8.1
Strasbourg, 7 août 1940.
Harry ne tenta même pas de masquer la surprise qui envahit son visage à cette révélation. Les émotions défilèrent ainsi librement sur ses traits tannés par le soleil et sur laquelle la pâleur de la lune s'amusait à dessiner des arabesques éphémères. L'étonnement passé, la tristesse suivit de près, talonnée par une colère vile, la même qui lui nouait les entrailles à toute heure de la journée.
Une ombre étrange dansait sur le faciès de Draco, accompagnée par un tressaillement inconscient de la main. La cigarette achevait de se consumer entre ses doigts crispés et il l'écrasa au sol, du bout de la botte.
Le regard d'Harry trouva la silhouette courbée de son homologue. Il eut soudain l'impression, aussi futile soit-elle, que l'être qui lui faisait face n'était plus celui qu'il avait rencontré près d'un mois auparavant. Le membre de la SS, chargé, aux côtés de la Wehrmacht et de la Gestapo fraîchement installées au commissariat en toute discrétion. Il ne voyait pas la créature venue tout droit de l'enfer et dont le sang de ses victimes souillait les mains. Non, Harry retrouvait l'humain dans la détresse de son regard.
—Que lui est-il arrivé ? s'enquit-il, d'une voix dépourvue d'animosité.
—Ils l'ont frappé, des hommes avec qui il travaillait, des hommes en qui il avait confiance. Ils lui ont fait regretter quelque chose dont il n'est pas coupable. Ces chiens !
La peine côtoyait allégrement la souffrance et la rage. Etonnamment, Harry se retrouva dans cet étrange cocktail de saveurs teintées d'amertume. Il aurait sans doute dû se moquer du malheur de son bourreau, lui faire ravaler ses paroles et le culot dont il faisait preuve à se plaindre de la sorte. Mais n'y avait-il pas plus commun que la douleur ? Celle du cœur clouait Draco sur les dalles glacées des rives et qui martelait celui du Français. Une émotion réciproque qui, en cette nuit étoilée, rapprochait leurs âmes esseulées.
—Il n'est pas encore sorti d'affaire mais... pendant un instant, j'ai cru qu'ils avaient réussi leur coup. Qu'ils avaient réussi leur coup et qu'il était mort sans être coupable de rien.
Durant ces heures de peur désabusée, il s'était promis de venger l'honneur de son ami. Que ces types paieraient, tôt ou tard, pour leurs méfaits. Il s'était juré que plus aucun d'entre eux n'oseraient lever la main sur un homme noir, qu'ils n'en auraient plus jamais l'occasion. Draco Malfoy avait beau être un lâche aux yeux de son père, il était de ces choses que sa conscience ne saurait accepter.
—Pas besoin d'être coupable de quoi que ce soit pour mourir, élucida Harry, au creux du silence.
—Je sais maintenant que non, soupira l'Allemand, concédant quelque chose qui lui coûtait un effort conséquent.
La question juive ne manqua pas d'effleurer son esprit et les souvenirs des paroles inculquées par son père et lors des entraînements hurlaient une vision qui, timidement, se voyait contredit. Il en avait honte et n'en avouerait rien pour le moment. Rien de plus que ce qui lui avait déjà échappé.
—Qu'allez-vous faire ?
Draco sourcilla, manifestant son incompréhension d'une expression caractéristique. Harry reprit alors, son regard naviguant au gré des flots, évitant soigneusement les orbes pâles et scrutateurs de son vis-à-vis :
—Pour votre ami, que comptez-vous faire ?
—La vraie question n'est pas celle-ci, remarqua le blond, de sa voix traînante.
Un court silence suivit ses paroles alors que le juif méditait ces propos. Quelle interrogation pouvait bien remplacer celle qui, légitime, s'apposait à sa conscience ? Draco coupa court aux réflexions bafouées de son homologue, balançant machinalement un galet dans l'eau, brisant la paisible tranquillité de la surface dans un bruit sonore. L'onde se propagea sur plusieurs mètres avant que le calme ne reprenne possession des profondeurs sombres.
Profitant du regain d'attention du Français, Draco reprit, d'une interrogation moins impériale qu'à l'ordinaire :
—Tu ne me demandes pas quelle est la vraie ? Tu as perdu ta curiosité dans la rivière ou c'est ta langue qui s'y est noyée ?
—J'attendais que vous le fassiez vous-même, rétorqua Harry, faisant fi de la politesse depuis longtemps abandonnée. Je suis certain que vous vous en sortirez très bien tout seul.
L'autre tiqua à la mention des derniers mots. Tout seul ? La solitude par ici lui semblait être un fardeau terrible ? Il se sentait orphelin bien qu'une nation toute entière approuve ses actes. Sans se positionner plus que nécessaire sur cette nouvelle pensée parasite, il reprit part à la conversation laissée en suspend :
—Que puis-je y faire ? Il n'y a rien que je puisse faire à part tuer les bâtards qui l'ont battu.
Harry ne sembla pas comprendre et s'interrogea à n'en plus finir. Quels obstacles pouvaient se dresser face à un homme tel que lui ? Quelles étaient les entraves qui l'empêchaient d'agir comme bon lui semble ? Il proposa une solution simpliste, sur le ton de l'évidence :
—Pourquoi ne pas l'amener ici ? Personne n'oserait lui faire du mal en sachant qu'il est sous votre protection.
—Ce n'est pas si simple.
—Et pourquoi ça ne le serait pas ? Le transférer ici pour des soins ne devrait pas poser problème.
—Quel médecin allemand accepterait de soigner un homme noir ? Aucun, il n'y en a pas un seul !
Une bouffée d'adrénaline avait envahi l'organisme d'Harry, le protégeant de la fraîcheur nocturne et enveniment sa pensée jusqu'à la rendre bien moins acérée. La compassion, aussi improbable et inattendue soit-elle, ne l'avait pas quitté et la pâle clarté de la lune semblait donner un visage nouveau au monstre. Une amorce d'humanité qui se déposait sur ses traits, le libérant du masque qui maculait ses joues à toute heure de la journée. La créature d'une violence légendaire que son père avait créée. Un homme de chairs et de sang mais dont l'esprit avait été aussi facilement corrompu que ses semblables. Fallait-il lui pardonner ne serait-ce qu'une part de ses crimes ? Ou venger l'honneur des victimes pour une excuse qui ne lui occasionnerait pas la moindre satisfaction ?
Harry se leva doucement, étirant ses membres endoloris par l'inaction. Il réajusta son manteau bon marché auquel Draco adressa un regard entre dégout et mépris. Le plus jeune l'ignora superbement avant de déclarer, avec une hauteur qu'il ne se connaissait pas :
—Si, moi j'accepterai.
—Parce que tu es médecin ?
—Officiellement, vous n'autorisez aucun de ces métiers au juif, souleva Harry, d'une voix blanche.
—Tu ne sembles pas être de ceux qui respectent les règles mises en place.
—Je les enfreins seulement lorsqu'elles sont injustes.
Draco laissa échapper un sourire. Un rictus sincère qui se glissa contre ses lèvres une seconde durant. Cette joute verbale, au-delà de son contenu, l'égayait d'une manière plaisante. Son regard serpenta sur les traits du Français, mémorisant avec attention l'angle sec de sa mâchoire et la courbe harmonieuse de sa joue.
—J'apprends les ficelles du métier, affirma Harry, haussant les épaules, les mains enfoncées dans ses poches. Clandestinement.
—Le Reich n'en saura rien, promit le blond, dans un murmure.
Il venait d'accepter inopinément l'offre de son cadet. Il aurait tout le loisir d'y réfléchir durant les heures précédent l'aube. Durant cette période d'errance que la nuit insufflait dans les âmes et les cœurs. De toute manière, existait-il meilleure solution ? Perdu, Draco ne songeait qu'à son ami, à le sauver des griffes de ceux qui l'avaient mis à terre.
Harry hocha la tête, une gratitude fugace caressa son être pour se frayer une place dans ses orbes verts. Il était sur le point de partir, de quitter son vis-à-vis sans rien ajouter de plus qu'un regard appuyé, mais à l'instant où il s'apprêtait à tourner les talons, l'Allemand le retint :
—Attends !
Le juif se retourna à nouveau entièrement face à son homologue, une moue interrogative prenant possession de son visage. Il s'enquit :
—Oui ?
—Je le savais déjà.
—Quoi ? Que je suis médecin ?
—Non, que tu es juif.
La bouche d'Harry forme un O parfait, symbolisant son étonnement et sa surprise. Draco l'observait depuis l'endroit où il se tenait toujours sagement assis, ses prunelles grises semblaient lire en lui comme dans un livre ouvert. À la douce lueur de l'astre de la nuit, sa ressemblance avec un ange se faisait certaine, profondément unanime. Un ange que l'on aurait dépourvu de ses ailes. Un ange déchu.
—J'ai brûlé la feuille juste après l'avoir lue, personne ne saura rien de ce qu'il s'est passé ce soir-là. Ton casier est vierge.
Nouveau silence. Légèrement plus court mais d'une redoutable intensité. Les deux hommes se rendaient leurs regards sans porter le moindre jugement. Inconsciemment, ils venaient de franchir une limite critique. Ils ne seraient plus jamais des inconnus, la haine ne pouvait plus se permettre d'investir leur cœur. Cela dépassait l'entendement, la frontière du réel et sans doute bien plus encore.
—Merci, murmura Harry, sincèrement.
Draco acquiesça avant que son cadet ne s'éclipse, quittant les quais et l'atmosphère inqualifiable qui y régnait. Abandonnant son camarade d'un soir tandis que sa silhouette regagnait l'uniformité noire des rues strasbourgeoises dans un silence de plomb. Il ne restait alors qu'une âme consciente ici-bas, seule au milieu des reflets de l'Ill et de tous ces ombres voraces. À nouveau seul.
Doucement, un accord se met en place, aussi improbable cette alliance puisse paraître. Ils y trouvent tous les deux leur compte même s'il faut dire que c'est plus l'humanité d'Harry qui l'a poussé à agir et non pas le profit.
Dans la prochaine partie, centrée sur Draco, nous rencontrerons un personnage dont il a déjà plus ou moins été question plus tôt : Narcissa Malfoy !
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