Niolu


A la fin du mois de juin, Elisabetta fêta ses dix-sept ans avec une certaine nostalgie : à cause du deuil qu'observait sa famille, le grand repas de fête que Louise Casaleccia organisait à cette occasion avait été remplacé par un déjeuner très simple et la jeune fille avait reçu quelques cadeaux. Cependant, Elisabetta avait l'esprit ailleurs : chaque jour elle redoutait que son secret ne soit découvert. Elle avait confiance en Leandru, elle savait qu'il ne dirait rien à leur sujet mais elle redoutait que quelqu'un ne les ait vus ensemble.
Au moins, personne n'avait fait le lien entre sa disparition et celle du jeune Venazzi le jour de l'orage.

Elisabetta passa l'après-midi de son anniversaire à vérifier la production de l'atelier de tissage avec sa mère et ses belles-sœurs sans pouvoir chasser Leandru de ses pensées. Au village, une demoiselle âgée de vingt ans s'était fiancée avec un jeune homme de Bastia et quand elle les voyait à Merusaglia, toujours accompagnés de leur chaperon, Elisabetta ressentait un gros pincement au cœur.

Leandru lui manquait : elle avait beau savoir qu'il n'était pas loin d'elle, il lui manquait. Elle aurait aimé pouvoir parler avec sa sœur Letizia, lui demander des conseils mais elle ne pouvait pas, bien entendu.

La jeune fille aurait aimé savoir comment se comporter avec Leandru car personne dans sa famille n'avait encore pris la peine de lui expliquer ce qu'elle devait faire si un garçon du village venait à se déclarer et demander sa main à ses frères.

Lorsqu'Elisabetta et Louise regagnèrent leur demeure, elles eurent la surprise de constater qu'Alba était en grande discussion, sur le pas de la porte, avec un homme qui possédait un élevage de cursinu non loin de Ponte Leccia.

- Ah Lisa, je me demandais quand tu allais rentrer. Monsieur Tavanelli, vous devriez montrer le petit à Lisa.

Le petit ?

L'homme souleva alors le couvercle du panier qu'il portait et un tout petit chiot cursinu apparut.

- Sa mère est décédée, il est le seul de la portée à ne pas encore avoir trouvé de maître. Ton père m'a rendu service il y a quelques années et je n'avais jamais eu l'occasion de le remercier. Je sais que tu as perdu ton chien il y a peu et je comprendrais que tu n'acceptes pas mais...

Elisabetta regarda alors l'éleveur interloquée :

- Vous voulez dire,...je peux...l'avoir ?

- Oui. Il s'appelle Niolu. Tu le prends ?

- Oh...oui, oui !

Monsieur Tavanelli tendit le panier à la jeune fille qui s'empressa de le saisir. Dans un souffle elle remercia l'homme puis elle se dirigea vers le verger en contrebas de sa maison. Elle prit alors délicatement le petit chien dans ses bras tout en fixant l'endroit où reposait H'Orsu.

Une larme roula le long de sa joue puis un mouvement dans les arbres à une centaine de mètres du verger attira son attention.

Elisabetta eut un hoquet de surprise lorsqu'elle reconnut Leandru. Le jeune homme ne bougeait pas, craignant sans doute d'être vu. Il lui fit un petit signe de la main pour l'inciter à venir le rejoindre. Elisabetta regarda rapidement autour d'elle et rassurée, elle se dirigea vers le maquis en tenant toujours son petit chien dans les bras.

- Alors...tu...tu l'as pris ?

- Oui...mais attends...comment ?

- J'ai discuté il y a quelques jours avec Monsieur Tavanelli : il se demandait à qui il pourrait proposer Niolu et je lui ai suggéré de se renseigner auprès de ceux qui avaient perdu un cursinu au village. Il savait que les Pietrini n'en voulaient plus et quand je l'ai vu s'arrêter chez toi, j'espérais sans trop être convaincu que tu acceptes sa proposition.

- Il aurait pu aller ailleurs.

- Non, je savais qu'il avait pensé à toi. Il était ami avec ton père n'est-ce pas ?

- Oui...

- J'aurais voulu...j'aurais voulu te l'offrir moi-même mais je...j'avais peur que tu refuses. Je m'en veux tellement d'avoir été aussi cruel avec toi.

Elisabetta s'approcha du jeune homme avec un petit sourire gêné : ce dernier l'attira à elle en entourant sa taille de ses bras puis il l'embrassa doucement.

- Je dois rentrer à Ponte Leccia mais je voulais...je voulais te voir, te montrer que je ne t'avais pas oubliée surtout le jour de ton anniversaire.

Tu as reçu l'invitation du maire pour le banquet du 14 juillet ?

- Oui. Et...je te promets que je ne chercherai plus à...à t'empoisonner.

- J'espère bien !

- Je suis désolée Leandru, je...je n'aurais jamais dû faire cela.

- C'était assez radical comme manière de procéder.

Niolu se mit à s'agiter dans les bras d'Elisabetta :

- Il a peut-être faim.

- Mes frères vont se rendre à Aiacciu au début du mois d'août. Mon père viendra à Ponte Leccia pour vérifier que tout est prêt pour les vendanges. Il sera bien occupé, est-ce que tu penses pouvoir te rendre à la bergerie de ton grand-père ?

- Ils vont au rassemblement des exploitants viticoles ?

- Oui. Tes frères y vont ?

- Oui, sauf Gabriel. Mais ce n'est pas pour cela. Ils aimeraient s'associer avec un important producteur d'agrumes.

La voix de Louise Casaleccia retentit dans le lointain. Elisabetta sursauta puis, avant de retourner chez elle, elle embrassa passionnément Leandru.

Ce dernier, la retint un instant contre lui :

- Tu me promets que tu viendras ?

- Mais comment saurais-je le jour et l'heure ?

- Je viendrai te chercher.

- Non ! Non c'est trop dangereux.

- Quand partent tes frères ?

- Le 2 août.

- Comme les miens.

Alors, je t'attendrai à la bergerie en fin de matinée.

Un nouveau cri retentit et Elisabetta s'enfuit vers sa maison, non sans avoir regardé partir celui qu'elle aimait.

Elle se dépêcha ensuite de rejoindre sa mère dans la maison.

- Lisa, mais où étais-tu ?

- Niolu voulait découvrir le jardin et le verger !

La jeune fille ne chercha pas à cacher le sourire éclatant de son visage. Elle avait reçu de Leandru un magnifique cadeau d'anniversaire et, comme sa mère et sa grand-mère connaissaient son attachement pour H'orsu et sa passion pour les cursinu, aucune des deux ne s'imagina un seul instant que la gaieté d'Elisabetta était surtout due à un homme du clan ennemi.

Elle passa la soirée à jouer avec Niolu dans sa chambre et, avant de se coucher, elle partit chercher un grand panier à la cuisine et elle récupéra une vieille couverture afin d'installer confortablement son nouveau petit compagnon.

Le lendemain, la jeune fille consacra sa journée à s'occuper du petit cursinu. Elle songea que son nom lui correspondait à merveille : pas farouche pour un sou, le chiot avait décidé de saccager une partie du potager mais Elisabetta l'arrêta à temps :

- Petit bandit ! Oh, je vais vite t'apprendre les règles à respecter toi !

Elisabetta prit ensuite plaisir à emmener Niolu autour de la maison pour qu'il se repère et lorsqu'elle arriva près des demeures de ses frères elle s'arrêta net. Gabriel était une nouvelle fois en train de discuter avec Martin Giacobi et la jeune fille comprit que son frère lui avait menti : il voulait cette union, il voulait qu'elle épouse ce mignocolu !

La jeune fille se rassura ensuite en songeant que jamais Gabriel ne passerait outre leur deuil. Cela lui laissait donc deux années pour tenter de lui faire comprendre qu'il n'avait pas le droit de vouloir régenter sa vie de cette manière.

Mais quand son frère et Martin s'approchèrent d'elle, Elisabetta prit Niolu dans ses bras comme pour faire barrage à l'indésirable personnage qui s'avançait d'un pas conquérant vers elle.

Pour lui montrer que sa présence la dérangeait, la jeune fille ne prit pas la peine de le saluer.

- Lisa, le père de Martin nous propose de visiter ses vergers. Tu devrais aller t'apprêter, nous partons dans une heure.

- Nous ? Puis-je te parler un instant Gabriel ? En privé.

Le regard noir que lança Elisabetta à Martin n'échappa pas à Gabriel et c'est très mécontent qu'il entraîna sa sœur à l'écart.

- Peux-tu m'expliquer ton attitude Lisa ?

- Non, ce serait plutôt à toi de me dire pourquoi tu ne tiens pas compte de ce que je te dis ! Je ne veux pas épouser Martin ! Je ne l'aime pas.

- Lisa...il faut que tu songes à ton avenir, à l'avenir de notre famille.

- Et moi ? Tu tiens à ce que je sois malheureuse ?

- Pourquoi serais-tu malheureuse ? Les Giacobi sont une famille très estimée dans le pays et...

- Non Gabriel, tu ne m'obligeras pas à devenir une des leurs. Tu oublies ce que papa voulait pour moi ?

- Je n'ai pas oublié. Mais il aurait compris que...

- Je ne veux plus en parler Gabriel. Tu m'as juré que jamais tu ne me forcerais à quoi que ce soit.

Et sans que son frère puisse la retenir, Elisabetta serra son petit chien contre elle et se dépêcha de regagner sa maison.

Alba Casaleccia, qui se trouvait au salon, se leva lorsqu'elle vit sa petite fille rentrer en pleurs et se précipiter dans sa chambre.

Lentement la vieille femme monta les escaliers afin de découvrir ce qui mettait Elisabetta dans cet état.

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Lexique :

Mignocolu : ver de terre

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Chapitre spécial pour @flaart j'espère que tu l'aimeras ! 

Je ne sais plus qui avait soumis l'idée du petit chiot offert par Leandru, j'ai bien aimé cette suggestion je l'ai donc intégrée dans le texte ! 


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