46.2

Dans la nuit, Munich prenait des allures de géantes et son calme, loin de l'agitation du bal annuel, se faisait mortel. Les ombres qui dansaient serpentaient le long des allées et des places désertes pour de longues heures encore.

Hermione se mêlait à ces spectres portées, la peur lui nouant l'estomac. Elle tâchait de ne rien laisser paraître, emmitouflé dans un châle qui lui couvrait les épaules. Elle maudissait sa jupe à chaque pas alors que chaque pas se voyait ralenti par l'étoffe. George Weasley se tenait à ses côtés et lui emboîtait le pas dans un silence qui paraissait le mettre au supplice.

— Tu aurais dû mettre quelque chose de plus confortable.

— C'est bien une phrase d'homme, ça.

Hermione n'avait pas envie de débattre à ce sujet, surtout pas dans un pareil instant. Elle aurait volontiers enfilé un de ces pantalons que les hommes portaient en toute occasion, mais elle n'en possédait aucun. En voler un dans la penderie d'Harry ne lui avait pas paru correct, alors elle s'était résolue à porter l'une de ses jupes immenses qui découvraient à peine ses chevilles.

— C'est à droite.

Suivant l'indication, l'Alsacienne obtempéra. Elle n'était pas de très bonne compagnie, ce soir, et elle peinait à en avoir conscience. George conservait le silence de rigueur, bien que ce mutisme lui fût aussi peu coutumier qu'il lui était insupportable. Bavard intarissable, cette règle que personne n'avait jamais prononcée, mais qui faisait écho au silence de la ville endormie.

Ils parvinrent devant la demeure. Hermione l'observa comme d'une chimère, d'un monstre affreux dont elle devrait avoir peur.

— On dirait que c'est abandonné.

— Et pourtant, ça ne l'est pas. C'est qu'il cache bien son jeu, le bougre !

Hermione acquiesça sans rien ajouter de plus. Elle consulta sa montre tandis que George sortait une cigarette de la poche interne de sa veste. Une brise légère s'y engouffrait et la chaleur harassante de l'après-midi avait laissé place à de fraîches températures. Il l'alluma et exhala un nuage qui se confondit avec la pénombre nocturne.

— Je peux te poser une question.

Jamais George ne s'était gêné pour questionner quelqu'un et cela désarçonna Hermione qui battit des cils. Qu'avait-il à lui demander ?

— C'est une question personnelle, n'est-ce pas ?

— Plutôt.

— Pose-la, je n'y répondrai pas si j'estime que c'est trop personnel.

— Sauf que c'est une forme indirecte de réponse.

— Pose ta question.

Ils se connaissaient peu. Hermione avait déjà rencontré quelques fois les jumeaux Weasley avant que la guerre ne commence. Elle connaissait cette famille atypique et attachante depuis quelques années, mais la guerre les avait éloignés plus qu'il ne saurait l'admettre. L'Alsacienne réalisait à peine que l'impression risquait d'être identique si son chemin croisait à nouveau celui de Ron.

— Qu'est-ce qu'il y a entre Ron et toi ?

Elle s'octroya un court moment de réflexion avant de répondre, d'une voix égale, mais tout en fuyant singulièrement le regard que George déposait sur elle.

— Ce ne sont pas tes affaires, George.

— Tu es consciente que c'est une réponse quand même ?

— Je sais, mais ce n'est pas précisément le moment de discuter de ma vie sentimentale.

— Et de celle de mon frère, précisa le rouquin.

La pénombre lui ôtait une partie de son air mutin, ses tâches de rousseur disparaissaient dans le chaos d'ombres qui le dévorait. Seule sa silhouette longiligne se traçait dans la nuit, et son visage à laquelle on aurait arraché son expression. George acheva sa cigarette alors qu'Hermione ne demandait plus qu'à aller aux devants du danger, de la menace qu'elle avait repoussée de son mieux jusqu'alors.

— Il aimerait te rejoindre à Strasbourg, il en parle depuis des mois.

— Il ne devrait pas le faire pour moi.

— Il ne comprend pas pourquoi tu ne viens pas alors que plus rien ne te retient.

— Strasbourg est chez moi.

— Belfort n'est pas annexée, Ron a beau être mon petit frère, je dois quand même avouer qu'il serait capable de te protéger.

— Je n'ai besoin d'aucun homme pour me protéger.

Elle avait prononcé ces paroles du bout des lèvres. Peut-être était-ce pour cette raison qu'elle ne souhaitait pas le revoir, qu'elle appréhendait le jour où elle devrait l'affronter ? Ron l'enfermait dans une relation qui n'avait pas survécu à la guerre, qui s'était effritée et qu'Hermione considérait comme morte depuis de longs mois. C'était cruel pour lui et parce qu'elle peinait à se l'avouer. Comment le lui annoncerait-elle ?

— Je ne pensais pas qu'il tenait à ce point à me revoir, avoua-t-elle, à mi-voix.

— Il n'a plus le temps de t'écrire des lettres aussi souvent, mais je t'assure qu'il me parle de toi comme si tu étais l'une des merveilles du monde. Je connais mon frère, ce n'est pas, mais alors pas du tout, ce genre d'hommes.

Hermione déglutit. George ne paraissait pas réaliser qu'il la plongeait dans une tourmente plus grande encore. Elle aurait aimé que Ron l'oublie, qu'il trouve une femme merveilleuse qui saurait l'aimer. Et dire qu'elle s'apprêtait à risquer sa vie aux côtés de son propre frère pour sauver l'homme qu'elle aimait. La vie était injuste. Injuste et cruelle.

— Tu lui diras que je suis désolée.

— Ça ne suffira pas.

— Dis-lui ce qu'il te plaira !

George secoua la tête. Il paraissait étonnamment sérieux à présent que le sujet de conversation touchait à son petit frère, comme si son attitude se voyait dicter par un désir protecteur. Hermione ne s'en voulut que davantage. Elle avait le sentiment d'être une garce affreuse qui se serait jouée des sentiments d'un homme bon et honnête.

— Il y a la guerre, George, Ron peut le comprendre. Je n'ai pas l'esprit à tout ça, à me dire qu'il faut que je lui avoue que c'est terminé, qu'il n'y aura plus rien et peut-être même qu'il n'a jamais rien eu. Je te promets que je lui parlerai moi-même une fois que cette guerre de malheur sera finie.

George parut avoir une réponse au creux des lèvres. Et si l'un d'eux n'était plus en vie avant que ce conflit sans fin arrive à son terme ? Ils n'auraient que les regrets pour vivre cette vie amputée d'une part d'elle-même. Plutôt que de prononcer ces paroles, ces dires qu'il n'aurait jamais pensé prononcer un jour, mais que les horreurs qu'il avait traversées et commises lui avaient inspiré, il décréta :

— L'homme qu'on va sauver, c'est lui, hein ?

— De quoi parles-tu ?

— Le deuxième type qui est coincé là-dedans, c'est celui-là que tu aimes ?

Hermione parut considérer la question avec une certaine nervosité avant de parvenir à souffler, avec peine :

— Oui.

George ne trouva rien à ajouter. Il laissa couler quelques secondes, une furieuse envie de lâcher une blague, n'importe laquelle, dans le seul but de détendre cette atmosphère étouffante. Il s'en voulut d'y avoir ajouté ce poids supplémentaire. Qu'irait-il dire à son frère, l'un de ces braves qui risquaient leur peau pour une France libre ? Il n'était pas certain d'en avoir la force.

— Désolée, murmura-t-elle, sans trop savoir de quoi elle s'excusait.

— C'est l'heure, faut qu'on y aille.

La tension écrasa l'Alsacienne et, l'espace d'une dizaine de secondes, elle fut incapable du moindre geste. Ses muscles figés, son cerveau liquéfié, elle attendit immobile que le sort la libère. Cela ne dura qu'un instant, et elle put enfin rejoindre George qui sortait une lampe de torche, redoutable d'efficacité. Hermione s'efforça de taire la voix sage dans sa tête qui l'invitait à la prudence, qui lui soufflait que sa présence n'était pas requise, que le rouquin s'en sortirait très bien sans elle. La voix de celui-ci s'éleva, comme s'il venait de deviner l'objet de ses pensées :

— Tu peux m'attendre ici.

— Non.

Il n'insista pas et s'engouffra à l'intérieur. Il agissait en prévision d'une offensive ennemie, comme s'il se trouvait au beau milieu d'un champ de bataille. Une guerre personnelle qui se tiendrait au cœur d'une guerre plus vaste, aux conséquences plus dramatiques.

Hermione frissonna. La lampe éclairait une faible parcelle et elle s'attendait à voir surgir, d'un instant à l'autre, une silhouette gigantesque qui les écraserait sans le moindre effort. Elle imaginait sans mal les coups de feu retentir, les balles fendre la peau dans un éclat vif de douleur. Elle connaissait les dégâts irréparables sur le corps, elle qui avait appris à les soigner et retenait sa respiration en attente de ce scénario horrifique où elle serait la victime et non le médecin.

Cette situation lui était inconfortable, invraisemblable même. Ils luttaient pour libérer deux hommes prisonniers de la folie d'un seul. Jamais elle n'aurait songé que cela puisse se produire en temps de paix, mais la guerre exaltait la folie des hommes et leur inspirait des actes aussi regrettables et abjects que les combats. Le genre humain se complaisait dans ses bassesses et redoublait d'ingéniosité lorsqu'il était question de se nuire.

Mais rien ne vint jamais. Ils descendirent des escaliers, puis débouchèrent sur un couloir sombre et étroit où Hermione eut la sensation de suffoquer. Ce moment se suspendit, s'éternisa, avant de s'achever. Une porte solide se dévoilait au bout du sous-sol, la seule qu'ils croisèrent. George, sans jamais briser le silence qu'ils nourrissaient, rencontra son regard et acquiesça. La jeune femme se plaça légèrement en retrait tandis que le rouquin enroulait ses doigts autour de la clenche. Elle retint sa respiration et adressa une prière à un Dieu qui paraissait les avoir abandonnés.

La porte résista et le souffle de George s'interrompit à ses lèvres. Son cerveau s'enflamma au même titre que son visage. La honte le surprit couplé à un sentiment d'urgence absolu.

— Les clés, souffla-t-il, conscient que cela ne les ferait pas apparaître.

Hermione se mit à chercher frénétiquement un trousseau, étourdie par l'odeur écœurante de renfermé qui l'étouffait. Il existait forcément un double ici, quelque part. Un individu venait s'occuper d'Harry et Blaise, se pourrait-il que Nott n'ait pas prévu un double des clés ?

Enfin, alors que George braquait sa lampe dans sa direction, elle remarqua un renfoncement dans la pierre. Elle y glissa sa main, tâta à l'aveugle les briques glacées et en ressortit un trousseau avec un soulagement indicible. Leur plan avait failli échouer à un détail aussi évident, aussi grotesque. Elle tendit l'artefact au rouquin qui s'en empara sans attendre. Chaque seconde comptait et ils craignaient tous deux que Draco n'ait pas parvenu à retenir suffisamment Nott au bal. Elle tendait l'oreille à la fois pour déceler d'éventuels bruits de pas et pour surprendre des plaintes de l'autre côté de la porte. Un signe de vie qui la rassurerait instantanément sur l'état d'Harry et de Blaise. Mais partout, le silence régnait. Rien que le silence.

George enfouit l'une des clés à l'intérieur, puis une deuxième, répétant le geste jusqu'à ce que la porte cède enfin. Jusqu'à ce que le déclic minime s'élève et que l'issu ne s'ouvre sur la pièce qu'elle renfermait. 


Un chapitre un peu plus court avec une petite semaine de retard. Je suis très prise par des corrections et réécritures pour des concours et je n'étais pas chez moi, si ça peut excuser quelque chose. On approche à grands pas de la centième partie de cette histoire, ça se fête, n'empêche !

Je vous souhaite une belle semaine et courage à tous ceux qui ont repris les cours ou le travail !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top