Carpentras


Leandru avait l'impression qu'il était une source de malheurs. Son frère était décédé par sa faute, Alice et Robert étaient morts alors qu'il était convaincu qu'il aurait pu éviter ce drame.

Et puis Edwige...

Il aurait dû se montrer plus ferme avec elle, il aurait dû la forcer à descendre dans la seconde cave et à présent...

Il avait été incapable d'annoncer la mort de Robert à Marius et Juliette, il avait laissé cette tâche ingrate à Georges pendant qu'il restait prostré sur une marche du perron devant la porte d'entrée.

Trois jours après l'horrible drame, Leandru ne s'en remettait toujours pas.

- Leandru...

Le jeune homme releva son visage baigné de larmes vers Gisèle. Il n'osait plus rester dans la maison et restait invariablement assis sur les marches devant la porte d'entrée à fixer l'allée devant lui. Gisèle l'aida à se relever puis elle l'amena doucement vers le salon.

Là, il vit que Georges avait pris Marius sur les genoux et que Juliette l'écoutait attentivement.

Le corse secoua la tête lorsqu'il entendit la petite fille dire d'un air de dépit :

- De toute façon, papa ne nous aimait plus.

Il s'approcha d'elle et la prit dans ses bras :

- Ton papa t'aimait beaucoup crois-moi.

- Toi aussi tu vas nous abandonner ?

- Non...non ! Nous allons continuer la route et nous allons nous rendre chez votre oncle comme ton papa l'avait prévu. Là-bas vous serez bien entourés, vous retrouverez vos cousins et...

- Mais tu ne resteras pas avec nous n'est-ce pas ?

- Non, je ne resterai pas. Je vais rentrer chez moi.

- Tu nous écriras des lettres ?

- Si tu veux, oui.

- Et tu reviendras nous voir ?

- Je...j'essaierai je te le promets.

- Papa nous avait promis que nous irions voir la mer. Il a menti. Toi aussi c'est ce que tu vas faire ?

Juliette regardait Leandru en pleurant. Ce dernier la fixa d'un air très sérieux :

- Non Juliette ton papa ne t'a pas menti. Il...le voulait je t'assure. Seulement, à présent,...c'est ton oncle qui fera en sorte de tenir la promesse de ton papa. Et je viendrai vous voir. Mais...je dois d'abord rentrer chez moi et aider mes parents.

Et je t'écrirai des lettres. Je t'en écrirai tellement que tu ne sauras plus quoi en faire. Seulement tu devras être patiente car elles devront être transportées par bateau avant d'arriver chez toi.

En attendant,...Georges a préparé la voiture. Ton oncle et ta tante sont impatients de te revoir.

Le cœur serré, Leandru aida les enfants à s'installer dans la voiture. Ces derniers avaient vécu en quelques semaines à peine des évènements atroces et cette horrible guerre avait fait d'eux des orphelins.

Il était sincère en expliquant à Juliette qu'il allait lui écrire régulièrement : il s'était attaché à elle et à Marius, un peu comme s'il s'agissait de ses frères et sœurs.
Dernier de la fratrie Venazzi, Leandru avait eu l'habitude d'être protégé et couvé par ses frères et sœurs, il avait l'habitude que chacun soit attentif à ses moindres désirs et à présent face au destin cruel qui frappait Juliette et Marius il voulait à son tour protéger ces derniers du mieux qu'il pouvait.

Le jeune homme eut une franche accolade avec Georges :

- Soit prudent mon petit. Et n'oublie pas, ne te monte pas le bourrichon inutilement avec les femmes.

Leandru quitta le manoir avec une certaine appréhension mais il ne rencontra aucun problème sur la route pendant toute la journée. Le nombre de civils diminuait au fur et à mesure qu'il avançait vers le Sud et il poussa un soupir de soulagement lorsqu'il dépassa la ville de Vichy en début de soirée.

Le jeune homme s'arrêta ensuite dans une petite épicerie à Roanne pour y acheter à manger pour les enfants. Georges lui avait donné un peu d'argent et Leandru était décidé à se priver afin que Marius et Juliette puissent se nourrir correctement.

La gérante dévisagea le corse avec une certaine suspicion lorsqu'il lui expliqua qu'il voulait acheter de quoi faire un bon repas pour deux enfants de quatre et sept ans.

Le jeune homme ajouta ensuite qu'il devait les conduire chez leur oncle suite au décès de leurs parents, tués par les allemands.

La dame se radoucie alors à ces mots et elle demanda à Leandru s'il avait un endroit pour dormir. Le corse secoua tristement la tête.

- Restez dans ce cas. Mon mari et moi nous sommes seuls, nos enfants sont mariés et ne vivent plus avec nous. Vous pouvez laisser votre voiture dans la cour et Gustave se chargera de remettre de l'essence demain matin.

Juliette et Marius furent gâtés par l'épicière, surtout après que le petit garçon, en serrant son ours en peluche contre lui, expliqua que des méchants avions avaient tué sa maman.

Pendant que les deux petits se restauraient, Leandru expliqua toute leur histoire sous le regard attentif et attendri de la commerçante.

- Et vous, vous ne mangez pas ?

- Oh...le principal c'est qu'ils n'aient plus faim.

- Non, non, non vous allez manger aussi. Tenez, voici une belle miche de pain et de la confiture maison. Et j'ai encore de la soupe de ce midi. Vous avez du courage malgré votre jeune âge. J'espère que vous pourrez rentrer chez vous sain et sauf.

- Comment cela se passe-t-il dans la région ?

- Et bien,...nous sommes dans la zone libre, vous êtes en sécurité et vous n'avez plus à redouter une attaque aérienne. Il vous faudra sans doute attendre quelques jours pour trouver un bateau mais au moins, vous êtes libre de circuler où bon vous semble.

La marchande guida ensuite Leandru vers l'étage. Elle lui indiqua que Juliette et Marius pouvaient dormir dans une chambre et qu'il pouvait prendre celle qui se situait jusqu'à côté. Comprenant que le corse allait se trouver dans une autre pièce, Marius s'accrocha à ses jambes avec désespoir.

Le jeune homme regarda son hôtesse d'un air malheureux et cette dernière lui proposa alors d'amener le matelas de son lit dans la chambre des enfants afin qu'ils ne restent pas seuls.

Juliette et Marius, rassurés par la présence de Leandru, ne mirent pas longtemps à s'endormir. Le jeune homme discuta ensuite quelques instants avec la commerçante puis il s'installa à son tour pour la nuit.

Le lendemain matin, il fut très surpris en découvrant le grand panier qu'avait préparé l'épicière à son intention. Il fut très gêné et il la remercia en balbutiant.

Après avoir pris un bon petit déjeuner, Leandru, Juliette et Marius repartirent en direction de Carpentras qu'ils atteignirent à la nuit tombée.

Félicien Chevaleret accueillit ses neveu et nièce avec émotion car, lorsqu'il constata qu'ils étaient seuls avec ce jeune homme inconnu, il comprit très vite qu'il était arrivé malheur à sa sœur et son époux.
Leandru attendit que les enfants soient pris en charge par leur tante pour raconter son triste périple depuis sa fuite de Saint-Omer.

Félicien remercia à de nombreuses reprises le jeune homme d'avoir accepté de conduire Marius et Juliette jusqu'à son domicile puis, il s'enquit de ses projets futurs.

- Rejoindre la Corse le plus rapidement possible.

- Loin de moi l'idée de vous retenir mais...vous devriez prendre un peu de repos. Votre teint est blafard et...même si ce n'est pas exceptionnel, nous avons de quoi nous nourrir encore en suffisance. Nous avons une grande maison, votre présence ne sera pas un fardeau pour nous et les enfants...je pense qu'ils n'ont pas envie de vous laisser partir aussi vite.

Leandru hésita mais n'ayant à présent plus d'argent sur lui, il accepta l'offre de Félicien et il lui demanda s'il ne pouvait pas lui trouver un petit boulot pour quelques jours, pour qu'il puisse récolter la somme nécessaire pour rejoindre son île natale.

Félicien lui indiqua que son frère tenait un bar-tabac- épicerie en ville et qu'il ne serait pas contre de recevoir un peu d'aide.

Leandru déposa donc son maigre baluchon dans la petite chambre qui serait la sienne durant son séjour à Carpentras.

Les cris de joie de Juliette et Marius, lorsqu'il s'installa à la table de la cuisine lui apportèrent un peu de baume au cœur.

Les jours passèrent et le jeune corse ne cessait de repousser son départ. Il lui arrivait fréquemment de se rendre en pleine nuit dans la chambre de Marius et de Juliette pour les consoler après que le frère et la sœur aient fait un cauchemar. Les voir aussi malheureux empêchait Leandru de les quitter.

Il écrivit alors une longue lettre à ses parents pour les rassurer sur son sort et, à la fin du mois de juillet, il se trouvait toujours chez Félicien.

Les nouvelles de la guerre, qu'il lisait chaque jour dans les journaux, l'incitèrent également à retarder son départ. Il y avait eu plusieurs navires coulés dans la Méditerranée et les tensions entre britanniques et italiens commençaient à inquiéter sérieusement le jeune homme.

D'ailleurs, Un ami de Félicien qui était venu pour une brève visite de courtoisie à la mi-août, informa Leandru qu'il était extrêmement compliqué de trouver un cargo qui acceptait de naviguer dans la région.

Le corse avait le sentiment que le sors s'acharnait contre lui. Et de ne pas recevoir de nouvelles de ses parents lui plombait un peu plus le moral.

Heureusement, Juliette et Marius étaient comme un rayon de soleil pour lui : les enfants, même s'ils avaient régulièrement des moments de tristesse, semblaient revivre dans un environnement un peu plus familial. Félicien avait trois enfants âgés entre cinq et dix ans et cela aidait aussi Juliette et Marius à oublier un peu les drames qu'ils avaient vécu.

Leandru partageait leurs jeux avec plaisir jusqu'à ce qu'un matin, il chuta lourdement au sol pendant une course en sac avec Juliette.

Le jeune homme ressentit une douleur foudroyante au pied et, quand il essaya de se relever, la souffrance était telle qu'il comprit qu'il avait sans doute une belle fracture.

Avec une certaine résignation, Leandru accepta le verdict du médecin et se vit contraint de ne plus poser le pied pendant un mois.

Les enfants firent tout ce qu'ils purent pour le distraire mais au début du mois d'octobre, ils retournèrent en classe et Leandru se sentit tout à coup très seul. Heureusement, le frère de Félicien l'employait toujours et il lui avait confié toute la comptabilité de son commerce.

Ainsi plongé dans les chiffres, le jeune homme avait moins de temps pour penser à sa situation et à son éloignement de la Corse.

Enfin, après ce qui lui sembla une éternité, à la fin du mois d'octobre, il quitta, non sans un pincement au cœur, la demeure de Félicien. Il promit à Juliette et Marius de leur écrire, il remercia leur oncle puis l'un des hommes du village le conduisit à Marseille.

Leandru dut patienter cinq jours avant de pouvoir embarder sur un cargo et il ne put cacher son émotion lorsqu'il aperçut le port de Bastia, un peu plus de cinq mois après l'avoir quitté.


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Voilààààààààààà Leandru va enfin rentrer chez lui. 

Comment pensez-vous qu'il va réagir lorsqu'il reverra Elisabetta ? Va t-il réellement tenter de discuter avec elle, d'aplanir leurs différents ou leurs querelles vont-elles repartir de plus belle ?

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