Trêve


Le regard fermé de leur père alerta immédiatement Elisabetta et Matteu et leur cœur se mit à battre plus vite lorsque Dumé Casaleccia leur annonça que leur grand-mère avait fait une mauvaise chute dans la cuisine et que le médecin ne savait pas se prononcer sur les séquelles consécutives à cet accident.

Elisabetta se précipita au premier étage de la maison, dans la chambre d'Alba Casaleccia, tout en retenant ses larmes et, lorsqu'elle vit son aïeule allongée dans son lit, le visage très pâle et les yeux clos, elle crut un instant que la mort lui avait ravi sa grand-mère. Mais Alba respirait lentement et elle tentait de se remettre de sa chute. Elle ouvrit ensuite difficilement les yeux lorsqu'elle entendit ses deux petits-enfants approcher de son lit.

- Je suis désolée de vous avoir fait si peur. J'oublie parfois que je suis une vieille dame.

Elisabetta prit la main d'Alba tout en s'asseyant sur le bord du lit :

- Promets-moi que tu vas écouter Monsieur Rocchini grand-mère. J'aiderai maman pendant ta convalescence ne t'inquiète pas. Et puis,...tu voulais que je reste un peu plus à la maison n'est-ce pas ?

- Je me sentirai beaucoup plus rassurée en effet.

La jeune fille regarda son frère un instant et elle renonça à relater sa mésaventure à son aïeule. Mais Alba avait compris que ses petits-enfants lui cachaient quelque chose et elle les toisa sévèrement :

- Que me cachez-vous donc ?

Matteu eut du mal à soutenir le regard perçant de sa grand-mère et, comprenant que, malgré son état, il était totalement inutile de lui cacher la vérité, il expliqua sans rentrer dans les détails, l'altercation qu'Elisabetta avait eue avec Leandru Venazzi. Alba Casaleccia se redressa comme elle put dans son lit, le visage livide.

- Comment ? Jamais un homme de son clan ne s'était comporté de telle manière ! Et pourtant Dieu sait qu'ils sont détestables ! Dumé !

La plus âgée des Casaleccia appela son fils qui se trouvait au rez-de-chaussée de la maison. Craignant que sa mère se sente mal il accourut aussitôt et fut surpris de voir que le visage de sa mère était déformé par la colère.

- Dumé, cela ne peut pas continuer de la sorte. Ce Leandru est décidément pire que l'ensemble des Venazzi réunis !

Elisabetta fut une nouvelle obligée de décrire ce qui s'était passé avec le jeune Venazzi et son père manqua de s'évanouir en l'entendant. Sa colère fut telle qu'il quitta la demeure familiale sur le champ pour se rendre sur le territoire du clan ennemi. Ses fils, à l'exception de Gabriel chargé de surveiller sa petite sœur, le suivirent.

Quelques anciens du village en voyant le petit groupe marcher d'un bon pas les stoppèrent avant qu'ils ne prennent la direction du hameau de Stretta. Il s'agissait d'hommes respectés par tous et ils commençaient à être fatigués par les querelles incessantes des deux familles ennemies. Ils demandèrent à Dumé Casaleccia de venir au domicile de l'un d'entre eux afin de discuter au calme et en présence de témoins, avec son rival.

Les débats durèrent jusqu'au lendemain matin et, à contre cœur, les chefs des deux familles acceptèrent de faire une trêve en raison des rumeurs toujours plus inquiétantes qui émanaient du continent. La vendetta déclarée à l'encontre des Casaleccia n'existait plus mais en contrepartie, le père d'Elisabetta exigea que Leandru Venazzi retourne immédiatement à Corti. Ses enfants, qui l'attendaient avec inquiétude depuis la veille, le virent revenir chez lui avec une mine assez satisfaite. Il expliqua ce qui avait été conclu puis il prit sa cadette et son aîné à part.

- Lisa...tu t'es fait un ennemi. Leandru Venazzi n'a pas du tout apprécié cette phrase que tu as lancée à son sujet. Si son père m'a certifié que leur clan s'en tenait au code d'honneur qui avait toujours prévalu jusqu'à présent, il m'a indiqué qu'il avait beaucoup de mal à canaliser son plus jeune fils. Il a reconnu que celui-ci n'avait pas à te toucher ni à te brutaliser comme il l'a fait mais...il m'a dit qu'il ne pouvait pas tout contrôler et qu'il ne pouvait pas enfermer son fils à longueur de journée. Lorsque la classe reprendra, je veux que Gabriel t'accompagne dans tous tes déplacements. Et tu resteras à la maison. La convalescence de ta grand-mère sera longue. Ta présence à ses côtés sera la bienvenue.


Elisabetta tenta de faire fléchir son père mais elle n'y parvint pas. Du bout des lèvres elle accepta de rester quelques temps à la maison, à se cantonner à des tâches ménagères pendant que les hommes de la famille cherchaient une manière de régler le sort de Leandru Venazzi. Lorsque les vacances scolaires prirent fin, elle se rendit tous les jours à la petite école du village accompagnée de Gabriel et ce dernier était systématiquement présent à la sortie de la classe. La jeune fille n'appréciait pas du tout ce traitement de faveur car elle avait l'impression d'être redevenue un bébé incapable de se débrouiller seul. Elle finit par le lui dire à la fin du mois de mai.

- Je vais avoir quinze ans Gabriel ! Quinze ans, pas cinq !

- Papa a exigé que tu ne te déplaces plus toute seule. Et il a raison, on n'est jamais trop prudent.

- Mais enfin, ce...ce baulu est retourné à Corti. Il ne reviendra pas avant juillet. Tu as même dit que les Venazzi n'avaient sans doute pas...

- Tais-toi Lisa. Ne me parle pas de ces gens.

Elisabetta accéléra le pas, mécontente de l'attitude de son aîné. Le jeune homme soupira et il l'arrêta en posant sa main sur son épaule.

- Lisa...

La cadette des Casaleccia ne put retenir plus longtemps sa fureur :

- Lorsque je ne suis pas en classe, je suis obligée de passer mes journées enfermée à la maison alors qu'il y a tant à faire dehors !

- Grand-mère va devoir garder le lit encore un peu et ensuite, elle devra faire attention.

- Je ne peux même plus aller dans le maquis pour y chercher ses herbes et ses plantes ! Enfin Gabriel, qu'est-ce que je risque ? Tu as répété des dizaines de fois que jamais aucune femme et aucun enfant n'avaient été en danger dans notre famille. Pourquoi est-ce que ça serait différent avec moi ?

- Papa craint que ce bastardicciu n'agisse seul.

- Seul ?

- Tu as choisi la pire des insultes à son égard. Celle qui le visait lui et pas sa famille dans son ensemble.

- Donc...ça va être ma faute si je comprends bien ?

- Je n'ai pas dit cela. Je hais cette famille : ils arrivent à semer le trouble parmi nous sans même nous approcher.

Gabriel regarda sa petite sœur et il retrouva rapidement le sourire : Elisabetta avait bien grandi et elle s'affirmait de plus en plus. Le jeune homme se demandait ce que cela allait donner lorsqu'elle serait en âge de se marier et il espérait que ce temps arrive le plus tard possible. Il n'avait cependant aucun doute sur le fait qu'elle n'aurait pas besoin d'aide pour éconduire les prétendants qui ne seraient pas à son goût. Gabriel soupira : dans moins de deux ans, sa petite sœur adorée regarderait sans doute les garçons du village différemment et les ennuis allaient sûrement se multiplier.

Il avait rapidement fait le compte : à son sens, aucun des jeunes hommes de Merusaglia n'était assez bien à ses yeux pour sa sœur et s'il tenait à ce qu'elle ne reste pas vieille fille, il allait devoir l'emmener à Corti ou dans la plaine pour qu'elle fasse quelques rencontres.

- À quoi penses-tu ?

Le regard perçant d'Elisabetta mit Gabriel légèrement mal à l'aise mais il retrouva très vite toute son assurance.

- A toi. Et à toutes les manières possibles de t'empêcher de quitter la maison !

Le jeune homme éclata de rire, ce qui eut pour effet de faire rapidement partir l'air scandalisé d'Elisabetta.

Finalement, c'est étroitement enlacés que le frère et la sœur regagnèrent leur domicile. Mais la jeune fille n'avait pas dit son dernier mot et à force de présenter des arguments à son père, elle finit par obtenir gain de cause :

- D'accord Lisa. Je t'autorise à retourner dans le maquis mais à une condition : que tu n'ailles que dans les endroits habituels. Je ne veux pas que tu t'aventures du côté de Stretta. Nous avons peut-être convenu d'une trêve, je ne suis pas convaincu que tout le monde la respectera...



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Lexique :

Baulu : idiot, abruti

Bastardicciu : idem que baulu


Voilà une petite trêve bienvenue pour apaiser les esprits...

 Comment voyez-vous la suite ? 

Elisabetta va t-elle chercher la confrontation ou va t-elle respecter les consignes de son père ?

Leandru va t-il accepter de rester à Corti ? Pensez-vous qu'il va accepter d'oublier l'insulte d'Elisabetta à son sujet ?

Je ne sais pas ce que vous en pensez mais ça semble bien mal embarqué pour une romance entre ces deux là non ?

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