7.2
Devant le silence renouvelé du concerné, le brun ne put s'empêcher de serrer les poings. D'où venait cette rage soudaine ? Il n'en avait que faire, la seule chose qui lui importait était de crier à cet homme, au monde entier, le sentiment d'injustice qui dévorait son être. Sa voix jaillit des tréfonds de ses entrailles pour s'exclamer avec une force redoutable :
—Je suis juif et je viens d'enfreindre le couvre-feu, qu'attendez-vous pour me mettre derrière les barreaux ? M'expulser loin d'ici, en France ? Ou pire, qu'attendez-vous pour vous débarrassez de moi ? Un de plus ou un de moins, qu'est-ce que ça changera ? Ce n'est pas votre but après tout, nous éliminer tous ? Faites votre travail comme il faut, faites-le bien ! Nous vivons tous en sursis et, un jour ou l'autre, vous viendrez nous chercher pour en finir. Votre foutue police finira par me mettre la main dessus et que ce soit vous ou quelqu'un d'autre, c'est du pareil au même. Les monstres restent des monstres, le suivant ne sera pas moins mauvais que le précédent !
Essoufflé, Harry réajusta son manteau contre son corps. Le froid éveillant un frisson sur sa peau découverte alors que sa gorge se remettait doucement de la blessure des mots. Il n'aurait certainement pas dû prononcer ces paroles avec autant de sincérité et s'apprêtait à accuser les conséquences de sa bravoure. Il avait vingt-deux ans et rien ne lui serait pardonné, pas même l'envie farouche de s'en sortir.
Draco écrasa pensivement son mégot sur le sol. Son esprit lui jouait souvent des tours et le surplus d'émotions des derniers jours l'empêchait d'obtenir un raisonnement clair. Peut-être que dans d'autres circonstances, il aurait véritablement envoyé le Français pourrir dans une cellule. Certainement qu'il n'aurait pas été pris d'une once de pitié à son égard.
—Je ne suis pas en service, je suis supposé dormir à cette heure-ci et non pas écouter les tristes malheurs du peuple. Les monstres aussi dorment la nuit, prononça-t-il, froidement.
—J'ai de la chance d'être tombé sur un monstre compatissant, il attendra l'aube pour me faire taire, persifla Harry, aveuglément.
—Si tu poursuis, il se pourrait que j'en aie l'envie.
Un silence suivit, comme si cette ébauche de discussion était supposée s'achever ici. Draco faillit se lever, saluer presque poliment son homologue pour rejoindre son lit et oublier toute cette fâcheuse histoire, mais il resta bien ancré sur sa position. Il songeait à la tristesse qui le hantait, à son meilleur ami, Blaise, qui subissait les sévices racistes de ses confrères à quelques centaines de kilomètres de là. Il ne le supportait simplement pas, prêt à abandonner ce fardeau à l'ouïe épuisée de l'Ill.
Harry réfléchissait lui aussi, calmant l'ardeur qui l'avait mené jusqu'ici. Les étoiles l'y aidaient, apaisant son courroux et le menant à articuler, à nouveau très bas et après un bref regard en direction du jeune soldat :
—C'est la deuxième fois que vous me sauvez la vie.
—Oui, je sais. Épargne-moi tes discours sur la lâcheté et les monstres, un seul a suffi.
—Je ne comprends pas, répéta encore Harry, d'un ton confus.
—Il n'y a simplement rien à comprendre. Je ne pense pas que tu mérites de mourir, ne va pas t'inventer une autre explication.
—Personne ne mérite de mourir, rectifia le juif, dans un froncement de sourcils. Encore moins comme ça, pour rien.
Le visage de Draco se chargea d'une grande gravité. Son regard s'assombrit encore davantage jusqu'à se mêler à l'obscurité alentours. Il passa une main dans ses cheveux afin de discipliner les dernières mèches qui retombaient sur son front. Il déglutit péniblement, allumant une seconde cigarette à défaut d'avoir un verre de whisky à porter de main. Harry releva le geste, son cerveau de médecin lui indiquant les sévices de la nicotine sur le corps humain. Sévices encore méconnus par l'écrasante majorité de ses contemporains. Il n'en fit pas la remarque et cessa d'observer son vis-à-vis de la sorte.
—Je ne pensais jamais dire cela un jour, mais il se pourrait bien que tu aies raison, articula l'Allemand, au prix d'un effort considérable.
Il regretta ses paroles à peine les avait-il prononcées. Il était trop tard, le mal était fait et la confidence s'avérait plus grande qu'à première vue. Il soupira, la cigarette se consumant entre ses doigts et devant son regard dépité. Qu'avait-il fait ?
L'envie d'abandonner le fardeau qui l'accablait s'invitait en son sein, terrible tentation qu'il n'aurait sans doute pas dû écouter. Il ne sut jamais pour quelles raisons exactes il avait laissé s'échapper tout cela. Était-ce Harry, la nuit qui lui avait semblé particulière ou la fatigue des derniers jours ? Peut-être un savant mélange des trois, le prix des coïncidences assemblées par l'humeur joyeuse du destin.
—En venant ici, j'ai tout abandonné derrière moi. Ma famille, ma fiancée et mon meilleur ami. Ils sont tous restés en Allemagne et moi, j'ai obéi à la volonté de mon père. Il voulait que je sois de ceux qui se rendraient en Alsace, il l'exigeait et il n'était pas question pour moi de refuser. Il voulait que j'appartienne à ces fiers allemands qui rendraient à cette terre sa grandeur passée. Pour mon père, cette région n'a jamais appartenu aux Français, il est donc naturel qu'elle revienne au Reich.
Il s'accorda une courte pause, s'attendant à ce que son confident improvisé ne se révolte, ne lui cingle que ses pauvres petits soucis ne l'intéressaient en rien et lui assène qu'il y avait bien plus grave que tout cela. D'une manière ou d'une autre, Draco s'était préparé à une violente remarque de la part d'Harry. Ce dernier n'en fit rien, se contenta d'attraper la cigarette des mains de son interlocuteur pour la porter à ses lèvres. Après tout, il fallait bien mourir de quelque chose, non ?
Le blond observa le geste avec une pointe d'étonnement masquée derrière son inexpressivité habituelle. Ce geste lui paraissait inattendu et le déstabilisa une seconde avant qu'il ne se reprenne. Après avoir suivi l'action du Français, les volutes ternes s'échappant d'entre ses lèvres entrouvertes, Draco releva sans peine la sensualité qui en ressortissait avant de poursuivre son récit :
—Mon meilleur ami, Blaise, est resté là-bas. Je l'ai toujours considéré comme mon égal, comme mon frère, mais j'étais bien le seul.
—Pourquoi ? renchérit Harry, sans attendre et légèrement intrigué par la tournure que prenait cette conversation.
—Le Reich ne le considère pas comme étant... l'égal des autres hommes.
—Il est comme moi ? Juif ?
—Non.
—Homosexuel ? s'enquit encore Harry, surpris de sa propre sincérité.
Il remarqua maladroitement le trouble qui saisit son homologue. L'éclair qui traversa son regard avant que la surface lisse de ses orbes gris. Il n'en comprit ni la source ni la nature. Draco s'humecta les lèvres, cherchant l'inspiration d'une réponse simple dans l'immensité de la Voie Lactée. Les étoiles se bousculaient sur le fond obscur du ciel et, au cœur de tout cela, la Lune imposait sa majestueuse face éclairant l'infini.
—Non plus.
Harry sourcilla, pendu aux lèvres de l'Allemand sans relever l'improbable de cette situation. Draco ne tarda plus, mettant fin aux doutes en puisant dans ces douloureux dires, les clamant comme une injure, une offense :
—Il est noir et on le lui a fait payer.
Je publie avec un jour d'avance cette petite partie :3
Comme dit précédemment, j'aime beaucoup la facette de Draco dans ce chapitre. Très humaine, loin du nazi dépourvu d'émotions.
Le prochain chapitre verra la suite de cette conversation, moins d'animosité de la part d'Harry qui ne peut s'empêcher d'éprouver de la pitié pour Blaise :)
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