4. Le fond

Point de vue de Danielle

Non! Qu'est-ce qu'il se passe? Qu'est-ce qu'il me veut?

- Alors salope, tu aimes ça pas vrai? Dis-le moi, hurla-t-il.

- Non jamais!

Il me retient. Je ne peux rien faire. Il plante sa lame. Beaucoup trop de fois. Il rit à gorge déployée, fier de lui. Je sens la douleur affluer de partout mais je ne lui ferai pas le plaisir de la lui montrer. Au moment où je tombe à terre, je me mets à hurler à plein poumons.

Mes yeux s'ouvrent. Je me redresse dans mon lit et ne peux empêcher mes membres de trembler. Des gouttes de transpirations dévalent mon visage et trempent ma blouse. Il me faut quelques instants pour comprendre où je suis. La chambre d'hôpital. Les fenêtres sont obstruées par des tentures bleu foncé. Il doit encore faire nuit dehors puisque les rayons du soleil ne passent pas en travers des bouts de tissu. Ce n'était qu'un cauchemar. Un soulagement s'empare de moi mais laisse place à une peur plus vicieuse. Pourrais-je encore faire face? À lui? Aux autres? Vais-je oublier?

Je ne sais pas grand-chose sur les séquelles possibles. Les médecins ont l'air confiant mais ils m'ont quand même fait passer une batterie de tests. Le couperet doit tomber aujourd'hui. Le soldat est prêt à entendre les résultats mais la femme qui se cache derrière devient une froussarde sans nom. Et si j'avais quelque chose d'irréparable?

- Non, ne pense pas à sa Dany! soufflais-je en me frottant les mains sur le visage. Il ne faut pas t'imaginer le pire tout de suite. Ce ne sont que des coups de couteau, tu as eu pire!

Je me recouche en fermant les paupières. J'ai dû me rendormir parce que la lumière du jour me réveille. Une infirmière est en train de prendre mes constantes et de vérifier mes pansements. Comme tous les jours. Sauf que là, je vois du sang sur les draps.

- Bonjour Danielle, me dit-elle doucement. Avez-vous bien dormi?

- Bonjour Isabelle... Vous savez bien que non. Tout le couloir a dû m'entendre.

- Effectivement. Mais quand mon collègue est arrivé, vous étiez déjà partie rejoindre le pays des songes.

Elle commence par les pansements qui ne sont pas souillés avant de revenir vers les autres.

- Votre cauchemar a été plus violent que les autres? me demanda-t-elle soucieuse.

- Pas que je sache. Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'étais trempée au réveil. Pourquoi?

- Votre plaie n'est pas belle. Je vais devoir appeler le médecin. Mais pas de panique, ce n'est probablement rien. Je reviens.

Elle en a de bonnes! Ne pas paniquer mais c'est mon corps, pas le sien, qui a été charcuté! Peu de temps après, elle revient en compagnie du docteur qui me soigne.

- Bonjour Sergent. Comment vous sentez-vous?

- Bonjour. À part les trous dans le corps ça va, plaisantais-je.

- Pas plus fatiguée ou plus chaud qu'en tant normal? s'enquit-il tandis qu'il regardait les plaies.

- Depuis hier soir, j'ai souvent des coups de chaud mais ça doit être la température de la pièce qui change.

- Avez-vous pris ses constantes? s'enquit-il auprès d'Isabelle.

- Oui. Tenez.

Il regarde minutieusement les papiers qu'Isabelle lui a tendu et fronce les sourcils. Ça ne me dit rien qui vaille.

- Quelque chose ne va pas?

Il prend l'infirmière à part et discute avec elle en me lançant des coups d'œil fréquents. Elle s'en va d'un pas rapide alors qu'il vient me rejoindre.

- Quand vous êtes arrivée ici, les plaies avaient été recousues et nous avons supposé que tout avait été fait. Mais il semblerait que des lacérations se soient rouvertes. Je vais devoir vous examiner plus en profondeur.

- Et qu'est-ce que ça va entraîner selon vous? Et soyez franc d'accord?

- Je ne sais pas mais je n'aime pas trop les résultats que je vois. Je soupçonne une hémorragie interne. C'est pourquoi nous devons agir maintenant.

Il a à peine terminé sa phrase que des infirmiers arrivent et me préparent avant de partir en m'emmenant avec eux. L'angoisse monte de plus en plus. Mon cœur s'emballe. La sueur coule de mon front avant que je ne perde connaissance.

J'entends des voix. Mais d'où viennent-elles? Je ne parviens pas à ouvrir les yeux. C'est comme si on m'avait mis de la colle pour les fermer. Ma bouche est pâteuse et ma gorge encombrée par je ne sais quoi. Je commence à paniquer quand quelqu'un se rapproche de moi.

- Danielle. Tout va bien. Vous avez été entubée. Calmez-vous. Isabelle va vous retirer tout ça.

- Quand je vous le dirai, je veux que vous toussiez. Ce ne sera pas agréable mais c'est le seul moyen. Vous avez compris?

J'acquiesce pour bien lui montrer que c'est bon.

- 1 2 3, toussez.

La gêne disparaît en même temps que j'expulse l'air de mes poumons. La première chose que je fais est de déglutir, ma salive apaisant un peu le feu dans ma gorge. Mon esprit est toujours groggy, mes paupières closes. Je dois voir ce qui m'entoure mais finis par laisser tomber et me rendors.

J'ai été tellement assommée par l'anesthésie que je ne me réveille que plusieurs heures plus tard. La nuit est déjà sur le point de tomber. Mais quel jour sommes-nous? Je suis complètement perdue. Je tends mon bras pour appuyer sur le bouton d'appel histoire d'en avoir le cœur net.

- La vache! Ça fait mal!

Une douleur fulgurante au niveau de mon ventre me force à me recoucher. Je ne sais pas ce qu'ils m'ont fait mais ça ne va pas être une partie de plaisir! Je m'efforce tant bien que mal de refaire la manœuvre ce qui me prends au bas mots 5 minutes alors que ce fichu truc n'est pas loin! En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, Grégory arrive.

- Bonsoir la belle au bois dormant!

- Bonsoir Grégory.

- Alors on est réveillée! Pas trop mal?

- Non ça va, grimaçais-je.

- Ne mentez pas Sergent. Je vois bien que vous subissez.

- J'ai connu pire, lui répondis-je en haussant les épaules.

- On va dire que je vous crois! Alors, dites-moi tout.

- Vous pourriez me dire depuis combien de temps je dors? Je suis un peu à l'ouest.

- Ça fait environ trente-six heures.

- Comment ça? Ce n'est pas possible!

- Et bien si. Nous sommes mercredi. Vous nous avez fait une belle frayeur hier matin.

- J'ai dormi si longtemps? demandais-je incrédule.

- Oui mais avec l'anesthésie générale c'est tout à fait normal.

- Que s'est-il passé?

- Je laisse le médecin vous en parler. Je vais voir s'il est encore là. Je reviens.

Il va dans le couloir quelques minutes avant de revenir vers moi.

- Vous avez de la chance. Il était sur le point de partir. Il va venir vous voir directement. Vous avez besoin de quelque chose?

- Un verre d'eau, ce ne serait pas de refus.

Il me le remplit et le dépose sur la tablette devant moi avant de m'aider à me redresser. Je n'y arrive que le temps de boire une ou deux gorgées mais c'est suffisant pour le moment. Grégory me réinstalle et vérifie tout ce qui doit l'être avant de laisser sa place au spécialiste qui vient de rentrer.

- Heureux de vous voir réveillée Sergent. Grégory m'a prévenu que vous vouliez savoir ce qu'il s'était passé.

- Oui effectivement. Je ne me rappelle de rien après mon départ de la chambre.

- Vous vous êtes évanouie pendant le trajet. Après un examen plus approfondi, il s'est révélé qu'une lésion s'était bien rouverte. Et comme je le supposais, vous avez eu une hémorragie interne. Nous avons dû vous opérer pour y remédier mais l'organe était trop touché. Nous n'avons pas pu refermer correctement.

- De quel organe s'agit-il? demandais-je un peu sèchement.

Il hésite ou plutôt réfléchit à la façon de me l'annoncer. Je peux le voir dans son regard. Sa nouvelle n'a rien de bonne!

- Allez-y direct doc. Ne tergiversez pas pendant des heures.

- Nous avons dû enlever votre matrice, soupira-t-il.

- Ma matrice... vous voulez dire...

- Oui. Je suis désolé Danielle. À cause de cette blessure, vous ne pourrez plus avoir d'enfants.

Le choc m'anesthésie aussi sûrement que le produit qu'ils m'ont injecté hier. Plus d'enfants? Jamais? Mais je n'ai que trente ans! Comment est-ce possible? Qui voudra encore d'une femme incomplète?

- Je sais que c'est dur à entendre et il va vous falloir du temps pour digérer tout ça. Si vous le désirez, je peux vous communiquer le numéro d'un psychologue. Il travaille pour le département de la Défense mais son bureau est dans cet hôpital.

- Je survivrai. Comme toujours.

- Je vous laisse sa carte. On ne sait jamais!

Il dépose le petit morceau de carton sur la tablette devant moi et commence à gagner la sortie.

- Je suis vraiment désolé. Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour éviter ça.

- Je ne vous en veux pas. Vous m'avez sauvé la vie. C'est déjà pas mal.

Il ne sait pas quoi me répondre. Il se contente d'ouvrir la porte et de retourner à son quotidien. Comme s'il ne m'avait pas annoncer la mort d'une partie de moi. Tout ça à cause de cette enflure!

Mes mains vont se déposer à l'endroit où j'aurais dû porter mes enfants. Celui où ils ne seront jamais. J'ai toujours rêvé d'avoir plusieurs petits bouts mais j'ai préféré d'abord me montrer et prouver à mes frères que j'étais capable de faire ma vie seule, sans eux. Je me disais que j'avais tout le temps pour fonder une famille. Et voilà que c'est impossible.

Une larme coule sur ma joue. Une seule. J'ai appris à ne pas pleurer, quoi qu'il arrive. Et j'ai déjà beaucoup trop dérogé à ce principe depuis que je suis ici. Je ne suis pas une lavette. Mais cette nouvelle... me fait remettre tous mes fondements en question. J'ai failli y rester et je ne peux plus rien offrir à un homme désormais. Je vais devoir sérieusement réfléchir à la suite. Quelle direction vais-je donner à ma vie maintenant? Est-ce que je serai capable de retourner devant mes hommes malgré tout? Ne vais-je pas avoir peur que l'un d'entre eux brandisse un couteau? Déjà qu'ici, alors que je suis protégée, je sursaute au moindre bruit. Comment cela va-t-il se dérouler? Sans m'en apercevoir, mon esprit se ferme à la réalité et je sombre dans un monde sans rêves.

Le sommeil m'a vite faussé compagnie, me laissant seule face à cette réalité un peu trop brutale. Dans ce lit, le silence pesant m'entoure. Je fixe les fenêtres sans les voir. Des idées plus morbides les unes que les autres m'assaillent. À quoi bon vivre si je ne peux pas devenir mère? Et si retourner me battre était ma seule issue? Mourir en protégeant mon pays est le seul acte que je puisse encore faire pour mon prochain. Je ne sers plus à rien.

Une boule se forme dans ma gorge, signe annonciateur d'une crise. Je ferme les poings avec une telle force que mes jointures sont blanches. Il m'a tout enlevé. L'honneur. Le travail que j'ai fourni depuis que je suis rentrée à l'école militaire. Et maintenant ça. Je ne pourrai jamais lui pardonner. J'espère qu'il pourrira en enfer. Et s'il n'y est pas déjà, je me chargerai en personne de l'y envoyer.

L'infirmière apporte mon petit-déjeuner mais je n'y fais attention qu'à moitié. Je n'ai pas l'intention d'y toucher. Je n'ai plus faim. Toute sensation a quitté mon corps. Et puis pour manger, il faut avoir envie de vivre. Hors tout ce qui me fait envie en ce moment est de disparaître.

Personne n'est venu me voir. Comme s'ils savaient qu'il ne fallait pas me déranger. Moi, la petite chose brisée par la nouvelle.

Il est maintenant 16h00. Je n'ai pas prononcé un mot depuis mon réveil. On frappe à la porte. Je ne réponds pas mais ça n'empêche pas l'opportun d'entrer.

- Danielle.

Je me tourne pour voir qui m'adresse la parole. Roger Sutton. Il ne manquait plus que lui!

- J'ai retrouvé l'identité de votre inconnu.

- ...

- Le comité est d'accord avec votre choix. Je vous laisse écrire la première lettre et c'est moi qui la ferai parvenir à ce monsieur dans un premier temps.

Il est stupide ou il le fait exprès! Malgré mon mutisme, il continue à me parler pendant un temps qui me paraît infini. Les détails de son projet. Mais à quoi bon maintenant?

- Ecoutez, je ne veux plus y participer. Alors vous pouvez remballer toutes vos explications.

- Je ne sais pas ce qui vous tracasse et ça ne me regarde pas soldat. Mais sachez que ça peut vous aider de vous confier à quelqu'un que vous ne connaissez pas et qui n'a aucun lien avec l'armée.

- ...

- Je vous laisse son nom. À vous de décider. Il n'est encore au courant de rien et ça restera entre nous si vous ne le faites pas. Voyez ça comme un défi Sergent!

Je fixe la carte qu'il a laissée sur la tablette. À côté de celle du psy qui n'a pas bougé depuis hier. Un défi?

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La situation s'aggrave pour Danielle. Elle ne peut désormais plus avoir d'enfants. Mais ce qu'elle ne sait pas, c'est qu'elle a choisi celui qui souffre du même mal qu'elle! Va-t-elle choisir de faire ce défi?  Ou va-t-elle sombrer plus profond encore?

J'attends vos avis les loupiots.

PS: je ne sais pas du tout si ce genre de situation est possible. Je n'y connais strictement rien en données médicales! Mais j'espère ne pas être trop à l'ouest à l'instar de notre Sergent!

Bisouilles les p'tits loups.

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