Continuer à avancer
Robert refusait de partir : il veillait depuis deux jours le corps de son épouse qui avait été installé provisoirement dans la grange avec toutes les autres victimes de l'attaque aérienne. Le fermier avait insisté pour que tous les corps aient une sépulture digne et il avait commencé à creuser avec deux de ses fils les tombes des quarante-deux victimes.
Leandru s'occupait de Marius et de Juliette qui ne comprenaient pas l'éloignement soudain de leur papa. Maladroitement, le jeune homme essaya de répondre aux questions des enfants au sujet de leur maman. Juliette fut la première à réaliser que plus jamais elle ne recevrait de bisou le soir avant d'aller dormir et elle s'effondra dans les bras de Leandru en sanglotant.
Marius, lui, était convaincu que sa maman dormait et il ne cessait de chuchoter à son ours en peluche qu'elle allait bientôt se réveiller.
Pendant les repas, le petit garçon demandait sans cesse après Alice et le lendemain de son décès, Juliette, dans un hurlement déchirant, lui fit comprendre qu'il ne reverrait plus jamais sa maman.
Marius se tourna vers Leandru un peu comme s'il espérait que le jeune homme contredise les paroles de sa sœur. Mais ce dernier se contenta de le prendre dans ses bras en réprimant ses larmes.
A partir de cet instant, Marius ne prononça plus une parole et il passa le jour suivant assis sur une chaise de la cuisine à tenir son ours en peluche étroitement serré contre lui.
Quelques jours après le décès d'Alice, Leandru apprit, grâce à la radio que possédait le fermier, la capitulation de la France et les conditions strictes imposées par les Allemands. Il insista alors auprès de Robert pour reprendre la route et ce dernier finit par se rendre aux arguments du corse.
Le jeune homme se rendit ensuite dans le salon pour aller chercher Juliette et Marius. Lorsqu'il leur expliqua qu'ils allaient repartir, les deux enfants fondirent en larmes et s'accrochèrent désespérément au divan.
En tremblant, Leandru s'agenouilla auprès d'eux puis il amena le frère et la sœur doucement près de lui pour les prendre dans ses bras :
- Je sais que vous êtes très triste mais nous ne pouvons pas rester ici. Les avions qui ont tué votre maman peuvent encore revenir et nous devons absolument partir très loin.
Vous savez, votre maman, là où elle se trouve maintenant, elle vous regarde et elle voudrait que vous soyiez très courageux et que vous aidiez votre papa car il va avoir besoin de vous.
- Alors tu penses que maman, du ciel, elle nous regarde ?
- J'en suis certain.
La gorge serrée, le jeune homme expliqua alors à Marius et Juliette que son grand frère aussi se trouvait au ciel et qu'il allait continuer la route pour lui montrer qu'il pouvait être brave et courageux lui aussi.
Juliette dévisagea Leandru de ses grands yeux :
- Tu as beaucoup pleuré ?
- Oui.
- Et tu es triste alors ?
- Oui mais j'essaie de continuer mon chemin même si c'est dur.
- Tu vas rester avec nous ?
- Jusqu'à ce que vous trouviez une nouvelle maison. Ensuite, je rentrerai chez moi.
La petite fille se précipita dans les bras de Leandru et ils restèrent un instant enlacés sans rien dire.
Puis Marius tapota sur l'épaule du jeune homme et il lui montra son ours en peluche :
- Oscar ne veut pas rester ici. Il a peur que les méchants avions reviennent.
- Alors nous allons grimper dans la voiture que Monsieur Capelant a trouvé pour nous et nous allons partir très loin d'ici.
- Papa a dit que si nous étions sages nous irions à la mer, c'est vrai ?
- Oui c'est vrai.
Marius prit alors fermement la main de sa sœur et il se dirigea vers la cour de la ferme après avoir dit au revoir au fermier et à son épouse.
Leandru les regarda avec un énorme pincement au cœur puis, il les rejoignit après avoir remercié les Capelant pour leur hospitalité.
Le jeune homme proposa à Robert de conduire et ce dernier accepta. Quand il le pouvait, Leandru accélérait un peu tant il ressentait le besoin de s'éloigner au plus vite de cette région maudite.
Son regard était fixé sur la route et il prenait toutes les précautions pour ne pas heurter les civils qui marchaient de chaque côté de la chaussée.
Son cœur se serra lorsqu'il aperçut une petite fille qui poussait un imposant landau à côté d'une femme qui portait une lourde valise. Leandru dépassa ensuite une voiture en panne : son propriétaire, un vieil homme, contemplait le capot le regard vide tandis qu'une dame âgée sanglotait près de lui.
Un peu plus loin, une carriole était renversée dans le fossé et ses occupants, trois femmes et cinq enfants en descendaient péniblement pendant qu'un homme essayait de calmer son cheval.
Plus loin encore, des valises avaient été abandonnées par leurs propriétaires et certains les fouillaient frénétiquement à la recherche d'argent ou de nourriture.
Leandru, exténué et psychologiquement très éprouvé, s'arrêta à la tombée de la nuit près d'une bâtisse à moitié effondrée. Ils allaient manquer d'essence et il ne pouvait plus tenir le volant tant ses mains tremblaient.
Ils passèrent la nuit dans la voiture : Robert et Leandru montèrent à tour de rôle la garde autour du véhicule et, au petit matin, le père de Juliette et Marius insista auprès du corse pour conduire à nouveau.
Ils ne firent que quelques kilomètres et s'arrêtèrent devant les grilles d'un imposant manoir : Leandru sortit de la voiture et il fit un signe de la main à un homme qui se trouvait devant l'imposante demeure. Ce dernier approcha avec méfiance mais quand il aperçut les enfants à l'arrière de la voiture son visage s'adoucit.
- Vous vous rendez dans le Sud n'est-ce pas ?
- Oui. Et nous allons manquer d'essence pour la voiture.
- Je vais voir ce que je peux faire. J'ai un ami qui tient un garage au village, il doit passer dans l'après-midi. Vous pouvez attendre un peu ?
- Je crois que oui. Et les enfants ont besoin de sortir un peu.
- Où est leur mère ?
- Elle...elle est morte pendant une attaqué aérienne des Boches.
- Saleté de guerre...
- Les enfants sont courageux. Ils n'en parlent pas mais c'est difficile pour eux.
- Vous êtes leur frère ?
- Non, je...j'étais à Dunkerque, j'ai été capturé par les allemands pendant les combats mais je me suis enfuit avant d'être enfermé dans un camp pour les soldats français.
- Ah, vous êtes soldat.
- Je l'étais. Je ne veux plus combattre. J'ai...j'ai vu des choses...horribles.
- Ah mon petit, on voit que vous n'avez pas connu la Grande Guerre...Bon, ne restez pas là, venez. Vous n'avez pas mangé ce matin ?
- Non, nous avons encore quelques vivres mais...nous faisons attention.
- Au fait, je ne me suis pas présenté : Georges Laugret. Ma femme Gisèle va vous préparer de quoi vous requinquer un peu.
Leandru remonta dans la voiture que Robert gara à l'intérieur de la propriété puis il prit Marius dans ses bras et il entra dans le manoir suivi de Juliette et de son père.
Les enfants avaient perdu leur joie de vivre : ils suivaient les adultes comme des automates, répondant machinalement aux questions qu'on leur posait.
Leandru était perturbé par cette situation car il appréciait énormément Marius et Juliette mais il les comprenait car du jour au lendemain leur maman leur avait été arrachée brutalement et ils n'avaient plus aucun repère.
Le jeune homme avait également remarqué que Robert était dépassé par la situation : il n'arrivait pas à gérer son deuil et la prise en charge de ses enfants. Ces derniers, désespérément en quête d'attention, se tournaient de plus en plus vers Leandru.
Dans l'après-midi, le garagiste vint au manoir et il accepta de ramener le lendemain matin un bidon d'essence mais en exigeant être payé immédiatement.
Finalement, ce qui ne devait être qu'une halte temporaire se prolongea quelques jours en raison de l'apathie profonde de Robert.
Une nouvelle fois, Leandru dut parlementer plusieurs heures avec le père de Marius et de Juliette pour qu'il accepte de repartir.
Mais l'arrivée d'une dizaine de personnes qui fuyait Paris les empêcha de se mettre en route.
Parmi le petit groupe figuraient deux femmes et un homme gravement blessés par une attaque aérienne et Leandru accepta d'aider les propriétaires pour les soigner.
Tandis que les pauvres civils entraient dans la maison, le corse croisa le regard d'une jeune fille et il sursauta. Un instant il avait cru avoir face à lui Elisabetta Casaleccia et cela le fit songer à son île et à sa famille qui lui manquait cruellement.
Leandru aida la demoiselle, qui boitait légèrement, à s'assoir sur une chaise et il remarqua qu'elle gardait ses mains sur son ventre très légèrement arrondi.
- Vous avez mal quelque part ?
- Je...non, je...je suis enceinte et mes parents m'ont...abandonné sur la route. Je n'étais pas mariée et trop jeune selon eux pour devenir mère alors...
- Quel âge avez-vous ?
- Dix-huit ans.
Le jeune homme cacha difficilement une grimace de dégoût : cette fille avait le même âge que lui et il se demanda comment ses parents avaient pu faire une chose pareille. L'abandonner ainsi, alors que le pays était en guerre...
- Je vais m'occuper de vous. Je m'appelle Leandru et vous ?
- Edwige.
- Vous boitez, vous êtes tombée ?
- Oui, pendant l'attaque. Je n'arrive presque plus à poser le pied par terre.
Leandru appela Juliette pour qu'elle vienne lui donnait un coup de main et la petite fille accourut avec un sourire sur les lèvres, heureuse que son ami lui demande son aide.
Le jeune homme laissa Juliette faire connaissance avec Edwige et il partit à la recherche de tissus pour réaliser un bandage. Il prit ensuite Gisèle Laugret à part pour l'informer de l'état d'Edwige et lui demander de veiller sur elle car il n'avait aucune idée de la manière de s'occuper d'une femme enceinte.
Marius, quant à lui, était ravi car le groupe comprenait un petit garçon âgé de cinq and et très vite les deux enfants s'installèrent dans un coin du salon pour jouer ensemble.
Leandru les observa un instant en souriant : finalement l'arrivée de ces gens était peut-être une bonne chose.
Le soir venu, le jeune homme s'assura avec Georges que les blessés avaient tout ce dont ils avaient besoin et il s'installa à la cuisine avec Edwige pour boire un bol de soupe.
Cette dernière était lasse et, dans un geste de compassion, Leandru posa doucement sa main sur son bras.
- Je suis épuisée et je ne suis même pas sûre de désirer cet enfant.
- Son père est au courant ?
- Non, dès qu'il a eu ce qu'il voulait de moi, il est parti rejoindre sa fiancée. J'ai été bien naïve de croire qu'il m'aimait. Qu'est-ce que je vais faire ? Je n'ai ni argent ni maison où m'installer, je suis seule, sans amis et sans famille.
- Et ces gens avec qui vous marchiez ?
- Ils me tolèrent parmi eux mais je sais bien ce qu'ils pensent de moi...
Je vais essayer de trouver un couvent et demander de l'aide aux religieuses. Même si parfois, je me dis qu'il serait plus facile pour moi de m'arrêter sur le bord de la route et d'attendre que la mort me frappe à mon tour.
- Non, il ne faut pas dire ça Edwige ! Vous devez continuer à avancer. Et vous devez vous battre. Pour votre bébé et pour vous.
Vous devriez aller dormir. George a préparé des couvertures dans le salon à votre intention.
Edwige se leva et elle s'approcha de Leandru pour lui serrer la main. Le jeune homme ignora son geste et l'embrassa doucement sur la joue.
- Bonne nuit Edwige.
- Bonne nuit Leandru.
Le corse observa la jeune fille quitter la cuisine et, en soupirant, il rejoignit la petite chambre où il dormait avec Juliette, Marius et Robert.
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Le retour de Leandru en Corse, ce n'est pas pour tout de suite...
Comment voyez-vous la suite ?
Et puis surtout la rencontre de Leandru avec Edwige, cela vous inspire quoi ?
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