6. La lettre

Point de vue de Geoffrey

Anthony n'a pas l'air à l'aise avec l'idée de rencontrer Olivier mais il ne semble pas la détester non plus. Il se crispe à chaque fois que quelqu'un arrive dans le couloir. Il me fait plus penser à un animal blessé et craintif qu'il faudrait apprivoiser qu'à un adolescent de cet âge.

- Ah vous êtes là! nous héla une voix que je connais bien.

Oli arriva derrière nous avec un grand sourire sur le visage. Le plus jeune, quant à lui, c'était mis en retrait derrière moi comme pour se protéger du nouveau venu. Il n'y avait pas plus inoffensif que mon fils adoptif mais ça il ne pouvait pas le savoir.

- Salut vieux, me dit-il. Comment vas-tu depuis la dernière fois?

- Comme d'habitude.

- Alors comme ça tu vas passer la journée avec Audrey pour organiser l'anniversaire de Sylvie?

Un peu surpris au départ, je me rends vite compte qu'elle a tenu sa promesse et utilisé un motif fallacieux pour justifier notre sortie. Je rentre donc vite dans son jeu et même si je sais qu'il n'est pas dupe de notre manège, je lui suis reconnaissant de ne pas essayer de savoir. Du moins pour le moment parce que c'est une vraie fouine quand il s'agit de découvrir quelque chose.

- Il n'y a que pour la petite que je ferais une chose pareille, répondis-je en riant. Tu sais que j'ai horreur de faire une journée shopping!

- Oui, surtout au vu du nombre de fois où j'ai voulu le faire et que tu as freiné des quatre fers. Et puis, on sait rarement résister à Audrey.

- C'est clair que Lucas ne doit pas souvent avoir le dernier mot.

Nous éclatons tous les deux de rire jusqu'à ce qu'Olivier jette un œil derrière moi.

- Je suppose que tu es Anthony.

Aucun son ne sort de sa bouche ce qui me fait dire qu'il a juste acquiescé. Je me retourne donc pour faire les présentations à la place du garçon.

- Olivier, je te présente Anthony. Anthony, voici Olivier. L'ami dont je t'ai parlé.

- Le garde-chiourme? demanda-t-il sèchement.

- On va mettre les choses au point tous les deux direct. Je ne suis ni ton gardien ni ton baby-sitter. Je suis juste quelqu'un qui va passer la journée avec toi.

- Super je suis un bouche-trou en plus, marmonna-t-il dans ses dents.

- Non, pas du tout. D'ailleurs, tu as le choix. Soit tu restes avec ce vieux croulant, soit tu viens avec moi. Il y a un film qui vient de sortir au cinéma et que j'aimerais aller voir.

- Le vieux croulant tu sais ce qu'il te dit le gamin? râlais-je, pour la forme.

- Bah tu sais que je t'aime Geo, rit-il en me tapant gentiment sur l'épaule.

- On va dire ça.

- Alors, que choisis-tu Antho? Je peux t'appeler comme ça ou tu as un autre surnom?

- Je n'en ai pas.

- Très bien. Alors maintenant, ce sera Antho pour moi. Donc, film ou tournée dans l'hôpital?

À mon avis le choix est vite fait mais j'admire la façon dont Olivier tourne les choses. Il le laisse libre de décider plutôt que de le forcer.

- Va pour un ciné mais... je...

- Ne t'inquiète de rien, lui dis-je en percevant sa gêne. C'est aux adultes de payer mon grand.

Il semble soulagé de ne pas avoir à en dire plus. Son oncle ne lui verse sûrement pas le moindre argent de poche.

- Alors, tu viens avec moi? s'enquit Olivier.

L'adolescent me regarde en quête d'une approbation que je lui donne silencieusement.

- Je vous suis.

- Super mais par pitié, tutoies-moi! Je ne suis pas mon père et là tu me fais passer pour un vieux!

Il en rajoute une couche mais il parvint à dérider le jeune qui sourit. Quand je les vois, je sais que j'ai pris la bonne décision. Pour les deux. Le frère de Tonio s'est quelque peu perdu ces derniers temps. Il a besoin d'un but et je viens de lui en fournir un sur un plateau! C'est donc soulagé que je reprends la marche en direction de l'étage suivant.

Une heure plus tard, mon talkie-walkie se met à grésiller. Que va-t-il encore me tomber dessus? S'il faut courir, il feront sans moi!

- Oui Benoit?

- Je suis au poste de surveillance. Quelqu'un veut te voir.

- Je n'attends personne, lui répondis-je confus. Il t'a donné son nom?

- Roger Sutton. Apparemment il a quelque chose pour toi.

- Sutton tu dis?

- C'est ça.

Si ma mémoire ne me joue pas des tours, c'est le gars du programme de correspondance. Qu'est-ce qu'il me veut? La seule manière de le savoir est de le rencontrer.

- Très bien, je suis là dans une dizaine de minutes. Le temps de descendre.

- Ok je lui dit.

- Merci Ben.

Décidément, cette journée sort de l'ordinaire! D'abord Anthony et maintenant ce Sutton! Si ça se trouve, il vient me donner quelque chose pour Audrey. Bien qu'en y réfléchissant, il sait où elle se trouve et pourrait donc aller directement à son bureau sans passer par moi.

J'arrive enfin sur place avec plus de questions que de réponses. Je salue mon collègue en rentrant. Celui-ci m'explique que mon visiteur m'attend dans la pièce d'à côté. Après une petite seconde de réflexion, j'ouvre la porte et reconnaît la personne qui parlait avec ma belle la dernière fois.

- Monsieur Sutton.

- Ah vous voilà! Désolé de vous déranger en plein travail mais vous êtes plutôt dur à dénicher, me dit-il en me serrant la main.

- Je ne suis pas sûr de vous suivre.

- Je vais y arriver. Je fais partie du comité du projet «Correspondance» que vous connaissez sûrement par votre amie Audrey.

- Effectivement. Mais je ne vois toujours pas où vous voulez en venir et surtout pourquoi vous me cherchiez. En plus, on ne peut pas dire que je me cache.

- Il se trouve que quelqu'un voulait vous avoir comme correspondant. C'est inhabituel et le demandeur ne connaissait que votre apparence. Vu que vous avez changé de coupe de cheveux récemment, les recherches ont été un peu plus compliquées que prévu.

- Quelqu'un veut correspondre avec moi? demandais-je, complètement ahuri. Mais qui?

- Ça je ne peux pas vous le dire. Cette personne préfère rester anonyme pour l'instant et choisir elle-même le moment où elle vous révélera son identité.

- Donc en gros, vous me demandez si je veux correspondre avec quelqu'un qui ne veut pas me donner son identité?

- En gros, c'est ça. Mais c'est le principe du programme. La seule différence, c'est que cette personne vous a demandé expressément. Après avoir trouvé qui vous étiez, nous avons fait les vérifications d'usage pour voir si vous correspondiez à ce que nous cherchons. Et me voilà.

- C'est bien mystérieux.

- J'ai la première lettre ici. Celle qui donne le coup d'envoi si vous préférez.

- Admettons que je la lise. Si le contenu ne me plaisait pas, pourrais-je ne pas donner suite?

- Et bien vous ferez comme bon vous semble, me répondit-il en haussant les épaules. Prendre cette lettre ne vous engage à rien.

- Pouvez-vous au moins me dire si c'est une femme ou un homme?

- Non. Tout ce que vous devez ou pouvez savoir est dans l'enveloppe.

- Et si je voulais arrêter, comment cela se passerait-il? Je devrais vous contacter?

- Non, il vous suffit simplement de ne pas répondre. Bien que dans ce cas précis, il serait plus judicieux de me prévenir que je puisse le dire à votre correspondant.

L'étonnement laisse vite la place aux questions. Dois-je la prendre ou non? Et surtout qui m'a écrit et délibérément? La seule façon de le savoir est de prendre ce maudit bout de papier.

- Très bien, soupirais-je. Donnez-moi ça. Je ne vous promets pas de la lire mais je vais y réfléchir.

- C'est tout ce que je demande. Je veux juste vous rappeler que l'expéditeur est seul et qu'il est passé par des moments traumatisants. La moindre petite distraction peut être la bienvenue. Vous êtes bien placé pour le savoir. Avec Lucas...

- J'y penserai.

- Merci. Voilà donc ce que je vous ai promis.

Il me tend la mystérieuse enveloppe. Après quelques hésitations, je la prends finalement avant de le remercier.

- Je vous souhaite une bonne journée monsieur Meunier. Vous remettrez mon bonjour à Audrey et Lucas.

- Je n'y manquerai pas. Bonne journée à vous aussi.

Mes mains moites froissent le papier. Ce dernier me nargue. L'ouvrir maintenant ou attendre? L'heure de la pause n'est pas encore là et je mange avec ma belle. Ça m'énerve d'hésiter! Il faut être raisonnable. Je vais donc prendre mon mal en patience et mettre l'objet dans ma poche. Ou peut-être... non. J'ai déjà perdu assez de temps comme ça. Bon gré mal gré, je reprends le travail où je l'avais laissé non sans avoir l'esprit attiré parce cette missive. Heureusement tout se passe bien pour le reste de la matinée parce que je suis pas mal distrait.

C'est enfin l'heure de déjeuner avec un petit démon qui comprend beaucoup trop de choses beaucoup trop vite. Je ne sais pas si je parviendrai à lui cacher quoi que ce soit. Je passe donc la prendre à son bureau comme d'habitude mais étonnement la pièce est vide.

- Salut mesdames. Vous n'auriez pas vu Audrey par hasard? demandais-je aux filles du secrétariat.

- Elle est malade aujourd'hui. Elle a préféré rester chez elle, me répondit la blonde du trio.

- Ok merci.

Je n'aime pas qu'elle soit malade mais ça tombe plutôt bien. Je ne devrais pas être content de son absence. Ce n'est pas bien du tout. Pour me donner bonne conscience, je lui envoie un texto pour prendre de ses nouvelles avant d'aller m'installer à l'extérieur histoire de prendre l'air et d'être au calme. En plus comme elle n'est pas là, je ne suis pas obligé de manger ce qui me va très bien.

Je trouve un banc à l'abri du vent mais baigné par le soleil. Les fleurs qui sont autour de moi donne un air plus joyeux à cette journée. Leurs couleurs sont vraiment magnifiques et je perds quelques secondes à les contempler. Le temps de prendre mon courage à deux mains... Elle est adressée à «Agent de sécurité à la casquette» ce qui me fait rire. Poussé par la curiosité, je prends l'enveloppe et la porte à mon nez. Un très léger parfum arrive à mes narines. Je ne vais pas me mentir, je le fais aussi pour gagner du temps. J'ai l'impression que le simple fait de l'ouvrir peut changer ma vie. Mon doigt glisse, découpant avec douceur le morceau du haut afin de faire apparaître une feuille. L'écriture est claire et légère et me fait plus penser à celle d'une femme.

Bonjour cher vous,

Vous devez trouver cela étrange. Pour ma part, je n'en reviens toujours pas d'avoir sauté le pas. Je vous vois tous les jours passer devant ma chambre sans jamais vous avoir adressé la parole et me voilà à demander à un parfait inconnu de vous retrouver pour correspondre avec vous.

Je ne sais même pas pourquoi je vous écris. Pour être honnête, je ne voulais plus le faire mais un certain Capitaine Sutton a su trouver les mots. Et puis, peut-être que vous ne voudrez pas me répondre. À près tout, qu'est-ce que j'en sais?

J'ai bien envie de garder le mystère sur nos identités. Cela nous permettrait de faire connaissance sans pour autant nous mettre la pression. Que diriez-vous d'utiliser des pseudonymes? Encore mieux, si nous choisissions celui de l'autre?

Je vais quand même vous dévoiler un détail pour que nous soyons sur un pied d'égalité. Je suis une femme. Et si vous voulez savoir si je connais votre nom... la réponse est négative. Je n'ai pas voulu le connaître. Cela rend les choses beaucoup trop réelles et j'ai plus besoin de m'évader que de rester dans ce quotidien si pénible.

Ne vous est-il jamais arrivé de vouloir être partout ailleurs que là où vous vous trouviez? De pouvoir vous évader et échapper à tout ce qui vous tombe dessus? C'est ce qu'il m'arrive en ce moment. Je rêve d'un pays lointain ou à défaut d'un endroit rempli de soleil, de verdures, de fleurs... Un lieu où les gens ne seraient pas des espèces de crétins plus proches de l'homo sapiens que des personnes civilisées. Encore que je me demande si ce n'est pas une insulte pour nos ancêtres...

Je vais attendre d'avoir de vos nouvelles pour décider de votre surnom mais ça ne m'empêchera pas d'y réfléchir. Ce n'est pas comme si j'avais trente-six choses à faire de toute manière.

Je me demande si vous allez me répondre. L'avenir me le dira mais comme me l'a expliqué notre cher intermédiaire, ceci est un défi aussi bien pour vous que pour moi. La question est "Serons-nous à la hauteur et allons-nous le relever?"

La balle est dans votre camp ou devrais-je dire la plume?

Je m'en vais rejoindre les bras de Morphée et le noir bienfaiteur... à bon entendeur...

Moi (jusqu'à ce que vous me donniez un surnom ;-) ).

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Le voilà enfin ce chapitre... et pour ceux qui l'attendait, le début de la correspondance. Alors qu'en pensez-vous?

J'attends vos avis, conseils, demandes... et j'espère que ces quelques lignes vous ont plu :-).

Bisouilles

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