L'incendie
En quittant la bergerie avec Elisabetta, Leandru avait encore à l'esprit ce qu'il venait de partager avec la jeune fille. Habituellement prudent et attentif, il n'avait pas remarqué une ombre qui avait pris la direction opposée à la sienne.
Le jeune homme avait ensuite repris la bicyclette qu'il cachait dans le maquis non loin de la route qui menait à Ponte Leccia afin de parcourir la quinzaine de kilomètres qui le séparait du domaine viticole de son père.
La tête ailleurs, il eut du mal à se concentrer sur son travail mais il se reprit très vite lorsque Charles lui fit plusieurs réflexions sur son inattention. En fin d'après-midi, tandis qu'il rangeait ses outils dans une petite remise, la porte d'entrée de cette dernière s'ouvrir avec fracas. Leandru fut saisi d'une angoisse indescriptible lorsqu'il vit Jean Casaleccia se précipiter vers lui en hurlant :
- Ma sœur ! Tu as osé t'approché de ma sœur ! Et la bergerie de mon grand-père, c'est parce que tu l'as déshonorée n'est-ce pas ? O canacciu ! Facciaccia, tu vas le payer ! Je vais te tuer Leandru Venazzi, je vais te faire regretter d'avoir posé la main sur elle ! Tù brusgi !
Leandru eu à peine le temps de parer le violent coup de poing qu'il reçut dans la figure et il se retrouva allongé sur le sol avec du sang coulant de sa lèvre fendue tandis que Jean Casaleccia le dominait et le fixait avec un air de folie dans les yeux.
Le jeune homme était grand et bien bâti mais face à lui, le frère d'Elisabetta lui semblait comme un taureau prêt à charger, prêt à tout renverser sur son passage.
Jean sortit un poignard de la poche de son pantalon et il le pointa d'un air menaçant vers Leandru.
Ce dernier essaya de discuter avec le frère d'Elisabetta :
- Jean...laisse-moi t'expliquer...Nous...
Mais un puissant coup de pied dans le ventre lui coupa la parole.
- Tu n'es qu'un misérable...Ma sœur ! Comment as-tu osé ! Je te jure que plus jamais tu ne t'approcheras d'elle.
Leandru, malgré la douleur, réussit à éviter le poignard que Jean avait essayé de lui enfoncer dans le ventre et il roula sur le sol.
Cependant, il ne fut pas assez rapide pour éviter le second coup et il hurla lorsque la lame s'enfonça dans son abdomen.
Tout en crachant du sang et en se tenant le côté à l'endroit de sa blessure, le jeune homme essaya à nouveau de raisonner son adversaire :
- Jean...je ne l'ai pas déshonorée ! Nous...nous aimons. Je...je me suis engagé auprès de Lisa et je...
- FERME-LA espèce de pourriture !
Leandru tenta de se redresser mais la douleur était si intense qu'il ne put que se mettre à genoux. Il vit alors que Jean Casaleccia s'approchait des nombreuses caisses en bois entreposées dans la cabane. Il comprit immédiatement que ce dernier y avait mis le feu quand il sentit l'odeur de la fumée se répandre autour de lui. Avec l'énergie du désespoir, Leandru se releva en grimaçant et il essaya de se diriger vers la porte lorsqu'il vit que Jean tenait une corde dans ses mains. Profitant de la faiblesse de Leandru, le frère d'Elisabetta l'agrippa violemment par le bras et il tenta de le faire tomber sur le sol.
Mais le jeune homme était bien décidé à se battre et surtout à sauver sa peau. Il répliqua par un coup de poing dans la figure de son adversaire puis ils se retrouvèrent tous les deux allongés par terre tout en se rendant coup pour coup.
La chaleur de l'incendie et la fumée dégagée par les caisses qui se consumaient devinrent insupportables. Dans un dernier sursaut, Leandru réussit à se dégager de la prise de Jean Casaleccia qui essayait de l'étrangler et il se rua vers la porte à l'instant même où la petite cabane s'écroulait dans un immense fracas.
Avant de s'évanouir, Leandru eut brièvement conscience de hurlements autour de lui mais la douleur fut trop forte et il plongea dans le néant.
Le jeune homme resta inconscient presque vingt-quatre heures et quand il ouvrit les yeux, il eut du mal à se rappeler les évènements qui avaient précédés son évanouissement.
La première personne qu'il vit fut sa mère.
- Maman ?
- Oh mon chéri, j'ai eu tellement peur !
- Qu'est-ce que...
Leandru grimaça lorsqu'il bougea lentement son corps endolori.
- Le docteur a dit que ta blessure n'était pas trop profonde mais il faut éviter de bouger pour éviter qu'elle ne se rouvre.
Heureusement, tes brûlures ne sont pas graves, elles guériront très vite.
- Et...
Le jeune homme ne savait pas comment demander à sa mère comment se portait Jean Casaleccia mais elle lui apporta la réponse à son interrogation silencieuse.
- Jean Casaleccia a succombé à ses blessures. Il s'est retrouvé coincé sous une poutre : le maire et son adjoint n'ont pas réussi à le dégager de là. Leandru, que s'est-il passé ?
- Je...J'étais dans la remise et il est entré en hurlant qu'il voulait me tuer. Il m'a frappé plusieurs fois, je me suis défendu et ensuite il...il a mis le feu aux caisses que nous utilisons pour les bouteilles.
- Il a juste dit qu'il voulait te...tuer ?
- Oui...je n'ai pas eu le temps de lui demander des explications ou même de lui parler. Il...il était...hors de lui. Maman...
- Plus tard mon chéri. Tu dois te reposer. Je vais retourner au village pour rassurer tout le monde. Ta grand-mère a insisté pour venir te voir. Ton père viendra avec elle demain.
Leandru ferma les yeux en soupirant lorsque sa mère quitta sa chambre. Il était vivant, il n'était pas blessé sérieusement mais le frère de Lisa était mort.
Comment allait-elle réagir en apprenant que lui, il avait survécu ?
Le jeune homme tenta de contrôler ses sanglots de douleur et de colère : il allait sans doute devoir garder le lit plusieurs semaines. Que se passerait-il ensuite ? Elisabetta allait-elle le renier ? Sans doute car, d'une certaine manière, il était responsable de la mort de son frère.
A Merusaglia, comme chaque jour, Elisabetta se leva de bonne heure. Suivi de Niolu, elle descendit les escaliers d'un pas joyeux pour se rendre à la cuisine. Elle s'arrêta à deux mètres de la porte lorsqu'elle entendit la voix de Gabriel et de François. Elle se mit alors à trembler lorsqu'elle comprit qu'ils pleuraient.
La jeune fille prit alors son petit chien dans les bras et, très lentement, elle entra dans la pièce.
Ils étaient tous là : Louise, Gabriel, son épouse et ses enfants, François et les siens, Matteu, Alba et même la plus jeune sœur de Dumé Casaleccia avec son époux et ses deux fils.
Dans un coin de la cuisine, Caterina, la femme de Jean, était assise sur une chaise et elle berçait sa fille de trois ans dans ses bras en pleurant.
Elisabetta comprit immédiatement et elle serra un peu plus fort Niolu contre elle. En tremblant elle s'assit sur la chaise vide à côté de sa grand-mère et elle dévisagea Gabriel sans rien dire.
Ce dernier essuya ses larmes puis il informa sa petite sœur des évènements de la veille :
- Lisa...une chose affreuse est arrivée. Jean...est...décédé. Il...
Gabriel s'interrompit un instant et Alba Casaleccia en profita pour jeter à sa petite-fille un regard d'avertissement.
Elisabetta sut alors que Leandru était concerné et qu'elle ne devait surtout pas réagir à l'évocation de son nom.
Gabriel reprit alors :
- Jean a été tué par Leandru Venazzi dans leur domaine de Ponte Leccia. Je ne connais pas les circonstances exactes mais le maire a pu me dire qu'il les a vus se battre dans une petite cabane qui était en feu et...elle s'est effondrée avant que Jean ne puisse en sortir.
Ce misérable paiera pour ce qu'il a fait. Il a tendu un piège à notre frère car lui...lui s'en est sorti. Il savait ce qu'il faisait, il a laissé mon frère mourir asphyxié ! Je jure...je jure que je tuerai ce bastardu de mes propres mains.
Elisabetta enfouit son visage dans le pelage de Niolu : elle ne voulait pas croire à ce que racontait Gabriel, elle ne voulait pas croire que Leandru avait volontairement amené Jean dans cette cabane pour ensuite le laisser périr dans les flammes.
La jeune fille sursauta alors sur sa chaise et elle redressa brusquement la tête. Comprenant que sa petite-fille mettait manifestement en doute les paroles de Gabriel, Alba lui pressa doucement les mains pour l'inciter à la prudence.
Les yeux de la doyenne des Casaleccia étaient secs : à la douleur éprouvée en apprenant le décès de son petit-fils, s'était ajouté le choc qu'Elisabetta devait à présent ressentir en sachant que Leandru était lié à la mort de Jean.
Mais Alba avait appris une chose de sa récente discussion et réconciliation avec Rose Venazzi : les apparences étaient trompeuses et le récit de Gabriel ne lui semblait pas tout à fait cohérent.
La vieille femme comprit que Jean avait vraisemblablement surpris Elisabetta et Leandru ensemble et qu'il s'était ensuite rendu à Ponte Leccia dans le but de se venger de son ennemi.
Un an auparavant, Alba ne se serait même pas posé la question et elle aurait admis sans aucune réserve le fait que Leandru puisse avoir tué un homme de sang-froid.
Mais à présent, elle ne savait que penser.
Elisabetta fut incapable d'avaler quoi que ce soit et elle suivit sa grand-mère dans sa chambre sans poser de question lorsque cette dernière l'invita à se rendre à l'étage.
Alba questionna d'abord sa petite fille au sujet de la journée de la veille :
- Je dois savoir où tu es allée hier Lisa. C'est important.
- Leandru et moi nous...nous sommes retrouvés dans le maquis puis, hum...nous...nous sommes allés à la bergerie de grand-père.
- As-tu remarqué quelque chose d'inhabituel ? Des traces de pas, des bruits étranges ?
- Non...rien du tout. Et personne ne sait lorsque nous allons là-bas car je laisse toujours la fenêtre fermée.
- Jean...Jean a forcément dû vous voir dans le maquis.
- Alors c'est de ma faute s'il est mort !
- Crois-tu à la version présentée par Gabriel ?
- Non ! Non, c'est impossible ! Leandru n'a pas...non, non je ne veux pas le croire !
- Rose va sûrement se rendre à son chevet à Ponte Leccia. Il faudrait...il faudrait que tu puisses la voir seule. Tant que nous n'avons pas toutes les informations, il vaut mieux rester prudent.
- Je ne veux pas que Gabriel s'en prenne à Leandru grand-mère, il va le tuer, il va le tuer !
Elisabetta fondit en larmes et pendant de très longues minutes elle fut incapable de s'arrêter. C'est ainsi que Louise Casaleccia la découvrit une heure plus tard, les yeux rougis, la tête posée sur l'épaule d'Alba.
Cette dernière laissa la mère et la fille seules et elle descendit à la cuisine où elle trouva Gabriel, François et Matteu en grande conversation avec le maire.
Plus exactement, les trois frères gesticulaient et hurlaient de concert tandis que le pauvre Saveriu Romiti essayant tant bien que mal d'obtenir le silence.
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Lexique :
O canacciu : chien que tu es
Facciaccia: sale gueule
Tù brusgi : que tu brûles, Maudit sois-tu !
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J'entends vos exclamations de protestation d'ici... Oui je sais je suis méchante...
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