Troubles


Comme elle s'y attendait, Elisabetta trouva Gabriel, François, Jean et Matteu attablés à la cuisine. Ils semblaient épuisés et n'avaient manifestement pas changé de vêtements depuis la veille. Lorsqu'elle entra dans la pièce, ils se levèrent dans un ensemble parfait pour la prendre dans leurs bras.

- Je vais bien, je vais bien, lâchez-moi vous m'étouffez !

- Mais où étais-tu ?

Nous avons appris l'accident avec la carriole des Venazzi. Ils t'ont fait quelque chose ?

- Non, non rien du tout ! J'ai eu envie d'aller marcher un peu dans la montagne et je suis passée à la bergerie de grand-père. C'est là que j'ai été surprise par l'orage.

- Tu as passé la nuit là-bas ?

- Oui, je n'ai pas eu le choix.

- TOUTE SEULE ?

- Gabriel, regarde, je vais bien. Oui j'étais toute seule. Mais...Comment aurait-il pu m'arriver quelque chose ?

- Et si un Venazzi traînait dans les parages ?

- Crois-moi, ils étaient bien trop occupés à se lamenter devant leurs bouteilles de vin.

- C'est vrai ce qu'on raconte ? Tu les as insultés et le cheval a rué ?

- Oui c'est vrai.

- Bien fait pour eux. Apparemment, il s'agissait de vins assez anciens. Leur perte financière sera très élevée. Je suppose que c'est à cause de l'atelier de tissage que tu as eu des mots avec Pasquale Venazzi ?

- Comment tu le sais ?

- Il est venu m'apporter la lettre qu'il comptait te donner.

Elisabetta se sentit soulagée que ses frères ne posent pas plus de questions au sujet de son escapade de la veille et qu'ils ne la punissent pas pour s'être enfuie de la maison sans leur accord.

Manifestement, ils étaient bien plus préoccupés par la lettre écrite par Pasquale Venazzi.

Au moins, ils ne l'empêchèrent pas de sortir lorsqu'elle exprima son souhait de se rendre à la fontaine du village.

La jeune fille marcha d'un bon pas tout en songeant à la nuit qu'elle avait passée dans la bergerie. Elle avait honte de se l'avouer mais elle n'avait jamais aussi bien dormi. La chaleur corporelle de Leandru associée aux couvertures avait eu un effet apaisant sur elle. Elle s'était sentie...en sécurité dans ses bras. Elle avait aimé sentir ses mains sur elle, comme le jour où elle avait surpris ses frères non loin de la Santa Riparata.

Elisabetta sursauta à cette réflexion : comment pouvait-elle penser cela ? Il avait quand même...il l'avait poussé contre un arbre et il...

Mais il avait paru sincèrement désolé par la suite. Ses larmes...

Qui était-il vraiment ? Pourquoi cette propension aussi rapide à la colère ? Et pourquoi insistait-il à présent pour ne plus être lié aux querelles qui opposaient leurs deux clans ?

Perdue dans ses pensées, Elisabetta ne remarqua pas immédiatement qu'elle n'était plus seule à la fontaine.

La jeune fille tenta de cacher son trouble lorsqu'elle vit que Leandru venait d'arriver avec une vieille dame.

- Nous devrions rentrer grand-mère. Tu as déjà marché beaucoup aujourd'hui.

- Mon petit...je n'ai pas envie de rejoindre ton grand-père au cimetière. Mon heure n'est pas encore venue. Tant que je serai capable de marcher, je continuerai à effectuer ma promenade quotidienne, que tu le veuilles ou non !

Leandru cacha mal un soupir d'exaspération, ce qui fit sourire Elisabetta. Le jeune homme croisa son regard au même moment et il lui rendit son sourire. La jeune fille détourna alors la tête en sentant qu'elle rougissait.

Pourquoi ne semblait-il pas gêné de la croiser ? Ils avaient quand même partagé le même lit, ils avaient dormi ensemble sans même être promis l'un à l'autre et surtout sans avoir aucun sentiment l'un pour l'autre.

La grand-mère de Leandru qui n'avait pas remarqué l'échange silencieux entre son petit-fils et la jeune fille, sursauta lorsqu'elle se rendit compte de sa présence.

- Viens Leandru, nous n'avons plus rien à faire ici.

Elisabetta fit semblant de ne pas avoir entendu : elle avait remarqué que François arrivait dans sa direction accompagné de Martin Giacobi et elle se crispa : comment ce garçon pouvait-il continuer à fréquenter ses frères en sachant qu'il avait voulu attenter à son honneur quelques semaines plus tôt ?

Elle l'accueillit froidement lorsqu'il la salua et elle eut toutes les peines du monde à cacher sa colère lorsque François l'informa qu'ils étaient invités à diner chez les parents de Martin le soir même.

Peu désireuse de rester en aussi mauvaise compagnie, Elisabetta indiqua à son frère qu'elle allait rentrer pour aider sa mère à la maison.

Elle ne remarqua pas que Leandru avait observé toute la scène et qu'il cachait difficilement sa colère.

Le soir venu, Elisabetta fit tout ce qu'elle put pour ne pas croiser le regard de Martin Giacobi. Heureusement, il n'était pas placé à côté d'elle et elle préféra engager la conversation avec sa mère au sujet de l'atelier de tissage. Gabriel, qui ne lâchait pas sa petite sœur du regard, comprit très vite qu'elle était mal à l'aise et il craint un instant que les Venazzi n'aient une nouvelle fois cherché à l'ennuyer.

L'aîné des Casaleccia était préoccupé : il avait compris toutes les allusions du père de Martin au sujet de sa sœur et il se demandait s'il devait encourager les discussions entre les deux familles. Son père avait toujours clamé haut et fort que ses enfants seraient libres de choisir leur futur conjoint et Gabriel ne voulait surtout pas trahir la parole de son père. Mais il savait aussi qu'une alliance entre les deux familles était presque vitale pour la survie de l'exploitation familiale des Casaleccia. Les Giacobi avaient de l'argent, une entreprise d'outils et de machines agricoles et surtout ils possédaient d'immenses vergers dans la plaine.

Lorsqu'ils retournèrent à leur domicile et après avoir embrassé sa mère, Gabriel prit Elisabetta à part :

- J'aimerais que tu me dises franchement ce que tu penses de Martin ?

- Pourquoi ?

- Réponds à ma question Lisa.

- Je ne l'aime pas.

Le visage de Gabriel Casaleccia se crispa légèrement : il se doutait bien que sa sœur n'avait pas l'air d'apprécier Martin mais son ton très sec lui fit comprendre qu'il était inutile d'essayer de la raisonner.

Comprenant sans doute que son frère lui cachait quelque chose, Elisabetta le fixa avec insistance :

- Tu...tu n'es pas occupé à...à négocier dans mon dos pour...

- Non...non. Seulement...Monsieur Giacobi m'a fait comprendre que...

- Je vais avoir dix-sept ans Gabriel. Je n'ai pas envie de me marier. Pas maintenant. Et encore moins avec Martin. Et si tu ne le lui dis pas toi-même je m'en chargerai.

- Non....non je...je m'en occupe. Tu...es certaine Lisa ?

- Oh oui.

- Tu sais, tu devrais peut-être te laisser le temps d'y réfléchir.

- Non, ce n'est pas nécessaire.

Elisabetta se retint de crier à son frère les gestes déplacés que Martin Giacobi avait eu à son égard et elle fit mine de rentrer lorsqu'il l'interpella à nouveau :

- Lisa...je sais que tu es encore jeune mais...pourquoi ce refus ? Y a-t-il un autre garçon qui...

- Non. Personne.

- Tu...me le dirais n'est-ce pas ?

- Pour qui me prends-tu Gabriel ? Bien entendu. Pourquoi te préoccupes-tu tout à coup de mon avenir ? M'aurais-tu caché quelque chose ?

- Non. Tu devrais rentrer à présent. Bonne nuit Lisa.

- Bonne nuit Gabriel.

En se couchant dans son lit, Elisabetta revit dans son esprit Leandru Venazzi, qui la regardait avec douceur tout en l'amenant dans ses bras la nuit précédente.

Une nouvelle fois elle sentit des frissons parcourir son corps au souvenir des mains du jeune homme sur elle.

La jeune fille oublia cependant l'épisode de la bergerie les semaines qui suivirent car le printemps avait enfin fait son retour en Corse et les Casaleccia ne manquaient pas de travail.

Elisabetta se levait aux aurores pour se coucher très tard le soir et elle était épuisée. Mais au moins, l'argent rentrait, les clients étaient de plus en plus nombreux à Ponte Leccia et certains venaient même de Corti pour acheter les produits de l'exploitation familiale.

Leandru, qui était rentré au domaine de Ponte Leccia, n'avait, contrairement à Elisabetta, pas pu oublier la nuit dans la bergerie. Il avait tout fait pour cacher son trouble pour ne pas effrayer plus encore la jeune fille mais dormir avec Elisabetta dans ses bras l'avait bien plus perturbé que ce qu'il imaginait. Il avait agi instinctivement, songeant uniquement à sa santé mais ensuite, tandis qu'elle dormait paisiblement contre lui, il avait eu tout le temps de songer à l'étrangeté de la situation.

Elisabetta avait un caractère très affirmé, elle l'avait insulté à de nombreuses reprises, c'était une Casaleccia et il aurait dû ressentir un certain énervement à devoir partager le même lit qu'elle. Mais il avait oublié tout cela dès l'instant où elle s'était blottie contre lui.

Le jeune homme tenta de se focaliser sur la vigne qu'il était en train d'examiner mais il fronça les sourcils : il pensait bien trop souvent à Elisabetta ces derniers jours. Les rares fois où il avait été à Merusaglia il ne l'avait jamais vue et il s'était senti contrarié. Il n'avait croisé Elisabetta que le lendemain de leur nuit dans la bergerie et il avait fallu que Martin Giacobi s'amène à la fontaine. Au moins, il avait eu la satisfaction de voir le mépris affiché par Elisabetta face à lui mais surtout, avant que cet imbécile n'arrive, elle lui avait souri. Elle lui avait souri pour détourner la tête très vite en rougissant et cela ne lui ressemblait pas.

Leandru repensa alors à la manière dont il avait coincé la jeune fille contre le pin, lorsqu'il avait explosé de colère et qu'il avait écrasé ses lèvres avec sa bouche.

Le jeune homme serra les poings à ce souvenir : il devait absolument revoir Elisabetta et lui faire comprendre que plus jamais il ne se comporterait de la sorte.

Non, il n'y avait pas que ça. Il voulait la revoir..., parce qu'il voulait la prendre dans ses bras, parce qu'il voulait...l'embrasser et goûter à ses lèvres pour de bon.

Leandru repensa alors aux paroles de Georges :

Il te faut une demoiselle comme ma Gisèle, indomptable, têtue, tenace, qui t'en fera voir de toutes les couleurs mais à l'honnêteté et la loyauté inébranlables. Une femme qui t'aimera de manière indéfectible toute sa vie et qui sera prête à tout pour toi.

Pour ce qui était de l'aimer, c'était tout le contraire...Elisabetta le haïssait plus que tout mais cette petite furie avait réussi à lui voler son cœur...

Le jeune homme leva les yeux vers les montagnes derrière lesquelles se cachait le village de Merusaglia : elle lui manquait,...voilà pourquoi il ne cessait de penser à elle.

Son père allait le tuer s'il apprenait qu'il avait des sentiments pour une Casaleccia...

Leandru se sentit très accablé : il n'imaginait pas qu'une telle chose puisse lui arriver. Devait-il lutter, revenir à la raison et oublier Elisabetta ?

Après tout, ses sentiments n'étaient pas réciproques...


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Quelques réflexions intéressantes de chaque côté n'est-ce pas ?

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