Mariage à Corti (2ème partie)


- Laisse-moi Martin.

- Oh non Lisa. Si tu savais comme tu me plais...

- Martin,...laisse-moi je te dis.

Martin saisit alors brutalement les mains d'Elisabetta et il la coinça contre le mur du couloir.

- Martin es-tu devenu fou ? Lâche-moi immédiatement !

Sourd aux protestations d'Elisabetta, son agresseur raffermit au contraire sa prise sur elle.

- Elle t'a demandé de la lâcher !

Martin sursauta en entendant une voix rauque s'adresser à lui et il fut encore plus étonné lorsqu'il constata que celui qui avait parlé n'était autre que Leandru Venazzi.

Ce dernier ne savait pas du tout qu'Elisabetta se trouvait aux sous-sols et quand il l'avait vue, coincée contre le mur et Martin pesant de tout son corps sur elle, il avait senti une colère sourde monter en lui.

Le jeune homme relâcha lentement Elisabetta et il fit face au benjamin des Venazzi avec un sourire narquois :

- Depuis quand un Venazzi défend-t-il une Casaleccia ?

- Là n'est pas la question Martin. Je refuse que tu attentes à l'honneur d'une jeune fille du village. Peu importe son nom ou son appartenance à un clan ou un autre.

- Qui te dit qu'elle n'avait pas envie d'être seule avec moi ? Elle est grande maintenant, ce n'est plus une enfant.

- Elle t'a demandé à plusieurs reprises de la lâcher. Maintenant, vas-t-en.

Jouant la provocation, Martin voulut s'approcher à nouveau d'Elisabetta mais Leandru ne le laissa pas faire et il lui assena un vigoureux coup de poing dans la figure.

- Non mais ça ne va pas ?

- Tu as bu et tu allais la déshonorer. Tu crois que j'allais te laisser faire ?

En titubant, Martin dévisagea méchamment Leandru Venazzi mais celui-ci demeura imperturbable.

Avant que l'agresseur d'Elisabetta ne parte, il l'agrippa fermement en disant :

- Et pour ton nez, tu n'as qu'à dire que tu as raté la dernière marche. Avec tout le vin que tu as ingurgité c'est étonnant que tu tiennes encore debout.

Sans dire un mot, Martin Giacobi déguerpit, laissant Elisabetta et Leandru seuls.

Le corse s'approcha de la jeune Casaleccia et l'observa avec inquiétude :

- Est-ce que ça va ?

- Parfaitement bien. Je n'ai pas besoin de ton aide. Et j'aurais pu m'occuper de lui toute seule.

Elisabetta bouscula alors légèrement Leandru et elle remonta rapidement les escaliers.

Le jeune homme se rendit alors aux toilettes, sa première intention lorsqu'il avait rejoint les sous-sols, puis il songea à la scène qu'il venait de surprendre.

Voir Elisabetta ainsi à la merci de Martin Giacobi l'avait retourné. Un instant, des images de son oncle Battistu s'étaient superposées à ce qu'il voyait devant lui et il avait cru se sentir mal.

Sa tante l'avait éduqué de manière stricte mais elle lui avait aussi inculqué des valeurs qui lui étaient chères parmi lesquelles il se devait de porter assistance à toute personne en danger et faire en sorte que jamais une femme ne soit déshonorée par sa faute.

Cela aurait pu être l'une de ses cousines, ou une amie de la famille, Leandru aurait agi exactement de la même manière. Il ne lui était même pas venu à l'esprit de laisser Elisabetta se débrouiller seule.

Lorsqu'il retourna dans la salle du restaurant, Leandru jeta un regard discret vers la table des Casaleccia : Elisabetta discutait avec d'autres membres de sa famille et elle ne semblait pas perturbée par ce qui venait de se passer. A moins que ce n'était qu'une façade.

Lorsque les derniers desserts furent servis, la soirée dansante débuta et les nouveaux mariés furent les premiers à évoluer devant leurs invités. Après quelques danses, les plus jeunes furent invités à rejoindre les adultes et dans la joyeuse bousculade qui s'en suivit, Elisabetta se retrouva face à Leandru Venazzi. La jeune fille regarda de tous les côtés pour se trouver un autre partenaire mais en vain. Elle s'apprêtait à rejoindre sa table lorsqu'elle sentit une main se poser sur son bras :

- Tu me ferais cet affront ? En public ?

Peu désireuse de provoquer un scandale le jour du mariage de la fille d'une amie de sa mère, Elisabetta prit sur elle et elle tendit sa main en tremblant à Leandru. Mais en le dévisageant droit dans les yeux elle lui chuchota :

- Je me vengerai.

- Je n'en attendais pas moins de toi.

La jeune fille sursauta à ses paroles : et il se moquait d'elle ?

Pendant qu'elle dansait, à contrecœur, avec Leandru, Elisabetta chercha ses frères du regard. A son retour à Merusaglia, elle savait qu'elle devrait faire face à leur colère même si elle n'avait pas du tout eu envie de partager ce moment avec le jeune Venazzi.

Leandru ne semblait pas plus perturbé que cela : certes, il savait que son père serait furieux mais il pourrait facilement lui démontrer qu'il n'avait pas du tout choisi sa partenaire. Il savait également que s'il avait repoussé Elisabetta, il aurait déclenché une énième dispute entre les deux clans et il n'en avait pas du tout envie.

La jeune Casaleccia n'aimait pas du tout la manière dont Leandru avait posé ses mains sur elle mais elle ne pouvait rien faire.

- Mes frères vont être furieux.

- Les miens aussi.

- Mais enfin, pourquoi est-ce que...cela semble t'amuser ?

- Parce que ce n'est qu'une danse Lisa. Je n'ai pas choisi et toi non plus, je le sais bien. Mais je ne tiens pas à faire toute une scène pour un malheureux concours de circonstances.

- La guerre a eu des effets curieux sur toi.

- Elle m'a fait beaucoup réfléchir. Aïe ! Tu étais vraiment obligée de me marcher sur le pied ? Et ne me dit pas que tu ne l'as pas fait exprès !

Elisabetta fixa Leandru sans sourciller :

- Je t'ai dit que je me vengerai. Prends cela pour un avertissement.

- Pourquoi est-ce que tu me provoques sans cesse ? C'est ta manière de me remercier pour t'avoir aidée ? Tu aurais peut-être aimé que Martin déchire ta robe et fasse de toi une femme sans ton consentement ?

La jeune fille pâlit soudainement au rappel de sa mésaventure : Leandru n'avait pas tort, s'il n'était pas arrivé, que serait-il advenu d'elle ? Aurait-elle su crier, se débattre, s'enfuir ?

Il lui en coûtait de l'admettre mais Leandru avait préservé son honneur malgré la haine que se portaient leurs deux familles.

Elle releva la tête fièrement puis, en se mordillant les lèvres mais en prenant la peine de ne pas regarder le jeune homme, elle murmura :

- Merci.

Lorsque la musique s'arrêta, Elisabetta se précipita vers la table où se trouvaient les membres les plus âgés de sa famille et elle s'excusa auprès de sa grand-mère :

- Je ne pouvais pas l'éviter, je me suis retrouvée face à lui. Je suis désolée grand-mère.

- Tu seras plus attentive la prochaine fois. Au moins, il a eu la décence de ne pas te repousser.

- J'aurais aimé qu'il le fasse au contraire.

- Et c'est toi qui aurais ainsi déclenché la colère des Venazzi.

Elisabetta s'arrangea pour ne plus tourner la tête vers la table où était placé Leandru mais lorsqu'elle quitta la réception très tard dans la nuit elle croisa son regard à nouveau. Elle le fusilla des yeux tandis qu'il resta imperturbable.

Lorsqu'elle se fut changée et préparée pour dormir, Elisabetta prit le temps de brosser consciencieusement ses longs cheveux et elle songea à l'attitude presque désinvolte de Leandru Venazzi. Ce détachement ne lui ressemblait pas. La jeune fille était certaine que s'ils avaient été forcés de partager une danse avant qu'il ne parte combattre sur le continent, il aurait tout fait pour l'humilier. Ce soir, il avait presque paru amusé par la situation. Était-une toute autre manière pour lui de la rabaisser ?

Dans ce cas, il aurait laissé Martin abuser d'elle. Mais non, il avait fallu qu'il vienne à son secours et qu'il l'empêche ainsi d'être déshonorée. Elisabetta savait qu'il n'était plus question de mariage en guise de réparation, tout cela était d'un autre temps, mais elle se demandait si Martin n'avait quand même pas eu cette idée en tête. La jeune fille savait que les Giacobi étaient particulièrement attentifs à conserver des traditions vieilles de plusieurs siècles et dépassées selon les dire de bon nombre d'habitants.

Peut-être que Martin avait voulu provoquer cela, une union forcée entre eux.

Elisabetta frissonna en se glissant dans son lit : allait-elle devoir faire face à des situations similaires à présent ? Quels étaient les garçons au village susceptibles de s'intéresser à elle ?

Elle fit rapidement le compte et ils n'étaient pas nombreux : cinq tout au plus, en excluant Leandru Venazzi bien entendu, mais peut-être bien une quinzaine si elle ajoutait les amis de sa famille à Ponte Leccia et Corti.

Gabriel avait sans doute raison de la tenir à l'œil et de ne plus lui permettre de voyager seule dans la région.

Ce soir, elle avait eu très peur et, de ne devoir son salut qu'à un homme qu'elle détestait, la rendait plus exaspérée encore. Être redevable envers Leadnru Venazzi était bien la dernière chose qu'Elisabetta souhaitait. Mais c'était ce qui était arrivé, pour son plus grand mécontentement.

De son côté, Leandru cherchait toujours à comprendre les raisons de la brusque colère qui l'avait envahi lorsqu'il avait vu Martin s'en prendre à Elisabetta. De même, il avait ensuite observé, avec une certaine irritation, les regards très appuyés de plusieurs garçons dans sa direction, des regards que la jeune Calsaeccia n'avait même pas remarqué. Avait-elle conscience de l'intérêt nouveau qu'elle suscitait chez certains ? Avait-elle conscience que certains chercheraient à profiter des rares moments où Gabriel la laisserait seule ?

Ces réflexions en amenèrent une autre : depuis ses fiançailles avortées avec Silvia, Leandru était régulièrement pressé par son père de songer à son futur mariage. Mais les demoiselles pouvant remplir les critères exigés par Antoine Venazzi étaient rares. A Merusaglia, elles n'étaient que quatre jeunes filles à avoir ou le même âge ou quelques années de moins que lui et aucune ne plaisait au père de Leandru.

A présent qu'il logeait à Ponte Leccia, c'était Charles qui avait pris le relais et qui poussait son jeune frère à songer à son avenir tout en lui demandant de tenir compte des intérêts familiaux. Cela avait d'ailleurs déjà donné lieu à quelques conversations musclées entre les deux frères. Leandru espérait que son frère allait oublier le sujet et se concentrer sur le vignoble qui nécessitait une attention de tous les instants. De toute façon, il n'avait pas envie de se marier.

Leandru sourit ensuite en repensant à la danse qu'il avait partagée avec Elisabetta : malgré tout il avait passé un agréable moment, si on exceptait l'instant où elle lui avait écrasé le pied volontairement, car cette petite furie dansait à la perfection. Il avait noté avec un certain amusement également que parmi tous les garçons présents au mariage c'était lui, l'ennemi de sa famille qui avait eu le privilège de l'avoir pour partenaire alors qu'ils étaient au moins une dizaine à vouloir danser avec elle.

Il redevint sérieux ensuite en songeant qu'il allait devoir se méfier d'Elisabetta : elle était sérieuse en lui disant qu'elle se vengerait et le souvenir des douloureux jours qui avaient suivi le banquet du 14 juillet 1939 lui revinrent en mémoire. Il ne lui permettrait pas de recommencer, hors de question !


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Mouvementé ce mariage....

Que pensez-vous de l'attitude de Leandru ?

Et comment voyez-vous la réaction d'Elisabetta ?


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