Chapitre 18

La lueur argentée de la pleine lune scintille au dessus de la forêt de Grimhill. Les arbres et le vent crée des ombres mouvantes sur le sol. Les gazouillements des oiseaux résonnent dans la nuit noire. 

Et malgré sa profondeur, je me sens apaisé. 

Ces derniers temps, l'obscurité est devenu un refuge dans lequel je me complais. J'aime voir mon ombre se dessiner sur le sol, et étrangement je dirais que ça m'apaise.

Je me tiens au centre de cette clairière, bien connu de Grimhill, comme attiré par une énergie étrangère. Chaque soir, sans même que je le désire, mes pas me ramène ici pour laver mes regrets. 

Devant le petit étang, je soulève mon tee shirt, de mes mains terreuses, dévoilant l'immense balafre sur mon abdomen. 

-"Je suis trop fier pour avoir réussi à te le dire Lyssandra, bien trop fier pour admettre que j'ai été blessé", je soupire à la forêt comme seul confidente. 

Je devrais être à l'anniversaire d'Evelyn ce soir, et pourtant, je suis encore ici à ruminer. Depuis cet incident, je me reconnais plus, mes humeurs changent et je suis plus agressif que je ne l'ai jamais été. 

Pourtant je me tais, par peur que notre relation redevienne ce qu'elle était.

Quel autre abruti ne saurait pas protégé sa sœur alors qu'un homme la poursuit ? Qui réussirait à se faire attaquer par un loup en pleine journée ?  

Alors même qu'aucun n'est recensé dans la région !

Je n'aurais pas pu mieux échouer en beauté. Que je suis pathétique. J'ai la garde de ma sœur et pourtant pas une seule fois je n'ai réussi à l'aider. 

Lorsque papa et maman sont décédés, elle n'a pas voulu se confier, quand elle a commencé à aller à Blisscrystal, je n'avais pas le courage de l'en empêcher, et quand elle se fait attaquer, je suis trop faible pour la défendre. 

Je n'ai jamais su prendre soin de quelqu'un. 

Je refoule ses sentiments, refusant de m'avouer vaincu, la mine basse. Il n'est pas dans mes habitudes de ressasser, je préfère aller de l'avant. Ce que je n'ai pas réussi aujourd'hui, je le ferais demain.

Alors pour me donner du courage, je me mets à courir à en perdre haleine, fuyant ma propre maison, mes cheveux bruns s'envolant au clair de lune et mes pas résonnant dans le silence de la nuit. 

Mes pas écrasent les feuilles mortes dans un craquement. Les branches manquent d'heurter mon visage, et mon souffle est saccadé et rauque. Je cours à travers la forêt, profitant de l'air frais à en perdre haleine, quand soudain,  je ressens une douleur aiguë transpercer ma poitrine. 

C'est comme si une lame froide et acérée s'enfonce entre mes côtes, juste à côté de mon cœur. Chaque respiration devient une épreuve et chaque inspiration, une décharge électrique qui parcoure tout mon thorax.

Je m'arrête net, la main sur ma poitrine, essayant de calmer mon souffle saccadé. Une sensation brûlante se répand dans mes poumons, comme si j'avalais du verre pilé à chaque bouffée d'air. Mes jambes se mettent à trembler sous l'effet de la douleur et de la panique, menaçant de me lâcher à tout moment. 

Je tente de respirer plus lentement, de prendre des inspirations superficielles, mais chaque souffle court semble encore pire. Le paysage autour de moi commence à se troubler alors que mon calvaire ne semble que commencer. 

Mais bordel qu'est ce qu'il m'arrive ?!

Mon cœur bat frénétiquement, chaque pulsation, envoyant des ondes de souffrance à travers tout mon corps. Je me force à rester calme, à ne pas céder à la panique, mais mon souffle haletant me trahit. 

Je m'affaisse finalement contre un arbre, les yeux fermés, luttant pour chaque inspiration. Mais alors, quelque chose d'étrange commence à se produire. Alors que la douleur persiste, je me concentre sur mon environnement et étrangement, mes sens s'aiguisent.

J'entends le moindre bruit autour de moi avec une clarté incroyable le moindre chant des oiseaux assourdis mes tympans, la moindre arome de l'odeur de la pluie, à celle de l'herbe coupé en passant par les odeurs d'essences semble pénétrer ses narines et imprégner mon âme.

Je ressens tout, l'air vibrant sur ma peau comme s'il était palpable, mes cheveux s'hérissant comme s'il était unité mais pire que tout, je sens mon cœur battre. Je perçois le sang qui pulse et s'écoule dans mon corps, à l'air qui rentre dans mes poumons.

Et je ne peux m'empêcher d'être terrorisé à cette simple idée. 

J'ouvre les yeux et je suis frappé par la netteté de ce que je vois. Je peux discerner chaque détail des arbres au loin, chaque feuille, chaque brin d'herbe, comme si le monde s'était mis en haute définition.

Je vois à des kilomètres avec une clarté incroyable,  du lapin qui gambade entre les fourrées à la fourmi légionnaire qui creuse son terrier. 

Et toutes mes émotions sont plus intenses, ma douleur est intenable, presque comme une brulure au troisième degrés, ma colère est aussi forte qu'un volcan près à expulser ses cendres et ma tristesse plus dur qu'un torrent qui brise un barrage. 

Le pire, c'est l'incompréhension et la peur aussi vorace que les vautours près d'un cadavre.

Je regarde la lune alors que mon calvaire redouble d'intensité, déchirant mes muscles et disloquant mes os. Je gémis de douleur en entendant un craquement ignoble, me mettant à genoux dans la mousse. 

Je pousse un hurlement déchirant à la lune comme une bête affamée en sentant ma rotule complétement vriller.  Mes membres se tordent comme animés par leur propre désir dans une agonie si lente, que je ne peux penser à rien d'autres que cette douleur. 

Et prier pour que ça cesse.

Puis c'est au tour de ma peau de se fractionner et s'arracher alors que l'odeur du sang vient envahir mes narines, coulant sur ma peau blanche.

Je compris enfin ce que j'allais devoir endurer. Je ne sais pas pourquoi mais je le sens au plus profond de mon être, comme un instinct me chuchotant de douces paroles.

Le calvaire ne s'arrêtera que lorsque chaque os de mon corps se seront disloqués.

Le corps humain en compte deux cents six et s'ils se disloquent tous, il n'est pas fait pour survivre. La souffrance atteint des sommets où le patient préfère mourir plutôt que continuer.

 Et c'est ce que je ressens alors que mon cent troisième os vient de se briser. Jamais je n'ai désiré embrasser l'étreinte froide de la faucheuse plus qu'en cet instant. 

Je ne suis plus moi même, à peine présent, la sueur plein le visage, et mon esprit comme sous drogue. C'est au moment où je pense avoir atteint le point de non retour, que les souvenirs me reviennent. Ils affluent comme des formes troubles aux milieux de la forêt. Mes parents, Lyssandra...

-"Maman, tu es ici", je geins d'une voix si tremblante, peinant à articuler le moindre mot. 

Mon cerveau me joue des tours, la douleur me laissant imaginer ce qui m'est le plus cher. Je les revois, leur sourire ornant leur visage si pur, leur yeux se plissant avec amour, et leur cheveux voguant au vent, si vivant.

Lyssandra n'a plus cette mine si fade sur le visage et brille comme un rayon de soleil. Une larme coule le long de ma joue alors que je sens leur bras me serrer contre eux. Leur mains si chaudes se posent sur mon visage et leur parole si apaisantes viennent jusqu'à mes tympans.

Un rêve si doux, si la souffrance ne me ramenait pas à la réalité.

La douleur cesse quelques heures plus tard. Je reste à quatre pattes dans la mousse et la terre incapable de me relever, mon corps peinant à avancer et ma vue encore trouble. 

Bordel qu'est ce qui a bien pu arriver ? Est ce que je suis entrain de devenir fou ?

Comment est ce que j'ai pu m'en sortir ?  

La forêt autour de moi est baignée dans la lumière argentée de la pleine lune. Les ombres dansent, ajoutant une couche de mystère et de terreur à ma situation. Je sais que je dois avancer, que rester là signifie abandonner et ce n'est pas dans mes habitudes. 

Je rampe lentement, chaque centimètre parcouru étant une torture. Finalement, j'atteins l'étang dont l'eau miroite sous la lune. Je me penche pour boire, espérant que l'eau fraîche m'apportera un peu de réconfort. 

Mais alors, je vois mon reflet dans l'eau, et un frisson glacé parcourt mon échine.

Ce n'est pas mon visage humain qui me regarde, mais celui d'une créature monstrueuse. Des yeux jaunes et perçants, des crocs acérés et une fourrure brune et dense. Mon cœur s'emballe, la panique me submerge. 

Non, cela ne peut pas être vrai. 

Je cligne des yeux, espérant que l'image disparaîtra, mais le reflet du loup reste là, me fixant avec une intensité terrifiante.

Je ne peux pas nier la vérité qui me revient en pleine figure. Tout ce que j'ai toujours cru impossible, et tous ces contes dont je me moquais, ont toujours eu raison. Je suis devenu quelques choses de sauvages et de primal.

Certains disent que la première phase serait le déni, mais elle n'est pas dans ma nature. La mienne est pire, c'est la réalisation. Nier permet d'accepter, alors que réaliser ne me fait qu'haïr ce que je suis devenu. 

Un hurlement de désespoir monte en moi. Je tente de parler, mais seuls des grognements gutturaux s'échappent de ma gorge. La réalité de ma transformation s'impose à moi avec une brutalité inouïe. 

Chaque muscle de mon corps, chaque os semble différent, étranger. Mes mains ne sont plus que des pattes griffues, mes sens sont envahis par des odeurs et des sons d'une acuité surnaturelle.

La terreur me saisit, une peur primaire et viscérale. Je veux fuir, échapper à cette horreur, mais il n'y a nulle part où aller. Je me sens piégé dans ce corps qui n'est pas le mien, une créature de cauchemar sous la lumière de la pleine lune.

Des larmes de désespoir et de rage coulent sur mon visage bestial, se mêlant à la boue de la forêt. 

Pourquoi cela m'est-il arrivé ? Comment puis-je redevenir moi-même ? 

Les questions tourbillonnent dans mon esprit, sans réponse et pourtant une pensée encore plus importante devance les autres. 

Lyssandra ne doit jamais être au courant. Avec la mort de nos parents, je ne peux me permettre de lui imposer une pareille souffrance. 

Je reste là, tremblant de peur et de douleur, confronté à la réalité monstrueuse de ma nouvelle existence. Le reflet dans l'eau me renvoie une image de moi-même que je ne peux accepter, une abomination qui défie tout ce que je croyais être.

La pleine lune continue de briller, implacable, témoin silencieux de mon calvaire. L'horreur de ma situation m'envahit, chaque battement de mon cœur me rappelant la bête que je suis devenu. 

Et dans ma lente agonie, la seule chose qui me revient et le prénom de ma sœur. 

Si je n'ai pas réussi à protéger Lyssandra d'un homme, comment vais je réussir à la protéger de moi ?

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Bonjour à tous, 
Je vous présente un nouveau point de vue qui va basculer un peu la donne. 
Qu'est ce qu''il risque de provoquer à votre avis ? Les liens se feront petits à petits plus présents entre les personnages. 
Merci pour votre lecture.
Lunarae.

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