1. 145
Encore une journée où j'aurais préféré rester dans mon lit! Les jours se suivent et se ressemblent tous depuis que j'ai appris la nouvelle. Je n'en peux plus d'être heureux devant les autres alors qu'au fond je suis à bout. Heureusement pour moi, ma famille est au courant, c'est déjà ça de gagné. Les visites chez le médecin se sont espacées aussi pour mon plus grand plaisir.
Mon tour du bâtiment est bientôt terminé. Plus qu'un étage à vérifier et je pourrai passer la main. Ce n'est pas trop tôt! En plus, les gens sont parfois lourds mais nous devons les supporter et rester stoïques.
- Hey, salut Geoffrey!
- Salut Bruno. Je ne t'ai pas entendu arriver.
- J'ai vu ça. Ça va vieux?
- Oui oui. Content que la journée se termine c'est tout!
- J'imagine, rit-il. Alors tu vois qui ce soir?
- Je ne sais plus, je dois vérifier, plaisantais-je à mon tour.
- J'aimerais vraiment avoir ton carnet d'adresses! Tu me le refileras à l'occasion?
- Ah non, c'est document classé top secret.
- Dommage! T'en as encore pour longtemps?
- C'est le dernier étage puis j'ai fini. Et toi?
- Ma garde commence seulement. Et des tas de soins m'attendent, me dit-il dans un cirque digne d'une pièce de théâtre.
- Amuse-toi bien dans ce cas.
- Je préférerais être à ta place. Tu me raconteras?
- Tu peux toujours rêver gamin! Tout ça restera entre ma conquête du jour et moi!
- Au fait, en parlant de ça, tu as vu la nouvelle patiente de la 145? Un sergent plutôt pas mal foutue...
- Je sais juste qu'elle est arrivée il y a quelques jours, mentis-je.
- Je tenterais bien ma chance, rêva-t-il.
- Laisse ça se remettre. Si elle est ici, ce n'est sans doute pas pour rien. Ils sont plutôt du genre solide à l'armée.
- Tu n'as pas tort.
- Bon je te laisse si non je n'aurai jamais fini.
- Je m'en voudrais de te faire arriver en retard à ton rencard. Bonne soirée.
- Merci. Toi aussi.
Si seulement il savait que c'est avec ma télé et mon canapé que j'ai rendez-vous... Tout le monde me prend pour un Don Juan qui passe d'une femme à l'autre. Et je n'ai pas envie de les détromper. De quoi aurais-je l'air? L'admiration que je peux voir dans les yeux de certains se transformerait en pitié et je n'ai pas besoin de ça.
Je commence donc à vérifier le premier étage tandis que notre conversation au sujet de la nouvelle venue tourne dans ma tête. Je l'ai remarquée mais je n'allais pas le dire à Bruno sous peine de la voir devenir ma énième conquête dans leurs têtes. Je me demande ce qui a bien pu lui arriver. Comme tous les soldats qui viennent se faire soigner ici, son dossier est classé secret‑défense et donc personne n'est au courant excepté ses médecins. À force de côtoyer des soldats, je sais que s'ils viennent ici, c'est pour une bonne raison. Que ce soit une femme n'y change rien. Je dirais même que vu le courage qu'il leur faut pour évoluer dans un monde d'hommes, elles seraient les dernières à se plaindre. Et son grade me fait dire qu'elle aurait encore moins envie que les autres d'être là. Arrivé au niveau de sa chambre, je vois que sa porte est ouverte. Je ne suis pas un saint et la curiosité me pousse à jeter un coup d'œil au moment où je passe. Ce n'est pas la première fois que je le fais mais cette fois-ci, elle est assise dans son lit et nos regards se croisent. Le contact a été bref, juste une poignée de secondes, mais ça m'a suffit pour être intrigué et me faire détaler au plus vite. Ça m'apprendra à regarder! Dorénavant, je me tiendrai éloigné le plus possible de cette chambre. Ou du moins mes yeux se porteront ailleurs quand je passerai par ici.
Je ne peux rien apporter à une femme. Peu importe ce que les autres disent. Je ne veux pas leur imposer ma stérilité. Être mère est une bénédiction que beaucoup désirent. Hors je ne peux plus leur offrir ça à cause de ce fichu cancer. Je me contenterai d'être le papy de Sophia, Sylvie, Joy et des prochains enfants à venir. Parce que je ne me fais pas d'illusions, la famille va s'agrandir! Même si ce ne sera pas de mon fait.
Jusqu'à il y a quelques mois, Olivier travaillait ici aussi. Ça me plaisait de le croiser. Nous discutions souvent mais il s'est fait renvoyé à cause de son beau-père et n'a pas voulu réintégrer son poste malgré les excuses fournies par l'hôpital. Il est en train de chercher ce qu'il veut vraiment faire de sa vie et je suis le premier à l'encourager dans cette voie. Même s'il a retrouvé son père biologique, je le considérerai toujours comme mon fils et je suis content de le voir enfin heureux. Avec Jack tout roule, si je puis dire ainsi. Trois mois après leur mariage, ils sont encore dans leur période lune de miel. Ils se sont installés dans l'appartement d'Olivier puisque ce dernier ne voulait pas être loin d'Audrey. Tonio, ne supportant plus la vie de couple de son frère, a emménagé provisoirement dans celui de Jack. Si je me rappelle bien, il est en pleine recherche pour une maison. Benjamin ou Alexis, un des deux, a décidé de venir habiter dans le coin et il serait donc question d'une cohabitation dans le même genre que son frère avec sa meilleure amie.
Les derniers événements nous ont beaucoup choqués. Il nous a fallu du temps à tous pour nous en remettre et les couples des Lucas sont passés par des moments assez rudes. Mais le plus dur est passé. Cette période n'a pas facilité ma rémission. Nerveusement parlant je n'en pouvais plus alors que je devais éviter tous stress. Encore une fois, notre esprit de famille nous a tous aidé sans que nous ayons à passer par des antidépresseurs ou autres crasses du genre.
Enfin arrivé à la salle de repos, je prends quelques minutes pour boire un café avant de me changer et de reprendre la route. Je n'ai qu'une envie: me retrouver sur mon canapé avec mon repas devant la télévision et ne plus bouger. Je suis un vrai casanier. Je me sens si vieux en voyant mon programme! Et pourtant je n'ai envie de rien d'autre. Quand je pense à la vision que mes collègues ont de moi, je ne peux m'empêcher de rire. Ma dernière relation date de plusieurs mois. Je n'avais même pas encore rencontré Audrey pour tout dire.
Un vendredi soir, impossible de rentrer chez soi sans devoir supporter les embouteillages. La radio est allumée sur une chaîne quelconque, mes idées s'envolant vers des yeux gris d'une tristesse à vous pourfendre le cœur. Je ne sais pas ce qu'elle a vécu mais quelque chose me dit qu'elle fera tout pour y remédier. Si elle est ne serait-ce qu'un peu comme Ludrey, la chute aura beau avoir été rude, elle se relèvera et continuera. Mais je ne la connais pas. Peut-être que je me trompe.
Une fois garé, je me dirige vers ma porte quand quelque chose me passe entre les jambes me faisant presque perdre l'équilibre. J'ai beau ne pas être une petite nature, les traitements m'ont affaibli et je tiens sur mes jambes beaucoup moins bien qu'avant. Quand je suis de nouveau bien stable, je regarde où est le fauteur de troubles. Un chat gris est assis face à moi et me regarde droit dans les yeux. Allons bon! Une boule de poils!
- Qu'est-ce que tu fais là toi? lui demandais-je. Comme si un chat allait me répondre!
Mais contre toutes attentes, il se met à miauler content d'avoir trouvé un compagnon. Je vérifie mais il n'a pas de collier autour du cou.
- Tu me parais bien seul aussi minou. Je suis sûr que tu trouveras des petits copains pas loin.
Après une caresse, je m'en vais, trop las pour rester à bavasser avec un félin. L'ascenseur met un temps qui me paraît infini pour arriver. Il est aussi vieux et rouillé que moi! C'est un appartement silencieux qui m'accueille. Tout est rangé et propre. Des coussins de toutes les couleurs qu' Audrey et Auriane m'ont forcé à acheter sont installés sur le canapé trois places beige. Une couverture multicolore qu'Olivier m'a offerte pour compléter l'ensemble est quant à elle sur mon fauteuil électrique. Si je les avais écoutés, je me serais retrouvé avec des babioles un peu partout. C'était un bon compromis pour égayer un peu mon intérieur. C'est vrai que les murs blancs et le mobilier clair donnent une impression de froid et d'austérité. Mais pour le peu de temps où je m'y trouve, ça me convient. En plus, à part eux, personne ne vient me rendre visite alors à quoi bon?
Une bonne douche me requinquera sûrement. J'ai transpiré toute la journée ce qui rajoute à mon coup de mou. Je me déshabille et vais directement sous l'eau. Depuis la découverte de ma maladie, je ne prends plus le temps de profiter de la sensation du liquide chaud sur ma peau. J'ai bien trop peur de tomber alors que je suis seul. Après m'être séché, je passe la serviette autour de ma taille. Je frotte le miroir rempli de buée et, pour la première fois depuis des mois, je m'observe. Le traitement a fait des ravages. Je n'ai plus que la peau sur les os et mes cheveux ne sont plus ce qu'ils étaient. Je passe une main sur mon cuir chevelu pour réaliser avec horreur, que des trous sont apparus. Habitué à mettre une casquette, je ne m'en étais pas aperçu et puis je fuis mon reflet depuis tellement longtemps! Pourquoi les autres ne m'ont-ils rien dit? Sans doute n'ont-ils pas voulu en rajouter... Ils ne se rendent peut-être pas compte du reste non plus. Avec les vêtements, il est facile de camoufler le poids perdu. Cela dit, en voyant ce que me renvoie le miroir, je comprends pourquoi mes pantalons et mes chemises sont trop larges. Je ne peux pas rester comme ça, en tout cas pas pour mes cheveux. J'ai acheté une ceinture et je rentre mes chemises ce qui règle le problème vestimentaire mais pour le reste... j'attrape la tondeuse qui se trouve dans l'armoire sous l'évier et me fais la boule à zéro. Pas une seule hésitation même si des larmes de déception face à ce que je suis devenu font leur apparition. Ça ne représente rien pour moi. Après tout, c'est comme ça que je suis maintenant. Et je ne veux plus plaire à qui que ce soit. En plus s'ils doivent repousser, ils seront réguliers.
Mon pyjama enfilé, je me rends dans la cuisine afin de me réchauffer un plat préparé. L'appétit n'est pas plus présent. Je peux même dire qu'il est quasi inexistant mais je me force à manger pour prendre des forces. Si je veux continuer à tenir debout et à profiter de ma famille, je n'ai pas le choix. Encore une fois, les filles se sont amusées à remplir mon congélateur avec tout un assortiment. Apparemment elles me connaissent assez bien pour savoir que je ne ferais pas le moindre effort à ce niveau-là. Elles s'arrangent toujours pour que quelqu'un vienne faire le plein, que je sois consentant ou non. Mon plateau dans les mains, je m'installe dans le fauteuil. J'étends les jambes et allume l'écran qui me fait face.
Mes pensées retournent involontairement vers 145. Cette femme dont je ne connais pas le nom et dont le regard va me suivre longtemps. Nous avons ce point commun, elle et moi: nous sommes des survivants. Nous ne luttons probablement pas contre les mêmes démons, c'est un fait. Mais nous luttons pour survivre. Du moins je suis sûr qu'elle le fait. Pour ma part, je n'en suis pas certain... Si mes «enfants» n'étaient pas là, aurais-je la force de continuer? En aurais-je seulement l'envie? Je n'ai plus d'avenir à par eux.
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Premier chapitre du point de vue de Geoffrey. Ses pensées ne sont pas très joyeuses et on peut comprendre pourquoi. Mais a-t-il raison? N'a-t-il plus d'avenir?
En tout cas, nous sommes heureux d'avoir des nouvelles des autres. Nous nous doutions bien que les Lucas allaient en baver et même si Geoffrey ne rentre pas dans les détails, nous ne pouvons qu'imaginer ce qu'ils ont dû endurer. Après tout, Auriane et Audrey ont un sacré caractère!
Alors mes loupiots, que pensez-vous de ce premier chapitre? Comme d'habitude, je compte sur vous pour me souffler vos idées ;-).
Bisouilles
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