48.1

            Munich, 15 août 1943.

Au loin, on sonnait minuit.

Le glas.

Draco frissonna dans la nuit froide et ne put percevoir, dans ce son qui résonna en échos jusque dans ses os, qu'un funeste présage.

Les trois Allemands se fondaient dans la nuit tels trois ombres noirs. Ils s'éloignaient des festivités et s'enfonçaient dans la bouche béante de Munich. L'éclairage public faiblissait dans les ruelles à mesure qu'ils s'éloignaient du centre. Draco, sur ses gardes, finit par ralentir le pas. Se tenir trop loin du centre de la ville pouvait tout aussi bien les condamner que préserver le secret honteux qui les incombait. Nott en savait trop et eux aussi, quoi qu'il advienne, il y aurait de cette discussion de courtoisie, de cette mascarade ridicule, qu'un seul vainqueur.

Severus marchait sans un son, avisant en silence leurs possibilités. Ils se trouvaient en surnombre et ce constat aurait dû écarter toute crainte, mais ils avaient à faire un homme ambitieux, à un dément qui n'hésitait pas à employer des moyens discutables pour parvenir à ses fins. De plus, son assurance tandis qu'ils s'éloignaient du cœur de la fête n'avait rien d'un bon présage.

— Et si on s'arrêtait ici ? Je ne voudrais pas trop m'éloigner des festivités, je compte bien les rejoindre dès que nous aurons fini notre petite conversation.

Sa remarque fut accueillie par un silence glacial. Draco s'immobilisa et fit face à Nott qui fanfaronnait comme s'il avait une parcelle d'honneur et d'humanité à sauver.

— Ne compte pas y retourner, intervint le blond, le nez retroussé sur une expression mauvaise. Il te serait trop difficile d'expliquer ta gueule en sang.

— Ne t'inquiète pas pour moi, je n'aurais qu'à simuler une attaque d'un jaloux et je serais leur héros.

— La jalousie et toi, vous êtes proches amies, n'est-ce pas ? N'espère pas de reconnaissance de leur part. Tu n'es qu'un visage qui restera inconnu et demain déjà, ils t'auront oublié. Tu espères t'intégrer à eux, mais tu ignores leurs codes, leurs règles. C'est pathétique !

Draco retrouvait de sa verve et une modique part de sa superbe. Il toisait Nott avec mépris et l'autre lui rendit une œillade noire, à mi-chemin entre la rage pure et un début de moquerie. La tension revint, décuplée, trop grande pour être ignorée et si la présence mûre de leur aîné ne siégeait pas juste à côté, ils se seraient probablement déjà jetés l'un sur l'autre pour achever ce qu'ils avaient entamé.

— Pourquoi ? lâcha Severus, d'une voix plus froide que doucereuse.

— Pourquoi je veux rejoindre la fête ? Ça ne paraît pas...

— Pourquoi cette mise en scène ? Pourquoi aller jusqu'à l'enlèvement ?

Un sourire s'étala sur les lèvres de Nott et Draco se fit violence pour ne pas en faire de la bouillie. Les traits de Nott étaient déjà suffisamment abîmés pour ne pas qu'il écrase son poing sur son visage. Pourtant, à l'heure qu'il était, Blaise et Harry devaient être libérés du joug pervers de celui qui se dressait face à lui, tout en impertinence et en provocation.

— Parce que c'était la manière la plus sûre de m'assurer l'obéissance d'un Malfoy. Je ne savais pas encore à quel point, déclara Nott, détachant chaque syllabe comme s'il s'en délectait.

— Il existait pourtant tout un tas d'autres chantages moins risqués et tout aussi efficaces. Non, je veux que tu me donnes la véritable raison de ce procédé.

— Qu'est-ce qui vous dit que je mens ?

Un soupir. Severus s'impatientait sans rien n'en laisser paraître. Dans la nuit aux mille ombres terrifiantes, Draco admira le sang-froid sans pareil de son parrain et sa logique implacable. Il formait un modèle inatteignable qu'il contemplait en secret enfant. Bien des choses avaient changé depuis, mais pas son admiration pour cet homme. Elle avait grandi, elle avait mûri, elle était devenue incontestable à chaque visite de Severus au manoir Malfoy. Encore aujourd'hui, Draco se taisait, il écoutait chaque parole de cet homme fort, invincible.

— Je connais les hommes. Tu n'es qu'un enfant qui veut se faire un nid dans un milieu de grands. Je connais les hommes et ce qu'ils cachent. La guerre éveille en eux les plus sombres comportements et je pense que tu es de ceux-là.

— Intéressant, gloussa-t-il.

— Tu profites de la guerre. Tu profites de ce merdier pour y creuser ta part du butin. Certains fondent leur entreprise sur le dos de la guerre, ils s'enrichissent alors que d'autres meurent. Toi, tu profites de la faiblesse des autres, celle de Draco en l'occurrence et tu puises tout ce que tu peux.

— Pourquoi vous me demandez de répondre si vous connaissez déjà la réponse ?

— Parce que je souhaitais l'entendre de ta bouche et parce que je désirais savoir si tu en étais conscient.

Une marque de lucidité traversa le regard de Nott et Draco y prêta une attention toute particulière. Il avait le sentiment d'être le spectateur de cet échange surréaliste dans une atmosphère des plus menaçantes.

— J'en suis conscient. Que m'avez-vous diagnostiqué, docteur ? Un narcissisme aigu ?

— Un peu de cela, poursuivit Severus, sans se démonter, sans trahir une quelconque affectation. Un penchant sadique aussi.

Nott laissa s'échapper un rire aussi bref que désagréable. Il secouait la tête, comme si les propos de l'homme avaient éveillé en lui quelque chose de profondément enfouie.

— Vous savez, les gens n'ont pas tous les mêmes chances ! Y'en a qui naissent avec une cuillère en argent dans la bouche, et puis il y a les autres !

— Il me semble surtout que vous n'êtes pas le plus mal lotis. Que penseraient les plus miséreux de votre discours ?

— Je me moque de ce qu'ils penseraient ! rugit Nott. Je me moque d'eux !

Un égoïsme certain, compléta mentalement Draco.

— Je hais ceux qui ont tout sans lever le petit doigt ! Cette guerre, toute cette merde, si je peux en tirer quoi que ce soit, je le ferai ! Vous m'avez demandé tout à l'heure pourquoi, eh bien je vais vous le dire !

Il suspendit sa logorrhée, inspirant une profonde bouffée d'air. Il semblait fou, dément, au bord d'abandonner toute forme d'humanité. Draco vit le vrai visage de cette ordure dans ses yeux exorbités et dans les postillons qu'il répandait à chaque syllabe.

— Parce que je crève d'envie de voir ces types payer ! Parce que je sais que j'ai coincé Malfoy de la manière la plus immonde qui soit et que...

— Et que quoi, Nott ? l'encouragea Draco, d'une voix blanche, saturée de haine.

— Et que j'ai jamais connu meilleure sensation que celle-là !

Nott haletait, comme si prononcer ces derniers mots l'avait émotionnellement écorché. Draco recula d'un pas, comme une bête acculée qu'il l'ignorait encore. Cet homme était fou, véritablement fou. Il ignorait ce qui l'avait mené à de telles extrémités, mais l'empire de sa conscience s'était effondré sur lui-même et les vestiges restant portaient le visage de l'immondice. Ils avaient affaire à une folie ordinaire, de celle qui rongeait l'humanité. La guerre en était-elle la cause ou la raison se révélait-elle plus profonde, plus intime ?

Nott se calma. L'ombre qui s'était déposée sur lui s'envola et la seule trace physique qui demeura fut la salive à la commissure de ses lèvres. C'était de cela que les deux hommes devaient se méfier, de ce calme froid et calculateur. Le calme avant que la tempête se déchaîne.

— Mon père a travaillé toute sa vie pour rien, pour que des types lui volent son travail. Mon père s'est fait manipulé jusqu'à ce qu'il ne reste de son entreprise qu'une épave. Ils l'ont ruiné avec leurs belles promesses, des escrocs qui ont fait miroiter mon père avant de foutre le camp lorsqu'il ne restait plus rien de lui. Alors on l'a pressé pour qu'il s'engage et qu'il se batte pour la grande Allemagne. Il est mort et je sais qu'il aurait mis fin à ses jours si l'ennemi ne l'avait pas fait. On lui a tout pris, tout !

— Il est mort et tu as décidé de reproduire le schéma des hommes qui ont mené votre père à la ruine, releva Severus.

— Je ne vous demande pas de comprendre et je veux pas de votre pitié !

— Je n'ai pas pitié de ceux qui se servent des autres pour apaiser leur soif de pouvoir.

Un temps s'écoula. Severus croisa le regard de Draco qui, manifestement, se retenait de prendre part à la conversation. Sage décision. En s'écartant du noyau de la civilisation, ils avaient certes fait en sorte de ne pas se trahir et de conserver intact le secret qui bridait l'héritier Malfoy, mais ils risquaient aussi de voir la folie de Nott les emporter. Draco en avait conscience et, s'il s'écoutait, il abandonnerait son maître-chanteur aux bons soins de Severus et courraient rejoindre Hermione. Quelque chose lui soufflait pourtant qu'un élément clochait.

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