avais passé avec lui mais maintenant je dois y aller, je reviens dans la soirée, faites attention à vous Evelyn...", dit t'il dans un souffle avant de s'enfuir d'une vitesse surhumaine.

A peine est t'il parti que la porte du petit salon s'ouvre, heurtant violemment la bibliothèque. Lyssandra se tient dans l'embrasure, les joues rouges et le souffle saccadé, comme si elle avait couru.

Que fait t'elle ici ?  

Mes yeux se plissent en voyant son visage strié d'inquiétude. Elle se précipite vers moi pour me prendre dans mes bras. La chaleur de son contact m'apaise, me permettant d'oublier pendant quelques secondes l'horreur de la situation. 

Pourtant, l'odeur qui émane d'elle est un étrange mélange de sang et chair. Ses vêtements sont tachés d'un liquide rougeâtre, et pour Black Swan, être autant décoiffé, ça ne lui ressemble pas.

-"Evelyn !" s'écrie-t-elle, essoufflée.

Je me mords la lèvre, le regard perçant. 

- "Lyssandra, que fais-tu ici ?"

Elle hésite, ses yeux fuyant les miens, son regard se balayant dans la pièce. Elle remarque vite les cendres éparpillés et reste quelques instant figé, ses prunelles passant lentement des restes de mon père à moi. 

- "Je... je suis désolée... Je n'ai pas réussi à te protéger. J'ai fais aussi vite que j'ai pu mais j'ai été ralenti", s'excuse t'elle platement en s'avançant pour me caliner. 

Je me recule instinctivement, mon sang ne faisant qu'un tour dans ma poitrine. Mes mains deviennent moites, et je pries pour que ce que je pense ne soit pas la vérité. 

Même si je sais déjà, que je ne peux pas me tromper. 

-"Dis-moi que tu n'étais pas au courant...", j'essaye de me convaincre, ma voix tremblante d'émotion et de suspicion. 

Ce serait trop. Bien trop pour une seule soirée. 

Comment aurait t'elle pu être au courant pour les vampires ? Zachaeus ? Mon père ? 

Et si elle l'aurait été la Lyssandra que je connais ne me l'aurait pas caché...

Donc je n'ai aucune inquiétude à avoir n'est ce pas ?

Lyssandra détourne les yeux, incapable de me répondre. Sa main se tendant vers l'avant pour se justifier, avant de la refermer et la serrer contre elle. 

Ce goût amer qui reste dans ma bouche est celui de la trahison.

*******************
Bonjour, 
Merci à tous pour votre lecture.
Lunarae.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top