11. Mes hommes
Point de vue de Danielle
Depuis la mort des jumeaux, Étienne et Ethan, pas un jour ne passe sans que je ne pense à Clément. Le seul de la fratrie à ne jamais donner de nouvelles. Nous étions très proches et même s'il ne m'avait jamais caché son envie de s'en aller, son départ a été trop brusque pour qu'il soit anodin. Son emménagement à Los Angeles a laissé un grand vide dans ma vie.
Les derniers mois, il était très renfermé. Je le voyais souvent songeur, voir inquiet. Puis un matin, il est venu me trouver, sa valise en main. Il ne voulait pas d'adieux à rallonges et n'avait donc prévenu que moi. Il s'était approché, m'avait prise dans ses bras et sans un mot de plus, s'en était allé. C'était mon frère tout craché. Nous n'avions pas besoin de longs discours pour nous comprendre. La peine et la détermination que j'avais lues dans ses yeux valaient tous les discussions que nous aurions pu avoir.
À son arrivée en Amérique, il m'avait simplement envoyé une carte postale pour me dire de ne pas m'inquiéter, qu'il était à LA. Depuis, je n'ai plus eu aucun contact avec lui. Il a changé de numéro de téléphone et même avec l'adresse d'expédition de la carte, nous n'avons pas pu le retrouver. Mon cœur de sœur souffre mais je sais que sa survie en dépendait. Il n'est pas le genre d'homme à prendre des décisions à la légère.
Être couchée dans ce lit n'est décidément pas bon pour mon moral. Je rumine beaucoup trop sur des sujets aussi douloureux que divers. L'ennui est un ennemi mortel au même titre que le reste. Je n'ai jamais été habituée à rester sans rien faire et c'est assez perturbant. La seule distraction que j'ai eue était la visite de Joy.
À mon grand désespoir, je reconnais ce mal-être qui me prend en repensant à elle: l'envie. Sur le chemin du retour, la jeune fille m'avait expliqué quelques anecdotes les concernant, elle et sa famille. Ils sont aussi différents que l'on puisse l'être et même si cela peut paraître étrange, leur groupe fonctionne! C'est un mélange de plusieurs personnalités, chacun ayant ses défauts et ses qualités. C'est un peu comme l'armée, la hiérarchie et les ordres en moins. Bien qu'en y réfléchissant, ici ils se sont choisis alors que nous sommes simplement mis ensemble et nous faisons avec.
Maintenant que j'y pense, Audrey m'a dit qu'elle connaissait très bien Shadow. Se pourrait-il qu'il fasse partie de cette bande d'amis? Et que Lucas et Joy le connaisse? Le monde serait vraiment petit si tel était le cas.
En parlant de lui, je me demande s'il a reçu ma dernière lettre. J'ai mis du temps à l'écrire. Mes idées sont plutôt noires en ce moment et essayer de trouver quelque chose à lui expliquer ne fut pas une chose aisée! Mais qu'importe. Il connaît pertinemment ma situation et ne s'attendait pas à avoir des paroles joyeuses et délurées.
Du grabuge se fit entendre dans le couloir d'habitude si paisible. Qui peut bien débouler ici avec si peu de respect pour les malades? Le bruit se rapprocha de ma chambre et me rendit de plus en plus perplexe. Ce sont des pas rapides apparemment.
Mon instinct de soldat me cria de me mettre à couvert et de prendre mon arme mais je revins vite à la réalité: je suis incapable de me lever et je ne suis pas armée. La sueur coule sur mon front tandis que je regarde ce qui pourrait me servir. En désespoir de cause, ma main attrapa le pied à perfusion. Je ne sais pas ce que je pourrai faire avec mais j'improviserai.
La porte s'ouvrit dans un fracas d'enfer. J'eu à peine le temps de réaliser quoi que ce soit que deux masses furent sur moi et m'étouffèrent. Mes membres furent comprimés et j'eu du mal à respirer. La panique me gagna jusqu'à ce qu'un détail me percute. Cette odeur. Je la connais. Et même trop bien à mon goût. Je repoussai du mieux que je pus les deux énergumènes qui, visiblement, avaient décidé que je n'avais pas assez souffert comme ça.
- Vous voulez ma mort ou quoi? m'énervais-je.
- Bonjour à toi aussi sœurette, ricana Sébastien.
- Salut, maugréais-je malgré moi. Je peux savoir ce que vous faites là?
- Tu es à l'hôpital, me dit Jean-François comme si l'information allait de soi.
- Merci, j'avais remarqué. Vous êtes venus pour éclairer ma lanterne? persiflais-je. J'ai reçu des coups de couteaux. Je ne suis pas devenue amnésique. Je sais pertinemment où je me trouve.
- Ta mémoire doit présenter des anomalies puisque tu n'as pas jugé utile de nous prévenir, grogna Sébastien.
Je baissai les yeux, honteuse de ma réaction, mais ma raison reprit le dessus assez vite. Je me redressai et fis face aux deux seules personnes qu'il me restait.
- Je ne voulais pas vous inquiéter pour rien. D'ici quelques jours, je serai sortie d'ici.
Ils échangèrent un regard et vinrent s'asseoir chacun d'un côté de mon lit.
- Et que crois-tu que ça nous ait fait de savoir que tu étais blessée? Et surtout que tu n'aies même pas daigné nous le dire?
Sébastien, le plus jeune de la fratrie, me regarda intensément mais ce que je pus déceler dans ses yeux n'était pas de la colère. C'était de la tristesse. Je l'ai blessé en gardant le silence. Je me suis montrée égoïste sur ce coup et mon cœur se serre en y pensant.
- Vous étiez trop loin, mentis-je. Je ne voulais pas vous déranger avec ça. Toi, Jean‑François, tu vis en Australie et toi, Seb, à Rome! Je ne vais pas vous faire rappliquer à Charlesville-Mézière à chaque fois que je suis blessée! m'énervais-je.
Le ton monta et mes mains tremblèrent sous la colère. Je suis capable de me débrouiller seule mais encore faut-il qu'ils me laissent faire!
- Et puis d'ailleurs, comment se fait-il que vous soyez là, tous les deux? demandais-je suspicieuse. On ne peut pas dire que vous passiez dans le coin! De Rome, je peux comprendre, nous sommes dans le même fuseau horaire mais toi Jef?
- Qu'est-ce qu'il se passe ici?
Cette voix m'est inconnue et pourtant elle me fait frissonner sans que je ne puisse rien contrôler. Quand je levai les yeux, je tombai nez à nez avec Shadow. Première fois qu'il passait la porte de ma chambre et je me rendis compte qu'il devait probablement être là à cause de mes frères. Après tout, il est agent de sécurité et le personnel a dû l'avertir.
- Bonjour, lui soufflais-je, ennuyée. Tout va bien merci.
- C'est vous qui avez débarqué comme deux furies? demanda-t-il sévèrement en se tournant vers les deux autres. Nous sommes dans un hôpital ici pas dans une gare jeunes hommes!
- Excusez-nous, répondit le cadet, contrit. Nous étions pressés de voir la demoiselle ici présente.
Je tiquai face au surnom qu'il m'avait donné. Je ne suis pas une demoiselle en détresse bon sang! J'admets que la situation puisse porter à confusion mais il devrait me connaître assez pour savoir que ça m'exaspère!
- Vous ennuient-ils madame?s'enquit-il en s'adressant poliment à moi.
Ah voilà qui est mieux! Non mais, je suis leur aînée et ils ont l'air de l'oublier. Il faudrait peut-être que je réponde avant que mon sauveur ne les embarque manu militari. Quoi que, ça pourrait être drôle tout compte fait.
- En fait, oui, souriais-je. J'aimerais qu'ils s'en aillent.
- Vous avez entendu messieurs. Suivez-moi, je vais vous ramener à l'extérieur.
Mes deux frangins me regardèrent comme deux ronds de flan. Ils ne s'attendaient pas à une telle réaction. Contente de mon petit effet, je fus cependant prise de remords. Je ne pouvais décemment pas les envoyer bouler alors qu'ils avaient fait autant de kilomètres pour me voir!
- C'est bon, riais-je. Je plaisante. Ils peuvent rester monsieur l'agent. Ils ont beau être un peu brut, je les aime quand même.
- Êtes-vous certaine?
- Oui. Merci de vous être déplacé.
- C'est mon travail. Mais si vous avez le moindre ennui, prévenez-moi immédiatement. D'accord? insista-t-il.
J'acquiesçai pour répondre avant de le voir sortir de la pièce, mon regard se perdant sur les atouts arrières de mon sauveur. Décidément, quelque chose ne tourne pas rond chez moi.
- Tu peux me dire à quoi tu joues? Comptais‑tu vraiment nous faire jeter dehors comme des malpropres? s'énerva Jean‑François.
- Vous auriez vu vos têtes, répondis-je avant d'éclater de rire. C'était hilarant!
Sébastien et Jef se regardèrent comme s'ils n'y comprenaient plus rien. Ce qui doit être le cas puisque moi-même je n'en sais rien!
- Revenons-en à nos moutons. N'auriez-vous pas quelque chose à me dire tous les deux?
Un long silence pesant fit son entrée dans la pièce. Quoi qu'ils aient à me dire, ça n'allait sûrement pas être joyeux. Sébastien soupira mais se décida à m'expliquer la situation.
- Nous avons eu des nouvelles de Clément.
- Où est-il?
- Nous ne savons pas exactement. Il nous a juste envoyé une carte à chacun mais provenant de deux pays différents. La seule chose dont nous soyons sûrs, c'est qu'il est en Europe.
La petite flamme de l'espoir qui s'était éteinte deux minutes avant, vint se rallumer aussi vite. L'Europe. Si proche de nous et en même temps si loin.
- Tu n'as rien reçu de lui? me questionnèrent-ils.
- Non. Du moins pas que je sache.
J'étais la plus proche de lui et je n'ai plus rien eu comme contact alors qu'eux, oui. C'est à n'y rien comprendre.
- La tienne se sera sans doute perdue, c'est tout! tenta de me rassurer le plus jeune.
- Peu importe... d'où venaient les vôtres?
- Celle de Jef de Grèce et la mienne de la Sicile.
- Il se rapproche mais pourquoi ne nous contacte-t-il pas? C'est dingue quand même! Et papa et maman ont-ils eu des nouvelles?
- Non aucune, repris Jef après quelques instants.
Après tout, il est adulte et fait ce qu'il veut. Mais bon sang, ce que j'aimerais qu'il soit près de nous! Dans mes réflexions, je n'avais pas remarqué que mon poing avait frappé, non pas mon lit, mais mon ventre. Une pointe de douleur me fit revenir à moi et un couinement pas très élégant sorti de mes lèvres, alertant mes voisins.
- Es-tu sûre que ça va ma belle?
- J'ai connu mieux mais ça ira.
- On voit ça, rétorqua Seb, ironique. Plus sérieusement, nous allons restés dans le coin quelques jours, voir un peu plus. Sacha et Ashley sont au courant.
- Mais votre famille a besoin de vous...
- Tu en fais partie même si tu as tendance à l'oublier, asséna Jean-François. Au départ, nous devions chercher Clément mais dès que nous avons appris pour toi, nous les avons prévenues que nous resterions près de toi.
- En parlant de ça, comment avez-vous su?
- Quelqu'un de l'administration a trouvé mon nom dans ton dossier, précisa Seb. Apparemment tu m'as désigné comme personne à contacter. Comme j'ai eu des problèmes de portable, je n'ai eu leur message que récemment.
J'avais oublié ce détail. Et même si j'aurais préféré qu'ils ne sachent pas, je suis contente qu'ils soient là. Cela fait trop longtemps que je ne les ai plus vus et ça fait du bien. Ils m'ont manqué.
- Où allez-vous loger pendant que vous serez ici?
- On a loué un appartement en ville, répondit Jef. Ça revenait moins cher et on est libre d'aller et venir sans qu'on ne nous dise quoi que ce soit.
- Tu en as encore pour combien de temps ici?
- Je ne sais pas. Il y a eu quelques complications.
Impossible de leur dire la vérité. Ils n'en sauront pas plus. Du moins pas maintenant. Je ne suis pas prête à révéler ça à mes proches et peut-être ne le serais-je jamais.
Après avoir discuter des parents et de leurs familles respectives, ils décidèrent de me laisser me reposer et de repasser plus tard. Cette visite m'a épuisée aussi bien physiquement que mentalement.
J'ai vu Shadow de plus près.
Il a rencontré mes frères.
Clément se rapproche...
C'est le sourire aux lèvres que je m'endors et rejoins les bras de Morphée.
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Ne me fustigez pas... Danielle et Geoffrey sont enfin de retour! Je m'excuse du temps d'attente et même si je ne peux pas promettre d'écrire aussi vite qu'avant, je m'y suis remise pour de bon.
Merci d'avoir patienter les loupiots.
Alors que pensez-vous de tout ça? On en apprend un peu plus sur Danielle et sa fraterie et... Elle a enfin vu Geoffrey de près! Il a bien été obligé de sortir du bois et de rentrer dans cette chambre qu'il évite au plus au point!
Que pensez-vous qu'il va se passer maintenant? Des idées? L'un ou l'autre va recevoir une lettre en tout cas, c'est certain!
Bisouilles les p'tits loups :-).
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