Retrouvailles


Pour Elisabetta, le temps semblait s'être arrêté. Depuis la mort tragique de Jean, Gabriel était devenu intraitable avec elle : il avait exigé d'elle qu'elle ne sorte plus de la demeure familiale et qu'elle soit en permanence avec sa mère.

La jeune fille n'avait donc pas eu l'occasion de parler à Rose Venazzi et à l'approche de l'anniversaire de Leandru, elle se sentait déprimée, abattue et terriblement seule.

Alba Casaleccia avait détaillé à sa petite-fille l'entretien qu'elle avait eu avec Gabriel et le maire de Merusaglia. Saveriu Romiti avait clairement indiqué à l'aîné de la fratrie qu'il ne tolérerait aucun meurtre sur le territoire de la commune et il avait fait comprendre à Gabriel qu'il serait condamné à la prison à perpétuité s'il se rendait coupable de l'assassinat de Leandru Venazzi.

Le maire avait fait un compte-rendu de son entretien avec le jeune homme et, devant un Gabriel Casaleccia fou de rage, il avait indiqué qu'il écartait totalement la préméditation et surtout, il avait précisé que selon les dires de Leandru, c'était Jean qui avait lui-même allumé le feu dans la cabane.

La seule information qui manquait à Saveriu Romiti était le mobile de l'attaque de Jean Casaleccia et naturellement, il n'en aurait pas connaissance tant que Leandru et Elisabetta cachaient leur relation aux yeux de tous.

Alba Casaleccia indiqua à sa petite-fille qu'elle avait ensuite discuté plus d'une heure avec Gabriel et qu'elle n'avait pas hésité à le menacer de le déshériter pour qu'il renonce à son acte de vengeance.

La vieille femme avait expliqué à une Elisabetta sidérée par l'aplomb de son aïeule, comment elle avait convaincu son petit-fils que la survie de l'exploitation familiale était bien plus importante à ses yeux et qu'après avoir perdu Dumé et Jean elle ne tenait pas à ce que Gabriel devienne un meurtrier.

La doyenne des Casaleccia avait également indiqué à Gabriel que les récents et tragiques évènements dans le Pacifique devaient les inciter à la prudence. Personne ne savait encore comment l'entrée en guerre des Etats-Unis et la violente attaque surprise d'une de leurs bases par le Japon allaient influencer le cours du conflit qui sévissait en Europe et Alba Casaleccia tenait à ce que sa famille puisse se retrouver à l'abri du besoin.

Ainsi, il était totalement exclu que le clan se retrouve avec un homme en moins, et peut-être plus encore si les Venazzi décidaient eux-aussi de se venger.

Les paroles d'Alba Casaleccia avaient eu l'effet escompté sur Gabriel mais en contrepartie, il avait exigé que sa petite sœur ne sorte plus au village afin de ne plus croiser un seul des membres de l'infâme clan des Venazzi.

Elisabetta avait pleuré son frère mais en même temps, elle s'était sentie soulagée par le récit de sa grand-mère. Leandru n'avait pas assassiné Jean, il s'était défendu contre l'agression de ce dernier et il n'avait eu la vie sauve que parce qu'il s'était trouvé près de la porte de la cabane au moment de l'effondrement de celle-ci.

Trois jours après l'enterrement de Jean Casaleccia, il y avait eu une violente discussion au sujet de la période de deuil de la famille. Alba, la seule à connaître le secret d'Elisabetta, avait insisté pour que le clan, dans son ensemble, quitte ses habits noirs en octobre 1943, comme cela avait été décidé après le décès de Dumé Casaleccia.

La doyenne de la famille ne voulait pas prolonger plus encore le supplice de sa petite-fille et, ayant eu la certitude que Leandru Venazzi n'avait pas commis le crime dont l'accusait Gabriel, elle voulait qu'Elisabetta puisse enfin vivre aux côtés de l'homme qu'elle avait choisi.

Au village, les conversations tournaient presque exclusivement autour des Etats-Unis et de leur participation au conflit qui ensanglantait à présent les lointaines contrées de l'Est.

Certains espéraient que les Américains débarquent en Europe pour libérer la France de l'occupation allemande tandis que d'autres craignaient de se retrouver, à cause de la position stratégique de la Corse en Méditerranée, au beau milieu des conflits.

Elisabetta écoutait les longues discussions de Gabriel et de sa mère d'une oreille distraite : elle continuait à lire le journal que son frère rapportait tous les deux jours à la maison mais ses pensées étaient entièrement tournées vers Leandru dont elle n'avait aucune nouvelle.

Un samedi, à la fin du mois de janvier 1942, Elisabetta avait, comme à son habitude, passé toute la matinée à cuisiner et à élaborer biscuits et gâteaux. Elle attendait patiemment à la cuisine la fin de la cuisson de toutes ses préparations en lisant distraitement des livres de recettes de sa grand-mère.

L'irruption de Gabriel dans la pièce la fit sursauter et elle manqua de faire tomber le verre d'eau qu'elle tenait à la main. La frustration et la colère que la jeune fille peinait à dissimuler depuis des semaines explosèrent à la figure de son frère :

- Tu ne pourrais pas faire comme tout le monde et t'annoncer ? Je me demande de qui tu tiens ces belles manières.

- Tu devrais me parler sur un autre ton Lisa...

- Et toi, tu devrais ouvrir les yeux et arrêter de me traiter comme un bébé. D'ailleurs, j'en ai assez. J'ai envie d'aller me promener et Niolu tourne en rond dans le verger. Si tu as peur qu'il m'arrive quelque chose, j'ai toujours sur moi le poignard que papa m'avait donné et si tu doutes que je sache m'en servir je veux bien te le démontrer, là tout de suite !

Elisabetta n'attendit pas l'autorisation de son frère et elle sortit de la cuisine. Devant sa maison, elle découvrit Matteu qui discutait avec animation avec Louise Casaleccia.

Ils furent très étonnés en voyant la jeune fille mais ils n'eurent pas le temps de l'interpeller car Gabriel accourait derrière elle, le visage rouge de colère.

Après dix longues minutes de négociation, Elisabetta finit par obtenir gain de cause et quand elle entendit que ses deux frères accompagnaient sa mère pour la journée à Corti, la jeune fille eut du mal à cacher sa satisfaction.

Elle patienta devant sa maison jusqu'à ce que la voiture qui emmenait une partie de sa famille disparaisse au bout de la route puis elle se précipita vers le salon où Alba Casaleccia faisait de la broderie et elle lui annonça qu'elle allait faire un tour au village.

Elisabetta savait qu'elle avait très peu de chance de croiser Rose Venazzi et elle ne cessa de prier intérieurement jusqu'à ce qu'elle arrive à la fontaine du village. Elle s'assit sur le petit muret qui en faisait le tour et elle observa attentivement les alentours, ravie d'être à l'extérieur malgré les températures assez fraiches.

Bien couverte, la jeune fille n'avait pas froid et elle regarda avec amusement son chien faire quelques cabrioles. Niolu avait grandi et à présent, il devenait très compliqué de le maintenir en permanence à l'intérieur.

Elisabetta s'apprêtait à rentrer chez elle un peu déçue lorsqu'elle vit au loin une carriole dans laquelle elle reconnut la silhouette de Rose Venazzi.

Elle n'eut pas besoin de chercher une excuse, il lui suffisait de se diriger vers l'atelier de tissage et elle était certaine que la vieille femme la remarquerait.

Une demi-heure plus tard, Elisabetta s'affairait dans la réserve de l'atelier en espérant que la grand-mère de Leandru ait compris son message silencieux.

Elle savait qu'elle était tranquille : les trois employées occupées dans la pièce principale n'avaient pas l'autorisation de circuler dans les autres pièces de la maison et la jeune fille leur avait donné de quoi les faire travailler au moins pendant quatre longues heures.

Deux coups légers frappés à la porte lui donnèrent alors le sourire : à défaut de revoir enfin Leandru, elle allait recevoir des nouvelles de sa part.

Son cœur manqua alors de défaillir lorsqu'elle ouvrit la porte car devant elle, chaudement vêtu et portant un chapeau qui dissimulait une partie de ses traits, se trouvait l'homme qu'elle aimait.

Elisabetta l'entraîna rapidement à l'intérieur puis elle se jeta à son cou pour l'embrasser fougueusement.

Très vite, elle sentit les mains de Leandru voyager sur tout son corps et elle se mit à frissonner. Lorsque le jeune homme consentit à libérer ses lèvres, Elisabetta le détailla un très long moment et elle grimaça en constatant qu'il avait les traits tirés et que son visage s'était légèrement creusé.

- Je suis tellement désolé Lisa. J'aurais voulu...j'aurais voulu sauver ton frère mais je...

- Ma grand-mère m'a expliqué ce qu'il s'était passé. Le maire lui a tout raconté. Je sais que ce n'était pas ta faute. Il...il nous avait vus alors ?

- Oui. Il savait que nous étions à la bergerie. Mais il n'a pas parlé à tes frères. Il...je crois qu'il est venu directement à Ponte Leccia et qu'il a attendu que je sois seul.

- Le maire a dit que tu avais été blessé.

- Oui...

Leandru ôta alors sa veste puis il souleva lentement sa chemise : en étouffant un cri d'horreur, Elisabetta observa la cicatrice qui s'étirait sur une dizaine de centimètres sur l'abdomen du jeune homme.

Lentement, elle la suivit avec un doigt puis elle glissa ses mains sous la chemise pour caresser le torse nu de son compagnon.

Elle lui révéla les nouvelles mesures que lui avait imposées Gabriel et sa discussion où il avait accepté de la laisser à nouveau aller à sa guise dans le village et aux alentours immédiats.

- Tu ne peux plus aller dans la montagne alors ?

- Je pense que je dois éviter de me faire remarquer.

Leandru posa alors ses mains sur le ventre d'Elisabetta qui murmura :

- Je ne suis pas enceinte. Je...

- Tu as l'air déçue...

- Non mais je...je m'imaginais déjà vivre loin du village avec toi et...

- Nous pouvons partir si tu le souhaites.

- Ma grand-mère a besoin de moi...

- Je sais, la mienne aussi.

Le jeune homme recommença alors à embrasser Elisabetta et il l'enlaça fermement pour coller son corps au sien. La benjamine des Casaleccia sentit alors que le membre durci de son amant se pressait contre son bas-ventre.

Elle songea au lit qui était resté dans la pièce transformée en bureau à l'étage de la maison. Elle savait qu'il s'agissait d'une pure folie mais le désir fut plus fort que le reste. En posant un doigt sur les lèvres de Leandru, elle l'amena dans l'ancienne chambre.

Afin de parer à toute éventualité, les deux jeunes gens ne se déshabillèrent pas, se contentant de retirer ce qui les empêchait d'assouvir leur désir.

Dans les bras l'un de l'autre, Leandru et Elisabetta perdirent rapidement la notion du temps et ce n'est que deux heures plus tard, lorsqu'ils entendirent le hennissement d'un cheval à l'extérieur qu'ils réalisèrent qu'ils ne pouvaient pas rester plus longtemps ensemble.

Ils se rhabillèrent précipitamment puis ils regagnèrent silencieusement la réserve à l'arrière de la maison. Avant qu'il ne la quitte, Elisabetta tendit un petit paquet à Leandru :

- Je ne savais pas ce que je pourrais t'offrir pour ton anniversaire. J'espère que tu aimeras. C'est une écharpe que j'ai confectionnée moi-même.

- Tu es adorable.

Avant de rentrer chez ses parents, Leandru embrassa longuement la jeune fille : ils savaient qu'ils allaient devoir être encore plus prudents et que leurs rencontres seraient encore plus rares qu'auparavant.


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Spécialement pour @flaart une photo de Niolu ;-) 

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