L'invasion


Il faisait très doux pour un mois d'avril. Le maquis était fleuri et coloré et Elisabetta adorait se promenait dans cet immense jardin aux multiples couleurs et senteurs. Alba Casaleccia avait une fois indiqué à sa petite-fille qu'au printemps, le maquis offrait le meilleur de lui-même. Les fleurs blanc-rosé de la bruyère illuminaient de nombreux endroits et la vallée parée de mille fleurs sauvages semblait renaître.

Elisabetta se rappela une parole de son père, peu de temps avant qu'elle ne commence à cueillir elle-même les plantes destinées à la pharmacie familiale.

Le maquis est un métier Lisa, il faut des années pour l'apprivoiser. Et bien plus encore pour commencer à le connaître.

Il est vrai qu'à quelques reprises elle s'était perdue dans ce labyrinthe d'arbres, de fleurs et de plantes, dans cette réserve inépuisable d'essences végétales toutes plus étonnantes les unes que les autres.

Les corses avaient, jusqu'il y a peu, utilisé le maquis comme moyen de défense. À une époque lointaine, lorsque le littoral n'était plus sûr, les populations s'étaient groupées vers l'intérieur, bâtissant des villages nichés dans le maquis, peu visibles grâce à la végétation. Et ils s'étaient développés à l'abri du danger. Plus tard, les châtaigniers et oliviers plantés un peu partout avaient légèrement modifiés le paysage et jusqu'il y a encore une vingtaine d'année, le maquis avait été le paradis des fugitifs.

Dumé Casaleccia ne cessait de répéter à sa fille que, pour les non-initiés, c'était un lieu impénétrable. On s'y perdait facilement, Elisabetta en savait d'ailleurs quelque chose, l'obscurité créée par la densité et la hauteur de la végétation rendait l'orientation difficile voire impossible. L'horizon était invisible et parfois le ciel l'était tout autant.

Il arrivait aux habitants qui s'y risquaient d'être bloqués par des épineux ou de se retrouver au bord d'un précipice infranchissable. Le maquis, qui recouvrait environ un quart de la surface de l'île changeait de visage selon les reliefs. Ainsi, en altitude, il était moins varié et surtout composé de bruyères et d'arbustes comme les pins, les cèdres, les chênes et les châtaigniers.

Elisabetta adorait cet environnement si particulier. Elle avait remarqué que, chaque jour, le maquis prenait une teinte différente et que les ruisseaux étaient gonflés d'eau provenant de la montagne sur laquelle la neige faisait de la résistance. A présent, tout semblait neuf et éclatant et cela s'en ressentait sur l'humeur, bien plus joyeuse, des habitants du village.

Même Dumé Casaleccai semblait aller mieux. Le traitement à base de plantes prescrit par le docteur Rocchini lui permettait de supporter la douleur et il avait même recommencé à effectuer quelques tournées d'inspection dans la montagne.
Ses proches cependant n'étaient pas dupes car le médecin les avait prévenus que ces phases de relative tranquillité allaient alterner avec des périodes bien plus douloureuses.

Elisabetta, de son côté, tentait de se remettre de la perte de son chien. Mais un jour, elle croisa tout à fait par hasard Silvia Martinelli et son désir de vengeance refit rapidement surface. Elle se dirigea alors d'un pas rapide vers la jeune fille qui semblait perdue.

- Je peux vous aider ? Vous n'êtes pas du village je pense...

- Non en effet mais j'y viens régulièrement. J'attendais juste...Oh après tout, je dois me faire des idées.

- Vous avez des ennuis ?

- Non, pas vraiment. Mais...tu es trop jeune pour comprendre.

Elisabetta réprima un geste de colère : elle allait sur ses seize ans, la demoiselle face à elle n'avait que deux ans de plus qu'elle mais, comme Leandru Venazzi, elle la considérait elle-aussi comme une enfant. Incapable de se maîtriser, la jeune Casaleccia répondit d'une manière assez sèche :

- Je vais avoir seize ans et mon père me donne de nombreuses responsabilités, je ne suis plus un bébé. Je sais parfaitement pourquoi vous êtes triste. Mais sachez une chose, Leandru Venazzi ne vous mérite pas. Plus loin vous serez de lui, mieux ce sera pour vous.

- Vous le connaissez bien ?

- Il est violent, agressif et n'a aucune considération pour les autres. Il ne pense qu'à l'argent qu'il peut gagner pour sa famille.

- Violent ? Mais...me cacherait-il des choses ?

- Vous n'imaginez pas tout ce que ce clan détestable vous cache.

Silvia dévisagea Elisabetta d'un air ahuri puis, en détaillant ses traits, elle se demanda si la jeune fille qui se tenait devant elle n'était pas cette enfant dont ne cessait de parler Leandru.

- Qui êtes-vous ?

- Vous ne le savez pas ? Je suis Elisabatta Casaleccia. Votre cher fiancé m'a giflé à plusieurs reprises et il a récemment tué mon chien et saccagé notre verger en y faisant pénétrer tout un groupe de sangliers. Demandez-le lui. Je suis curieuse de savoir s'il va le nier.

Hébétée, Silvia regarda ensuite Elisabetta s'éloigner.
Leandru, tuer un chien ? Non,...c'était impossible.

Mais, pour en avoir le cœur net, la jeune fille interpella le benjamin des Venazzi le soir même, à l'écart des autres membres de la famille.
Ce dernier, furieux de voir que son ennemie avait encore parlé sur son dos, refusa de répondre puis, dans un accès de colère, il avoua ce qu'il avait fait tout en agressant verbalement la pauvre Silvia Martinelli.

Ce fut pour elle les mots de trop : elle se leva et, en pleurs, elle demanda à Leandru s'il comptait se marier avec elle. Son non catégorique suivit d'un « Je ne vous aime pas » achevèrent Silvia.
Elle quitta Merusaglia dès le lendemain en faisant promettre à son père qu'il ne l'oblige pas à y remettre les pieds.

Leandru n'eut ensuite pas l'occasion de punir l'insolence d'Elisabetta. Le 13 mai, alors qu'il avait aperçu la jeune Casaleccia au village et qu'il s'apprêtait à aller lui dire sa façon de penser, des cris retentirent en provenance de la route qui menait à la plaine. Les deux jeunes gens reconnurent le facteur qui galopait sur son cheval tout en tenant dans la main plusieurs journaux. Un attroupement se fit autour de l'homme tandis que celui-ci expliquait les raisons de son comportement :

- Les Allemands ont envahi les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg ! Les troupes françaises sont allées soutenir les belges mais ils n'ont rien pu faire. Il se dit que les allemands ont déjà pris Sedan dans le nord.

Malgré leur haine l'un pour l'autre, Leandru et Elisabetta ne purent éviter d'échanger un regard inquiet. Ainsi donc, l'Allemagne avait fini par passer à l'attaque. La jeune fille prit l'un des journaux que lui tendit le facteur puis, elle se précipita chez elle. Leandru de son côté, rentra chez lui également mais contrairement à Elisabetta, il ne dit rien à sa famille et il s'enferma dans sa chambre. Tout en préparant rapidement ses affaires, le jeune homme se dit que cette fois, il ne laisserait plus les gendarmes l'empêcher de rejoindre le continent. Leandru griffonna ensuite rapidement une lettre pour ses parents qu'il déposa ensuite sur son lit.

Profitant de l'agitation qui régnait au village, il se dirigea vers Stoppia Nova dans le hameau de Quercitellu, situé à cinq kilomètres de Stretta. Connaissant parfaitement les chemins de son pays, Leandru quitta la route dans le Col de Prato afin de rejoindre plus rapidement les quelques maisons en contrebas. Arrivé sur place, il demanda à l'un des amis de son père, l'un des rares de la région à posséder une voiture, de le conduire à Bastia.

L'homme protesta dans un premier temps mais Leandru le rassura en disant qu'il avait laissé une lettre pour son père. Il insistant tant qu'il finit par obtenir gain de cause et surtout, il obtient la garantie que personne ne préviendrait les gendarmes.

Après plus de deux heures de route, Leandru arriva à Bastia. Il était hors de question qu'il laisse ses frères combattre seul. Il avait dix- huit ans, il était un homme et il désirait plus que tout empêcher les allemands de rejoindre son île. Il n'avait jamais tué qui que ce soit mais il se sentait prêt à le faire. Il avait entendu les effroyables récits des survivants de la Grande Guerre mais cela ne lui faisait pas peur. Quand ils arrivèrent en vue de la citadelle de Bastia, Leandru remercia l'ami de son père et il continua sa route à pied.

Véritable dédale de ruelles, le quartier de Terra Nova était relativement calme. Sans les voir, le jeune homme passa devant l'église Sainte Croix et le Palais des Gouverneurs. Leandru connaissait son histoire : l'édifice primitif avait été fondé par le gouverneur génois, Leonello Lomellini dès 1380. Il s'agissait d'une construction fortifiée, "la Bastia", qui avait donné son nom à la ville.


Avec le départ du dernier gouverneur génois, en 1768, le Palais avait perdu son statut de résidence. Le Conseil Supérieur de l'Isle de Corse s'y était installé puis, à partir de 1791 l'édifice avait été transformé en caserne par l'Armée.

Tandis qu'il descendait un escalier le menant au quartier de Terra Vecchia et du port, Leandru s'arrêta brusquement. Dans un premier temps, il avait songé embarquer à bord d'un cargo et rejoindre ainsi la France mais il se dit qu'il n'avait rien à perdre et qu'il pouvait aller se présenter à la garnison. Après tout, ils seraient fous de refuser sa demande puisque les journaux ne cessaient de dire que la France ne possédait pas assez d'hommes valides.

Confiant, Leandru fit demi-tour et il se dirigea vers l'imposant Palais des Gouverneurs 


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Leandru est vraiment décidé à quitter la Corse pour s'engager dans l'armée française. Mais va-il y parvenir ?

Comment Elisabetta va-telle réagir en l'apprenant ?

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