56.2

Belfort, 11 janvier 1944.

Ni Harry ni Blaise n'avaient entendu les échos de la dispute tardive de la veille. Hermione avait émergé de sa chambre aux aurores, le visage défait, mais étrangement digne. Elle avait pris un petit-déjeuner plus copieux que ceux qu'ils se permettaient à Strasbourg et avait rechigné à répondre aux salutations des deux hommes. Ron, quant à lui, était apparu plus tard et son irruption dans la pièce qui servait de réfectoire ne lui attira aucun regard de la part d'Hermione. Celle-ci l'ignorait de toute sa superbe, les lèvres trempées dans le café amer qu'elle buvait à petites gorgées, davantage pour se réchauffer et pour s'occuper les mains que par goût pour la boisson amer.

L'ambiance en devint électrique et Harry interrogea Blaise du regard en constatant que son meilleur ami fuyait ses œillades répétées. Ron ne s'attarda pas et, avec un aplomb qu'aucun ne lui connaissait, il énonça :

— Dumbledore a à vous parler. Il vous attend dans son bureau.

— Nous parler ? répéta Blaise, lentement, un épais pli rejoignant presque ses sourcils épais.

— Vis-à-vis de quoi ? renchérit Harry, sans laisser le loisir à Ron de darder un regard assassin sur le métis.

— Il veut vous rencontrer.

Harry sut que ce n'était pas simplement une interaction de courtoisie et il ignorait encore à quel point il avait vu juste. Ron demeurait évasif, par manque de coopération ou parce que le pouvoir qu'il détenait, ce mystère distillé avec brio, lui plaisait particulièrement, son meilleur ami n'en était pas certain. Hermione ne réagit pas et seule la succession de battements de cils trahit son humeur exécrable.

— Maintenant ?

— Il vous attend.

Hermione accrocha par mégarde le regard de Blaise qui semblait lui demander, en silence, si tout allait pour le mieux. Elle acquiesça brièvement et se leva, faisant grincer sa chaise sous son geste impulsif. Harry déposa sur elle une œillade surprise. Que lui arrivait-elle ? Serait-ce la présence perturbatrice de Ron qui la rendait aussi fébrile ? Toutes les attentions se centraient sur la jeune femme et, dans un rougissement à mi-chemin entre la colère et la gêne, elle déclama :

— Eh bien, allons-y. C'est impoli de faire patienter son hôte.

Harry leva les yeux au ciel. Là, il reconnaissait la Hermione Granger habituelle et, pour cette seule et unique raison, il se leva sans discuter et lui obéit. Blaise suivit sans rechigner et Ron joua les rôles de guide improvisé. Harry retrouvait l'école d'autrefois et l'idée qu'il découvrirait bientôt le visage d'un autre homme à l'endroit où Severus s'installait le paralysait d'effroi. Les mois ne l'avaient pas soulagé de l'idée de sa mort ni même des circonstances de sa disparition. Ses nuits étaient hantées par le souvenir de cet homme juste et par la figure de Nott, bien plus terrifiante. Malgré son indifférence feinte, Harry se révélait bien plus marqué par les événements qu'il le montrait et d'ailleurs, le silence forgé d'autorité autour de ce qu'ils avaient subi, Blaise et lui, leur permettaient de se reconstruire en silence. Jamais les deux hommes n'avaient abordé le sujet ensemble et si le métis ne trahissait aucun traumatisme, Harry se doutait que la vérité était toute autre. Nul ne sortait indemne d'une captivité telle que celle qu'ils avaient subie, même un homme habitué aux rudes traitements de ses contemporains.

Ron marcha sans un mot et, n'y tenant plus, son meilleur ami brisa lui-même le silence qui régnait :

— La situation ici, elle n'a pas trop changé depuis...

— Depuis la mort de Severus ? Non, Dumbledore est moins sévère et il est efficace. Le reste, la manière dont il gère ses affaires, ça ne nous regarde pas.

Harry ouvrit la bouche et la referma. Hermione respectait une distance raisonnable entre Ron et elle, octroyant aux deux hommes une sécurité et le loisir d'entamer une conversation propre. L'envie de toucher au sujet délicat, mais essentiel de la disparition de Fred effleurait continuellement Harry et il lui semblait que le rouquin pressait le pas pour éviter toute discussion. Les murs se ressemblaient et le juif ne disposait que de quelques secondes avant qu'ils n'arrivent à destination. Il s'humecta les lèvres et décida de les mettre à profit :

— Écoute, Ron, je voulais que tu saches que je suis désolé pour ton frère.

— Il serait ravi de l'apprendre.

Les dents d'Harry grincèrent et le regard de Ron s'était considérablement durci. Il ne désirait pas poursuivre la conversation et le message était clair, limpide même.

— J'aimais beaucoup ton frère alors, crois-moi, je suis sincèrement désolé. Sa mort m'a... beaucoup attristé.

— Pense un peu à George alors, imagine l'état dans lequel il est.

— C'est aussi pour ça qu'on est venu, pour vous soutenir.

— C'est con, hein ? siffla Ron dans un reniflement et tout en risquant un regard dur sur la silhouette de son meilleur ami. On en voit des tas, des gens qui meurent et il suffit qu'on le connaisse pour que le monde s'écroule. C'est pas un peu ridicule.

— Hypocrite aussi, ajouta Harry, d'une voix blanche, mais personne ne te reprochera ton deuil.

— Je me reproche rien ! Toi, par contre, tu n'étais même pas là. Qu'est-ce que tu foutais en Allemagne la dernière fois ? George m'a raconté.

Harry doutait sérieusement que George ait tout raconté dans le moindre détail, mais il s'en voulut de ne pas avoir supposé plus tôt que le grand frère dispenserait à Ron les raisons de la disparition de Severus. L'amertume incendiait le plus jeune des frères Weasley, un frère orphelin de l'un des représentants de cette immense tribut. Il lui manquait désormais une part de lui-même et, pour cette raison, Harry ne put se résoudre à reprocher à son ami son comportement injuste. Ce n'était pas la première fois qu'il distinguait une amertume chronique chez les victimes de la guerre. Chacun se protégeait à sa manière et le médecin se tut.

Ils parvinrent à destination et Ron ne décolérait pas. Ses traits durcis par les années attristèrent son ami à l'instant où il ouvrit la porte située au bout du couloir. Une porte ornée par une plaque où le nom du directeur, Albus Dumbledore, était soigneusement gravé. Le visage du susnommé apparut dans l'embrasure et le vieil homme s'offrit aux regards curieux des jeunes gens sans frémir. Harry s'étonna d'abord de la lueur amusée de son regard, puis de la longueur de ses cheveux blancs et de sa barbe. Il ressemblait à une caricature, à un personnage de roman, mais certainement pas au vieillard qu'il s'était imaginé. Derrière une paire de lunettes aux verres en croissant de lune, deux yeux clairs brillaient d'intelligence et de réjouissance. Ron n'avait pas menti en prétendant que Dumbledore les attendait, l'intéressé trépignait presque sur son siège et, malgré cette malice subtile, il respirait une sagesse étudiée et impressionnante. Hermione ne cacha rien de sa surprise et Blaise s'apprêtait d'ores et déjà à disparaître dans l'ombre des deux personnalités fortes qu'il suivait comme son ombre. Plus le temps passait, plus il se révélait introverti et effacé. Sa peau foncée le lui avait appris, il était préférable de ne pas se faire remarquer, surtout sans connaître les positions de ce surprenant vieil homme.

— Eh bien, eh bien, articula ce dernier, empruntant une intonation légère, presque bon enfant. Les trois jeunes gens qui me viennent de Strasbourg. Il me tardait de vous rencontrer.

— Enchanté, Monsieur Dumbledore.

— Mademoiselle Granger, je présume. Severus m'a brièvement parlé de vous.

— Oh... réagit Hermione en s'empourprant. J'imagine que son discours n'était pas des plus élogieux.

— Au contraire. Severus m'a dépeint une intelligence peu commune et je ne doute pas de sa parole.

L'Alsacienne souriait très largement, sa bonne humeur retrouvait. Il fallait dire que les compliments étaient bien peu nombreux et rares étaient ceux qui reconnaissaient volontiers ses talents de médecin. Elle ignorait que Severus ait pu faire l'éloge de ses qualités et, à vrai dire, elle peinait à s'imaginer une discussion où l'ancien directeur de l'établissement évoquerait son nom sans tarir de compliments à son égard. Elle en était presque persuadée que Dumbledore mentait par politesse. Celui-ci lissa sa longue barbe avant de philosopher :

— Notre regretté ami n'était pas homme à s'encombrer d'amabilités inutiles, aussi j'avais et j'ai encore aujourd'hui une parfaite confiance en son jugement. Je suis heureux de vous savoir ici, à Belfort.

— Et en quoi son intelligence vous sera utile ? intervint Harry, avec calcul.

Le regard clair, lisse comme de l'eau, du vieillard se verrouilla sur le garçon dont le corps se tendit imperceptiblement. Derrière ces banalités, il pressentait une conversation plus primordiale et doutait sérieusement qu'on les ait conviés dans le bureau de cet homme simplement pour leur souhaiter la bienvenue. Une ébauche de sourire prit place sur les lèvres fines de Dumbledore à mesure qu'il énonçait :

— Harry Potter... Vous aussi, Severus m'a maintes fois parlé de vous. Cela va vous étonner, mais il vous tenait en haute estime.

Harry aurait voulu rétorquer, rappliquer, mais ses lèvres ne laissèrent filtrer aucun son. Sa gorge s'était considérablement serrée et étouffait la moindre tentative de prise de parole. Sans s'attarder, son regard ayant depuis longtemps mémorisé les traits avenants du médecin, Dumbledore acheva cette présentation sommaire par Blaise. Blaise qui s'était préparé à être ignoré, bafoué, méprisé même et qui reçut cette attention personnelle comme une offense. À ses côtés, Hermione put presque sentir le corps de l'homme se tendre.

— Blaise Zabini, c'est exact ?

— Oui, Monsieur. Je suis... honoré de vous rencontrer.

— Severus m'avait prévenu que...

— Si vous refusez que je vive sous votre toit, inutile d'épiloguer, je...

— ... qu'un Allemand tendrait à nous rejoindre, compléta Dumbledore, sans prêter attention aux paroles hasardeuses du métis. Vous êtes bien entendu le bienvenu. Je ne peux vous promettre que cela se passera sans encombre, les hommes qui s'engagent dans la Résistance vouent souvent une haine profonde envers les Allemands, mais sachez que vous disposez de mon entier soutien.

Blaise cilla. Il demeura muet quelques secondes et Hermione esquissa un léger sourire. Le jeune homme était peu habitué à de telles attentions et Ron maugréait déjà dans un coin de la pièce. Harry, quant à lui, méditait ce qui se cachait derrière la générosité de ces paroles. Une proposition d'intégrer la Résistance de Belfort, cela ne faisait plus l'ombre d'un doute.

— Je ne suis plus fidèle au Reich, vous avez ma parole et vous pouvez compter sur mon entière fidélité, débita Blaise avec une fluidité étonnante.

Harry réfléchissait à toute allure. Pourquoi Ron le leur avait caché une information qui n'aurait, de toute évidence, choqué personne ? Cela tenait presque de la banalité et Hermione partageait en secret cette pensée.

— Je suis prêt à reprendre ma place, avança Harry avec prudence.

— Très bien.

La jeune femme n'ajouta rien et songea qu'elle se contenterait des détails insignifiants que les hommes accepteraient de lui laisser. Il ne s'agissait plus d'actions individuelles et isolées et elle en avait conscience, non sans dépit. Là encore, comme s'il lisait dans ses pensées, Dumbledore s'adressa à elle :

— Il se trouve que nous allons avoir besoin de votre présence. Vous, Hermione, en premier lieu.

— Moi ? En quoi ma présence peut-être servir ?

— Nous préparons une opération d'ampleur depuis quelques semaines.

Cette fois, le directeur venait de capter toutes les attentions et même Ron, toujours debout près de la porte, portait une oreille attentive. La sagesse qui émanait de Dumbledore ne masquait pas entièrement une part de son caractère proprement calculateur. Blaise y était attentif, tout comme Harry et Hermione, dans une mesure plus ou moins redoutable. Ils n'étaient pas manipulés, mais le vieil homme menait la discussion là où bon lui semblait et avec une redoutable aisance. Ils comprirent comment cet établissement était passé inaperçu jusqu'alors, la vive intelligence de son directeur n'y était pas étrangère. Encouragé à poursuivre, il remonta ses lunettes jusqu'à la base de son nez avant de prendre la parole.

— Une opération qui demande un haut niveau de préparation. J'ai moi-même orchestré l'organisation des plans, mais il me faudrait un avis extérieur concernant des détails.

— Mes amis opéraient sans réelle organisation, commenta Ron, d'une voix qu'il vida de son mieux de tout reproche.

— Mais nous sommes tout à fait capables de nous adapter, contra Hermione, avec un aplomb exagéré. Il nous faudra simplement un peu de temps.

— Je crains que nous ne disposions pas d'autant de temps que nous le souhaiterions.

Le calme parfait de Dumbledore glaça le sang d'Harry. Son instinct lui criait que ce qui l'attendait ne lui plairait guère et le regard qu'il échangea avec Hermione le lui confirma.

— Quand ? interrogea-t-il.

— Et quelle est cette opération ? enchaîna la jeune femme au point où leurs questions se chevauchèrent.

— Une mission de sabotage est prévue pour la nuit de demain, lâcha Ron sans plus attendre. 


Un chapitre moins basé sur les états d'âme et plus sur l'action, ou plutôt la transition vers celle-ci. Une opération est prévue, nos personnages y participent et entendent bien la mener à bien. J'introduis également un autre personnage, Dumbledore, qui avait été nommé plus tôt, mais qui n'était pas encore apparu. 

J'espère que cette seconde partie à Belfort t'a plu et je vous souhaite une agréable semaine !

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