Le 14 juillet, deux ans après


Le 14 juillet arriva trop vite au goût d'Elisabetta. La jeune fille redoutait le banquet où elle savait que Martin Giacobi continuerait à la courtiser. Heureusement il devait garder une certaine retenue puisque les Casaleccia étaient en deuil. Louise avait expliqué à sa plus jeune fille qu'elle avait décidé de s'y rendre pour ne pas froisser le maire et pour ne pas créer de nouveaux conflits avec les Venazzi.

Elisabetta ne savait pas comment elle allait réagir lorsqu'elle verrait Leandru : la jeune fille espérait cependant qu'elle serait capable d'adopter un regard neutre pendant toute la durée du banquet afin que ses frères ne se doutent de rien.   Depuis qu'elle avait confié son secret à sa grand-mère, elle n'avait plus revu Leandru et avec une certaine tristesse, elle songea qu'elle n'aurait pas l'occasion de s'octroyer un moment avec lui pendant le repas.

Elisabetta, même si elle était vêtue de noir, veilla à choisir une robe plus élégante et à ce que sa coiffure soit parfaite. Pour la première fois de sa vie, elle voulait plaire à un homme, mais pas n'importe lequel : elle voulait plaire à celui qu'elle aimait.

C'est avec une certaine appréhension que la jeune fille se rendit au banquet, accompagnée de sa mère, de ses frères, de leurs épouses et de leurs enfants. Le maire avait demandé à ce que les autres membres du clan ne soient pas présents.

Comme l'année précédente, les Casaleccia et les Venazzi étaient installés aux tables situées aux extrémités du lieu choisi pour le banquet.

Elisabetta dut se faire violence pour ne pas tourner la tête vers l'endroit où s'étaient rassemblés les ennemis de sa famille mais, lorsqu'elle-même fut assise à sa place, elle finit par ne plus pouvoir résister. Quand son regard croisa celui de Leandru elle sentit une curieuse chaleur l'envahir et elle détourna rapidement la tête. Le jeune homme, tout comme Elisabetta, avait soigné sa tenue et il avait été heureux d'enfin revoir celle qu'il aimait et il avait dû lutter pour garder un air imperturbable et ne pas montrer à quel point il s'était senti bouleversé.

- Au moins, je dois reconnaître qu'il est capable de dissimuler ses émotions à la perfection.

Alba Casaleccia s'était penchée vers sa petite fille de sorte à n'être entendue que par elle.

Le repas s'éternisait et Elisabetta n'avait désormais plus qu'un souhait : rentrer chez elle. Les Giacobi, à son grand soulagement, n'étaient pas installés à une table proche de la sienne mais à plusieurs reprises, elle avait remarqué que Martin l'observait avec un intérêt qui n'était même pas dissimulé.

Ressentant le besoin de s'éloigner un peu, la jeune fille demanda à sa grand-mère si elle acceptait de l'accompagner aux toilettes qui étaient mises à disposition des invités dans les trois maisons situées juste à côté du lieu du banquet.

Alba se leva avec lenteur tout en regardant discrètement du côté des Venazzi. La vieille femme sourit en constatant que Leandru semblait hésiter sur ce qu'il convenait de faire. La doyenne des Casaleccia savait qu'il devait sans doute chercher un moyen de voir Elisabetta en cachette et elle comprit que le jeune homme allait certainement les suivre.

Alba amena sa petite-fille dans la maison la plus éloignée du banquet, celle qui était le plus en retrait et surtout invisible aux yeux des convives. Le frère du propriétaire se trouvait devant la demeure afin de décourager les éventuels voleurs et il indiqua aux deux femmes où elles devaient se rendre.

Alors qu'Elisabetta s'apprêtait à passer aux toilettes, Leandru fit son apparition.

Il dévisagea Alba Casaleccia le regard sombre et cette dernière, amusée, s'approcha de lui.

- Je suis au courant de votre petit secret jeune homme. Oh, ne faites pas cette tête-là, Elisabetta m'a expliqué la situation.

Par contre, que dira celui qui vous a vu entrer à notre suite ?

- Je l'ai envoyé ailleurs.

- Je vois que vous êtes aussi déterminé que ma petite-fille.

Je ne parlerai pas à mes petits-fils mais en contrepartie, je vous assure que si vous vous comportez mal avec Lisa, vous aurez affaire à moi.

J'ai au moins pu constater que vous étiez capable de faire preuve de discrétion. Vous avez conscience que Gabriel ou ses frères chercheront à laver l'honneur de notre famille s'ils apprennent que vous voyez Lisa en cachette ?

- Oui je le sais. Et je serai prudent.

Alba Casaleccia inspecta attentivement le visage de Leandru puis avec un petit sourire, elle se dirigea vers les toilettes, laissant ainsi les deux jeunes gens seuls.

La porte à peine refermée, Leandru attira Elisabetta contre lui et il l'embrassa passionnément.

Lorsqu'il relâcha la jeune fille, il caressa doucement son visage :

- Que s'est-il passé pour que tu parles à ta grand-mère ?

- Gabriel. Encore.

- Il insiste pour te lier à ce bastardu ?

- Oui...

- Je ne vais pas tenir deux ans Lisa, je vais finir par...

- Ma grand-mère va essayer de convaincre Gabriel d'abandonner son idée.

- Elle...nous soutient vraiment ?

- Oui. Oh,...elle était en colère au début mais...

Elisabetta se blottit contre Leandru : elle aimait être dans ses bras, elle se sentait si bien, si protégée avec lui.

Le jeune homme l'embrassa à nouveau : la voir si près et si loin de lui en même temps durant le repas avait été une véritable torture. Il était certain à présent qu'Alba Casaleccia avait fait exprès d'emmener sa petite fille aux toilettes pour lui permettre de la retrouver et, il devait bien avouer qu'il lui en était reconnaissant.

Leandru et Elisabetta n'entendirent pas la porte du cabinet s'ouvrir et il fallut un bruyant raclement de gorge d'Alba Casaleccia pour qu'ils arrêtent de s'embrasser.

Rouge de honte, Elisabetta se précipita à son tour aux toilettes, laissant sa grand-mère seule avec le jeune Venazzi.

- Heureusement que je vous demande d'être discret...

Votre grand-mère, Rose, est-elle au courant de vos escapades ?

- Non, personne ne le sait.

- Pensez-vous qu'elle puisse accepter votre choix ?

- Je...je ne sais pas.

- Mon petit, vous comprenez bien qu'il vous faut également un soutien dans votre clan ? Dois-je vous rappeler que dès que votre relation sera connue de tous, vous allez déclencher une véritable guerre dans le village.

- Ma grand-mère...

- Jeune homme, vous avez réussi à éloigner ma petite-fille du droit chemin. Je pense que vous devriez donc pouvoir convaincre Rose sans trop de problème ?

Dieu soit loué, les jeunes ont encore un semblant de respect pour leurs aïeux. J'ose donc espérer que mes petits-fils écouteront la voix de la raison et non celle de la vengeance.

Je veux que vous parliez à Rose. Et...je veux que vous m'organisiez une rencontre avec elle lorsque vos frères seront à Aiacciu. Nous allons devoir beaucoup discuter elle et moi.

- Je...d'accord, je...je vais lui parler.

Leandru se tourna alors vers Elisabetta qui venait de sortir des toilettes : il avait envie de la prendre à nouveau dans ses bras mais la présence d'Alba l'en dissuada.

Comprenant le malaise des deux jeunes gens, la doyenne des Casaleccia quitta les lieux en demanda à sa petite-fille de ne pas traîner.

Leandru, entre deux baisers, expliqua à Elisabetta la requête de sa grand-mère et il lui promit à nouveau de l'attendre à la bergerie lorsque le reste de leur famille aurait quitté le village.

Alba Casaleccia ne retourna pas immédiatement au banquet. Elle amena sa petite-fille près d'un muret de pierre où elles s'assirent toutes les deux.

La vieille femme expliqua à Elisabetta ce qu'elle avait demandé à Leandru. Puis en souriant Alba se moqua gentiment du jeune Venazzi :

- Il n'avait plus cet air si fier en me parlant. Je crois...je crois que je l'aime bien finalement. Mais...il faudra qu'il apprenne la discrétion. Jamais je n'ai osé être aussi proche de ton grand-père en public ! Heureusement qu'il n'y avait que moi.

La voix inquiète de Gabriel résonna alors non loin des deux femmes. Alba prit doucement la main de sa petite-fille pour la rassurer.

- Ah enfin ! J'ai cru qu'il était arrivé quelque chose !

- Calme-toi Gabriel ! Je souhaitais confier à Lisa quelques recettes que les femmes de notre famille se transmettent de génération en génération. A l'abri des oreilles indiscrètes des hommes.

Le regard sévère d'Alba Casaleccia eut l'effet escompté : Gabriel n'insista pas et il retourna au banquet.

Lorsque la soirée s'acheva, Elisabetta et Leandru regagnèrent leur demeure à contrecœur mais heureux cependant d'avoir pu bénéficier d'un moment de relative intimité.

Le jeune homme savait que sa grand-mère était souvent la dernière à se coucher car elle aimait lire un peu avant de gagner sa chambre. Il attendit donc patiemment d'être seul avec elle pour faire ce qu'Alba Casaleccia lui avait demandé.

- Que se passe-t-il Leandru ? Tu sembles bien tracassé.

- C'est le cas grand-mère. J'aimerais te parler mais je...je ne sais pas exactement comment m'y prendre.

- Et bien je t'écoute mon petit. Tu sais que tu peux tout me dire.

- Promets-moi que...que tu m'écouteras jusqu'au bout et que...tu ne diras rien à personne. Ni à papa et maman, ni à Charles ni...

- Est-ce si grave que cela ?

Leandru s'assit à côté de sa grand-mère qui commençait à s'inquiéter sérieusement devant l'air nerveux de son petit-fils.

- Rassure-moi, tu n'as pas compromis l'honneur d'une jeune fille ce soir ?

- Hum...non. Mais je...je me suis engagé secrètement avec une jeune fille du village il y a quelques semaines.

- Et bien ? tu as dix-neuf ans mon garçon, il n'y a rien de...

- Il s'agit d'Elisabetta Casaleccia.

Rose Venazzi se leva brusquement et contempla son petit-fils d'un air outré.

- Comment...oses-tu ? Cette famille est la pire qui soit dans la région. Ton grand-père est mort par leur faute, l'une de tes ancêtres a été condamnée au couvent parce que l'un des hommes de ce clan indigne avait compromis son honneur. Ils n'ont de cesse de tout faire pour que nos entreprises ne marchent pas et toi,....TOI !

- Grand-mère, je t'en prie !

- Ne me demande pas de te donner ma bénédiction Leandru. Je m'en vais de ce pas informer ton père de ta trahison.

- Grand-mère, je t'en prie ne fait pas ça ! J'aime Elisabetta, je l'aime profondément. Nous avons le soutien d'Alba Casaleccia. C'est elle qui m'a demandé de t'en parler. Elle...elle veut te rencontrer, discuter à ce sujet.

- Il est hors de question que je parle avec cette vieille sorcière. Tu me déçois Leandru.

Rose Venazzi s'apprêtait à aller trouver son fils lorsque le jeune homme la retient par le bras sans pouvoir retenir ses larmes :

- Tu sais que Gabriel va vouloir me tuer s'il apprend que je fréquente sa sœur et peu importe les conséquences pour lui, il ne pensera qu'à réparer l'honneur de sa famille. Et tu sais qu'ils enverront Lisa sur le continent pour la punir. Est-ce cela que tu veux ? J'ai besoin de toi grand-mère. Nous ne pouvons pas nous marier pour le moment mais lorsque notre période de deuil aura pris fin,...

Je ne veux pas m'enfuir à Corti ou ailleurs pour avoir le droit d'épouser Lisa. Je sais que papa et Charles t'écouteront. Ils te respectent.

Le désarroi de son petit-fils ébranla Rose Venazzi mais elle comprit que Leandru était déterminé. En soupirant, elle se rassit dans un fauteuil et indiqua au jeune homme la place face à elle.

--------------------------

Lexique :

Bastardu  : bâtard

-----------------------------

Bon, c'est autour de Rose Venazzi d'apprendre la relation de Leandru et d'Elisabetta. 

Je en sais pas vous mais moi,...je ne la sens pas cette discussion entre les deux Venazzi...








Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top