55.2
Strasbourg, 31 décembre 1943.
La nuit était silencieuse et la maison, vide.
Le lendemain, Harry, Hermione et Blaise s'en iraient et les bagages étaient déjà prêts. Bien peu de choses, quelques habits rapiécés, l'indispensable à la survie, le reste demeurerait ici dans l'espoir d'un retour.
Harry était assis sur le bord de son lit, les mains sagement posées sur ses genoux. Il avait ouvert les rideaux alors qu'il ne se le permettait jamais. Une envie sordide d'observer les étoiles l'avait pris soudain et il n'était pas question de lutter contre un désir aussi impétueux. Ce jour possédait une symbolique particulière, il annonçait une nouvelle année passée sous le feu nazi, sous l'étreinte étouffante du régime autoritaire, et une nouvelle qui s'ouvrait sur la même perspective désolée. Pas d'espoirs, rien de nouveau, rien de meilleur.
Hermione s'était attelée devant les fourneaux aux côtés de Blaise dans l'espoir de s'occuper l'esprit. Ils avaient englouti leur repas de fête avec l'empressement des affamés et le ragoût à la sauce grasse accompagné d'un pain de maïs consistant avait disparu. Ils avaient fait l'effort d'entretenir une conversation légère, de parler de leurs souvenirs. Ils se connaissaient depuis quelques années seulement et se recroqueviller sur ses instants de bonheur leur avait permis de ne pas songer à l'incertitude de l'avenir. L'idée avait été énoncée par Hermione et, avec le recul, Harry avait passé ce qui s'approchait le plus d'une bonne soirée.
Harry redoutait autant son départ que l'idée de se rendre utile lui plaisait. Il continuait à aider Luna, mais cela s'arrêtait là. Le seul fait de mettre le nez dehors comprenait un danger imminent pour lui comme pour les deux individus dont sa vie ne saurait être dissocier. À Belfort, noyau d'un des foyers de la Résistance, il pourrait se rendre utile. Ron lui apprendrait, il en était convaincu et à une heure où l'espoir s'amenuisait jusqu'à disparaître complètement, se savoir utile avait un impact surprenant.
Minuit approchait, plus que quelques minutes et l'année 1944 ouvrirait ses portes. Mystérieuse, elle ne permettrait à quiconque de deviner ce qu'elle amènerait.
Harry patienta et ses yeux retracèrent minutieusement les étoiles. Il songeait à Severus, à ses parents. Cet homme austère avait finalement retrouvé son amour de toujours, Lily, la propre mère d'Harry. Il regrettait de ne pas su apprécier pleinement Severus, il regrettait aussi que personne n'ait su l'aimer. Alors, il pensa à Draco. Il s'imagina son visage incrusté dans les phares lointains et balaya cette idée sitôt elle l'eut traversé. Il n'oublierait jamais son amant, il éloignait toute réflexion qui l'incluait dans le seul but de le protéger. Il espéra simplement que, là-bas, Draco lui adressait aussi quelques pensées. Quelques pensées et le vœu de se retrouver.
L'année 1944 s'ouvrit ainsi, baignée par la lumière des étoiles qui voulaient se laisser cueillir.
***
Belfort, 8 janvier 1944.
Blaise roulait dans les rues de Belfort avec une attention particulière. Ici aussi, la neige avait recouvert le sol d'une épaisse couche blanche et si on s'activait à déblayer, l'heure matinale justifiait ce désagrément. Le métis ne s'en plaignit pas. Les roues glissaient sur la route verglacée sous les quelques centimètres de poudreuse.
— Est-ce que tu es bien sûr de l'adresse, Harry ?
— Oui, tu veux que je te donne la lettre pour que tu la voies de tes propres yeux ?
— Et l'heure, tu es certain qu'il sera bien là quand nous arriverons ? Il n'est même pas six heures et tu connais Ron, il n'a jamais été matinale.
Hermione était anxieuse et Harry enviait la patience silencieuse de Blaise. Il roulait depuis la veille, empruntant des petites routes afin de passer inaperçus. Lorsque Luna avait appris leur départ, elle avait tenu à leur offrir l'automobile de son défunt père. Hermione avait poliment refusé, mais sa cadette avait lourdement insisté. Elle n'avait pas le permis de conduire et ne projetait pas de mettre les pieds dans ce qu'elle considérait négativement comme un engin indigne de confiance. Le véhicule était effectivement en mauvais état, mais tiendrait sans mal les quelques cent-cinquante kilomètres nécessaires.
— Il sera là, Mione.
Blaise suivait les indications, hésitait parfois et traversait les rues désertes. Le jour était timide, mais le lever du soleil s'annonçait grandiose. Harry en apercevait les premières lueurs pâles à l'horizon, entre les toits des maisons et les remparts de la ville. La voiture avait mis plus de temps que prévu, mais ils arriveraient à temps. Le juif observait Belfort et superposait ce qu'il avait sous les yeux avec le souvenir qu'il en gardait. Ici aussi, les stigmates de la guerre se lisaient partout, mais ce qui surprit le plus Harry fut les insignes rédigés en français, tout comme le nom des rues. Des détails d'apparence insignifiants auxquels aucun d'eux n'étaient habitués.
— C'est bien ici ? s'enquit Blaise.
Il désignait une cour qui menait à un établissement, une école. Un regard suffit à Harry pour reconnaître l'établissement Severus avait dirigé, prisonnier du temps lui aussi, comme s'il attendait en vain le retour de son propriétaire. La poitrine d'Harry se serra.
— Oui, c'est bien ici.
Blaise gara le véhicule dans un crissement de pneu et Hermione jetait des regards anxieux tout autour d'elle. L'Alsacienne n'avait jamais quitté sa région natale et si sa nervosité la rendait irritable, Harry pouvait la comprendre.
— Une école ? Mais les enfants ne risquent pas de...
— C'est les vacances, Mione, il n'y a probablement personne ici.
Hermione referma la bouche et se tut. Elle n'était pas coutumière des réflexions aussi sottes que celle-ci et le pli qui se formait sur son front prouvait qu'elle se morigénait pour cette raison très précisément. Harry consulta sa montre et déclara, tachant d'être dégagé puisqu'il était le seul à connaître les lieux. La ville endormie avait quelque chose de rassurant et cela offrait un contraste quasi absurde avec la peur qui rongeait les entrailles de la jeune femme.
— Hé, Mione, calme-toi.
Hermione acquiesça trop vite pour que son vis-à-vis espère qu'elle accède à son conseil. Elle craignait cette confrontation presque autant que la nouvelle vie qui débutait. Pour Blaise aussi, Belfort représentait un nouveau départ sauf que, cette fois, il n'était pas seul. Il nourrissait l'ambition de retrouver Draco et de réintégrer à ce qui formait désormais une ébauche malhabile de famille. Blaise ne vivait jamais complètement pour lui, mais surtout pour les autres, pour une harmonie que la guerre avait piétinée sciemment.
La porte s'ouvrit alors que les trois adultes descendaient un à un du véhicule. La silhouette nerveuse de Ron s'y profilait et Hermione s'immobilisait, comme frappée par la foudre. Elle avait reconnu la masse de cheveux roux et les traits du visage. Il avait grandi, mûri, il était devenu un homme. Elle reconnait à peine le gamin joufflu qui avait quitté Strasbourg en 1939. Même les tâches de rousseur qui mouchetaient les joues de Ron ne parvenaient pas à maintenir l'illusion. Quatre années les séparaient, quatre ans et une guerre.
— Content de vous revoir !
Hermione avait imaginé plus de tact, de vraies retrouvailles, mais l'absence de tact du rouquin n'avait pas pris un ride et cela l'émut, cette amitié qui avait traversé ce qu'il y avait de pire. Le regard de Ron s'arrêta sur Blaise, sa mâchoire se contracta et Harry craignit de le voir sauter à la gorge du métis. Il n'en fit rien malgré la jalousie qui figeait son visage en une expression crispée. Le silence n'eut pas le loisir de s'installer, Ron le brisa d'une phrase :
— Venez à l'intérieur, on a quelques années à rattraper !
La glace était rompue et le ton était donné.
Toute petite partie, mais un chapitre entier pour me faire pardonner. Encore une fois, le chapitre se construit entre Harry/Hermione/Blaise et Draco. J'espère que ce découpage vous plaît, durant tout le temps que dure (et durera sans doute encore) cette séparation.
On rentre dans le décompte des cinq derniers chapitres de la fanfiction, la fin approche à grands pas !
Je vous souhaite une belle semaine !
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