Fureur
Dans un premier temps, Matteu et Leandru s'ignorèrent tandis qu'ils descendaient dans la montagne. Ils s'arrêtèrent à la vieille bergerie qui servait au groupe pour cacher le poste radio puis ils repartirent vers les quelques maisons qui se situaient de l'autre côté de la montagne, dans un hameau si petit que les italiens ne devaient sans doute jamais en avoir entendu parler.
Basiliu y avait envoyé deux hommes sonder les habitants : en effet l'endroit ne comptant que six maisons, il était impossible de dissimuler quoi que soit à ceux qui vivaient là. Il fallait donc s'assurer que les villageois, s'ils n'étaient pas solidaires de leur action, la tolérait ou au moins manifestaient une certaine indifférence qui éviterait ainsi tout risque de dénonciation.
Les résistants avaient très vite eu la réponse : la population du hameau les soutenait et elle était prête à prendre tous les risques pour les aider.
La neige tenait depuis quelques semaines et le sol était glissant. Les rochers disparaissaient sous la poudreuse blanche et rendait le trajet plus périlleux encore.
Leandru en fit plusieurs fois les frais : il glissa à deux reprises sur des pierres et il s'écorcha les mains en voulant amortir sa chute. Matteu ne bougea pas une seule fois pour l'aider et c'est d'un air plutôt satisfait qu'il regarda son ennemi boitiller durant le reste du trajet.
Lorsqu'ils arrivèrent non loin du hameau, les deux garçons scrutèrent attentivement les environs puis ils repérèrent le vieil homme qui devait leur indiquer le lieu où les coffres étaient cachés.
Leandru but d'une traite le verre d'eau que la femme de leur contact vint lui apporter tandis qu'il était assis sur le banc devant la maison du couple.
Il était fatigué par sa longue marche et le manque de nourriture et ses deux chutes avaient accentué un peu plus la difficulté du trajet.
Peu désireux de s'attarder, même s'ils doutaient que des italiens arrivent jusqu'à ces lieux retirés, Matteu et Leandru partirent chercher les deux coffres cachés derrière une jolie petite fontaine.
Le frère d'Elisabetta, bien décidé à faire comprendre qu'il ne voulait pas de la présence du jeune Venazzi à ses côtés, s'arrangea pour lui laisser le coffre le plus lourd en sachant que ce dernier aurait bien plus de mal que lui à le ramener à la grotte.
Le chemin du retour prit en effet deux heures de plus que prévu car Matteu devait sans cesse attendre Leandru qui était véritablement épuisé par le poids du coffre qu'il portait. Ses mains blessées ne l'aidaient pas non plus et à plusieurs reprises il dut s'arrêter pour reprendre son souffle sous les moqueries de Matteu :
- Pour un gars qui voulait se battre, tu me donnes plutôt l'impression d'être une véritable mauviette. Même pas capable de faire quelques kilomètres dans la montagne ? Ah on voit que tu viens d'une famille de petits bourgeois : c'est vrai que c'est plus facile de regarder les autres travailler en sirotant un verre de muscat hein ?
- Tu ne sais même pas de quoi tu parles.
- Oh si je le sais. Moi, je travaille avec mes frères depuis que je suis gosse. Je me suis occupé des cochons, des brebis, des vaches, j'ai parcouru le maquis dans tous les sens possibles, aucun sentier n'est inconnu pour moi. Toi, tu ne sais même pas ce que ça veut dire travailler.
- Et bien figure-toi que moi aussi j'aide les miens depuis que je suis gamin. D'abord ma tante dans son hôtel-restaurant et ensuite, mon père m'a confié le domaine de Ponte Leccia avec mon frère Charles. Je travaille dans les vignes de l'aube au coucher de soleil alors détrompe-toi, je ne suis pas un fainéant.
- Je ne sais même pas pourquoi je te parle en fait. Ah je vais aller trouver Basiliu, hors de question que je reste encore des semaines à côtoyer un brutézzu comme toi.
Le soir était tombé lorsque les deux garçons parvinrent enfin à la grotte. Un feu avait été allumé à l'entrée afin que les hommes puissent se repérer et quand Leandru en aperçut les lueurs il soupira. Ses mains le faisaient souffrir atrocement et ses épaules étaient voutées par le poids du coffre qu'il portait.
Il se laissa tomber à terre après avoir déposé son fardeau et il accepta avec empressement l'eau que l'un des ses camarades lui donna dans une vieille gamelle en fer.
Elisabetta accourut alors pour mettre à l'abri les médicaments contenu dans l'un des coffres puis elle remarqua l'air totalement exténué de Leandru.
Elle ne vit pas tout de suite qu'il était blessé et quand elle aperçut ses mains couvertes de sang, elle songea à la première fois où elle l'avait soigné pour des meurtrissures similaires.
Elisabetta partit chercher de quoi désinfecter les plaies puis elle s'assit à côté de Leandru :
- Tu sais que ça va s'infecter si tu ne fais rien.
Le jeune homme la regarda avec un sourire : lui aussi se rappelait parfaitement de ce jour dans le maquis et de la nuit qui avait suivi dans la bergerie. Malgré sa fatigue, à cet instant, Leandru regretta qu'il ne se trouvait pas dans la bergerie de Sempieru Casaleccia. Cela faisait des semaines qu'il n'avait pas eu le loisir de contempler le corps nu d'Elisabetta et il en mourrait d'envie. Mais coincé dans cette grotte, il savait qu'il n'était pas prêt de lui faire l'amour à nouveau et il se sentit terriblement frustré.
Manifestement la jeune femme pensait la même chose que lui car dans la lueur tremblotante des flammes, il crut la voir rougir. Un instant le couple s'observa en oubliant où il se trouvait et ce moment d'égarement leur fut fatal.
Matteu, qui observait attentivement sa sœur s'occuper de Leandru, manqua de s'étrangler lorsqu'il surprit un regard complice entre eux.
Lorsqu'Elisabetta et le jeune Venazzi se relevèrent une fois les soins terminés, Matteu se précipita sur son ennemi :
- Que fais-tu avec ma sœur ? Tu crois que je n'ai rien remarqué ?
Sentant les problèmes arriver, Elisabetta posa une main sur l'épaule de son frère :
- Ça va Matteu laisse le tranquille, il a besoin de se reposer.
- Ah parce que tu le défends maintenant ? Il t'a retourné le cerveau ? Il te menace ? Il se passe quoi Lisa ?
- Mais rien, arrête un peu ! Tu devrais aller te coucher. Nous sommes tous fatigués.
La jeune femme crut, à tort, que son frère allait la suivre et elle poussa un cri d'horreur lorsque Matteu assena un violent coup de poing à Leandru.
Affolée, elle tenta de retenir son frère qui avait décidé de s'acharner sur son ennemi :
- D'abord mon frère et maintenant...ma sœur...Je ne te laisserai pas faire vermine. Ça fait bien longtemps que j'aurais dû régler ton sort.
- Arrête ! Matteu, arrête, laisse-le !
- Va t-en Lisa. Il est grand temps que ce bastardu soit puni comme il le mérite.
Elisabetta agrippa alors violemment le bras de son frère pour le forcer à arrêter de taper sur Leandru qui gisait à moitié inanimé sur le sol. Les autres hommes du groupe, en l'absence de Simon et de Basiliu n'osaient pas intervenir, car, connaissant le caractère violent de Matteu, ils craignaient que ce dernier ne s'en prenne à eux également.
En pleurs, la jeune femme réussit à écarter son frère de Leandru et ce dernier la regarda avec dégoût :
- Tu oses défendre le meurtrier de ton frère ?
- Il ne l'a pas tué ! C'est Jean qui a...
- Tais-toi, tu ne sais pas de quoi tu parles ! Quand j'en aurai fini avec lui, nous allons devoir parler Lisa. Tu me déçois beaucoup !
- Je ne te laisserai pas faire Matteu !
Fou de rage de voir sa sœur défendre son ennemi, le jeune Casaleccia prit alors un fusil posé non loin de l'entrée de la grotte et il dirigea l'arme vers Leandru toujours allongé par terre.
Elisabetta se plaça alors devant son frère, épouvantée :
- Tu ne vas...tu ne vas quand même pas...
- Une racaille de moins ça ne devrait pas trop te déranger non ?
Matteu arma alors le fusil et il visa tranquillement la tête de son ennemi mais il ne tira pas car Elisabetta se précipita sur lui et en le bousculant elle lui fit lâcher son arme.
- Non mais qu'est-ce qui te prend Lisa ?
- Laisse-le Matteu, laisse-le !
- Il a tué mon frère, il va payer.
- Non, laisse-le ! Matteu, s'il te plait ! JE L'AIME !
Le cri déchirant d'Elisabetta surprit tout le monde y comprit, bien entendu, Matteu.
Il s'approcha de sa sœur, il lui prit le bras et d'un air menaçant il lui dit :
- Qu'est-ce que tu as dit ? Ose me répéter...
- Je l'aime Matteu et je sais qu'il n'a pas tué Jean. Je t'en prie, ne lui fait pas de mal.
- Espèce de sale petite garce !
Bouillant de rage Matteu gifla violemment sa sœur puis il se saisit à nouveau du fusil mais, en raison de sa précipitation, la balle qu'il voulait loger dans la tête de Leandru pénétra dans son épaule.
En jurant, Matteu réarma son fusil et il tira une seconde fois.
Ses yeux s'agrandirent alors d'effroi lorsqu'il vit sa petite sœur s'effondrer sur le sol en se tenant le ventre.
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Je crois que je vais partir très très loin...
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