44.2

Munich, 8 août 1943.

George Weasley se promenait dans les ruelles de la ville allemande. Ou du moins, il donnait l'impression de s'y promener. Son regard furtif accrochait les façades des commerces comme des maisons et il flânait, ses grandes mains enfoncées dans les poches, ne semblant pas animé par le besoin irrépressible de rejoindre une destination précise.

Derrière son air un peu benêt, il réfléchissait. Il n'était certes pas doué pour les grandes réflexions, mais cela ne l'empêchait pas d'étudier le comportement de ces inconnus. Au premier coup d'œil, la majorité ne semblait pas bien montrer de grandes différences avec les Français. Il agissait avec le même empressement, une ombre saillant leurs traits. George manqua de ricaner à haute voix : ici aussi, et malgré la propagande d'Hitler, la guerre affectait le moral et anéantissait, petit à petit, les espoirs.

George avait, en vérité, une destination précise en tête. Il ne se promenait pas, bien que les apparences soient contre lui. Il s'était composé une expression nonchalante au bord de la provocation, lorgnant le visage de ces dizaines d'anonymes. Certains lui jetaient des regards courroucés, mal à l'aise qu'on les dévisage de la sorte, d'autres fuyaient simplement les œillades insistantes du rouquin. George ne semblait craindre personne, même en territoire ennemi.

Severus l'avait contacté quelques jours plus tôt avec une mission de la plus haute importance à lui confier. George n'avait pas hésité un seul instant, s'interrogeant seulement sur les raisons qui pouvaient bien motiver un homme comme Snape à s'adresser à lui. Pourquoi pas Ron ? Son grand frère avait fini par trouver la réponse à cette énigme et elle n'était pas d'ordre pratique, à sa grande surprise. Le cadet de la fratrie se serait montré moins efficace que lui, trop attaché à Hermione pour rester parfaitement impartial au sujet d'une mission qui la concernait indirectement. Severus avait également fait appel à lui, et à lui seul, parce qu'il craignait que les deux jumeaux réunis en territoire ennemi attirent trop l'attention et soit trop prompts à se disperser. Là encore, George l'avait deviné. Après des années de guerre et des années au service de cet homme, il avait appris à en comprendre les non-dits.

George peinait à conserver le rôle qui lui avait été attribué. Il avait sacrifié près de quatre années de sa vie à la Résistance et se trouver entouré d'ennemis, de ces allemands qui avaient triomphé de la France en 1940 et sans difficulté apparente, lui donnait la nausée. Il s'efforçait pourtant de taire ce sentiment et de ne rien laisser paraître. À Belfort comme en Suisse, les deux endroits où il partageait son temps, entre son engagement en tant que passeur et son rôle de résistant, il rencontrait des Allemands chaque jour. Qu'ils soient civils ou fiers soldats de la Wehrmacht, le dégoût était identique et il peinait à voir en eux, même en le plus innocent, autre chose qu'un ennemi mortel. Pourtant, maintenu en contact avec un noyau de cette nation digne, il pouvait lire sur les visages fatigués une lassitude identique à celle qui plombait le moral des Français. La France n'était pas seule à prier pour que le conflit cesse, les bombardements et les restrictions affaiblissaient aussi l'Allemagne. Ainsi, chacun souffrait de la guerre, à sa manière, dans une mesure souvent différente et discutable, mais la majeure partie de la population implorait pour que la paix renaisse. Pourtant, le Reich avait promis une gloire sans nulle pareille et, pour l'avènement de celle-ci, il fallait des combats, du sang, des sacrifiés. Son peuple en avait assez de payer de son sang, de craindre la mort, de se terrer comme des rats. Ici comme partout, la guerre faisait rage et seule une petite poignée la désirait encore.

Ainsi, George déambulait avec un objectif fixe en tête. Il ne fallait pas se fier à son air égaré, ses tâches de rousseurs qui enflammaient et mouchetaient ses joues et son sourire à demi-esquissé. Il faisait pourtant preuve d'autant de sérieux dont il était capable. Il avait rapidement occulté sa jubilation de subtiliser à son petit frère cette mission. Ron mourait probablement d'envie de revoir celle qu'il avait abandonnée, il y avait près de quatre ans, voilà pourquoi il n'aurait pas été le parfait soldat. Severus avait vu juste et la réussite du plan reposait sur les épaules de George.

Il arriva enfin à destination. Une demeure imposante, mais quelconque, se dessina devant son regard. Parfait. Il n'eut pas besoin de vérifier les indications manuscrites qu'il avait rédigées sous les ordres de son commanditaire pour être certain d'être bien arrivé à l'endroit décrit. Cette maison, d'apparence inhabitée et qui ressemblait davantage à un hangar qu'à un lieu de vie, appartenait au père de Théodore Nott. Celui-ci avait légué, en mourant, tous ses biens à son fils unique. Le nez de George se retroussa, illustrant tout le mépris qu'il pouvait ressentir à l'égard de cet ingrat. Une demeure aussi spacieuse, visiblement pas habitée, et ce type avait encore le culot d'en faire chanter un autre. Il ne connaissait pas Draco, mais avait brièvement connu Harry. Il ne méritait pas un tel sort, surtout infligé par un ambitieux soucieux de profiter de la guerre sans prêter attention aux conséquences. Cela le répugnait au plus haut point.

George lança un regard circulaire tout autour de lui. Il devait trouver une manière de rester ici, de garder la bâtisse à l'œil, sans toutefois attirer l'attention des autorités. Il avait croisé un ou deux policiers sur le chemin et ils étaient aussi peu commodes que ceux qui occupaient Belfort et l'ensemble de la France depuis la fin de l'année 1942. Des brutes que le rouquin exécrait sans une onde de cordialité. Il s'était investi dans la Résistance avant même que Charles de Gaulle n'émette son appel à la BBC. Un appel qui avait soulevé le peuple et qui avait finalement donné son nom à ceux qui se battaient, vivaient et mourraient pour une France à nouveau libre. Avec ses frères, George n'avait pas hésité un seul instant, même lorsque l'initiative paraissait incongrue, que la confusion abattait son voile d'inaction sur le territoire français. Il n'avait jamais été question, pour lui comme pour son frère jumeau, de laisser ces barbares les anéantir. Il préférait encore mourir !

Ainsi, ce jeune homme qui avait la discipline en horreur avait appris à obéir. Il s'informait, lisait les journaux, était perpétuellement pendu au post de radio lorsqu'il n'agissait pas dans l'ombre de la Résistance française. Il avait mûri, aussi improbable cela puisse paraître. Il réfléchissait comme en cet instant, les lèvres pincées, son cerveau fonctionnant à vive allure.

— Hé, petit !

Il s'était exprimé dans un Allemand approximatif, mais compréhensible. Le bambin qui marchait à quelques pas de lui ralentit l'allure, une expression suspicieuse inscrite sur ses traits juvéniles. George savait que sa couverture risquait de tomber à tout moment, sa maîtrise de la langue formant un solide handicap. Un enfant serait peut-être plus enclin à lui accorder sa confiance. Il l'espérait derrière son sourire sincère et communicatif.

— Tu les vends combien, tes journaux ?

La formulation était maladroite, une fois retranscrite dans la langue maternelle de l'enfant. L'accent en particulier sonnait faux, les sons ne parurent pas suffisamment gutturaux pour paraître vraisemblables. George se mordit la langue pour ne rien laisser paraître. Le petit répondit à mi-voix un chiffre que son aîné comprit qu'au terme de longues secondes. Le môme avalait les consonnes et ne lui rendait pas la tâche plus aisée.

— Et pour le tout ?

Cette fois, le garçonnet parut décontenancé. George prit le temps de le dévisager. Avec ses joues amaigries par la faim et ses yeux ternes, il avait dans ses yeux la gravité d'un adulte. Encore un de ces enfants qui en avaient trop vu... Le rouquin sortit un billet de sa poche, le tendit au plus jeune et s'enquit, dans sa langue toujours aussi peu crédible :

— Ça te va ?

Le petit écarquilla des yeux, considérant la somme comme s'il n'avait jamais eu autant d'argent sous le nez. Il s'empara de l'argent et, dans la précipitation, manqua d'oublier de confier sa pile de journaux à son bienfaiteur. Celui-ci le lui rappela sans un mot, un brin amusé. Penaud, le garçon confia l'ensemble de ce qu'il aurait dû vendre en une journée à cet étrange inconnu sans plus se poser de question. Il répéta à plusieurs reprises, avant de détaler en courant dans le sens inverse :

— Merci, monsieur. Merci !

George eut un sourire plus vrai que tous les autres. Ce gamin aurait pu être lui s'il était né quelques années plus tard, au beau milieu d'une guerre dont il n'aurait compris que l'indicible violence et l'injuste dénouement qu'elle réservait à tous les hommes. Il chassa bien vite cette funeste pensée de son esprit. Il était encore tôt et Severus lui avait assuré que Nott avait pris sa journée de libre, prétextant devoir rendre visite à une tante souffrante. Soit Snape avait vu juste et leur maître-chanteur détenait bien Blaise et Harry dans cette demeure, soit il faisait fausse route. La possibilité que Nott tienne captif les deux hommes en ces lieux et qu'il ne s'y rende pas ce jour même existait elle aussi, George en avait conscience, tout comme Severus. Le plan ne manquait pas d'ingéniosité, mais il leur fallait aussi une belle dose de chance pour que tout se déroule sans accroc.

Plusieurs heures défilèrent. George avait conscience de chaque minute avec un horripilant ennui. Il faisait un piètre vendeur de journaux, avalant les mots pour ne rien laisser paraître de son accent français. Le crépuscule s'annonçait sur Munich lorsque, enfin, le rouquin vit la fin de son calvaire s'annoncer. Severus avait confié au jeune homme une photographie dérobée dans les archives de la gendarmerie, une photographie de Nott. George l'avait mémorisé de sorte à ce qu'il n'ait pas besoin de la consulter une fois sur le terrain. Il reconnut le coupable en un clin d'œil et le haït encore davantage. Cet énergumène plein de suffisance lui inspirait un solide mépris. Tellement qu'il faillit oublier la raison de sa présence, trop occupé à ruminer ce qui le dégoûtait chez cet homme.

Nott pénétra bien dans la bâtisse et George consulta la montre à son poignet. Il devait surveiller, à compter de cet instant, chaque geste, chaque action, chaque élément qui pourrait inculper ce manipulateur. Il ne lui fallait pas de preuves tangibles, rien qu'il ne doive donner à la police, rien qu'une information qui permettrait au jeune homme de confirmer à Severus sa piste.

George s'approcha sensiblement. Les rideaux étaient tirés et ne lui permettaient pas de distinguer l'intérieur. Il fit rapidement le tour de la bâtisse, comptant les issus, sachant combien cela serait primordial lorsqu'il faudrait tirer les deux otages de leur prison. Il eut un nouveau regard pour sa montre puis, par prudence, il s'éloigna. À peine quelques minutes après qu'il soit entré, la silhouette de Nott se tira des profondeurs de la maison. Que renfermait-elle ? La suspicion du rouquin n'aurait pas pu être plus grande. Le comportement de cet homme s'apparentait à celui qui vérifiait que tout se déroulait selon ses ordres, quelqu'un qui vérifiait soigneusement, mais qui ne prenait pas le temps de s'attarder davantage. Blaise et Harry étaient en vie et croupissaient en ces lieux, sinon pourquoi Nott aurait fait un tel voyage rien pour ne pas s'attarder plus d'un quart d'heures à l'intérieur ? Certainement pas pour rendre visite à une tante malade.

George sentit sa poitrine se contracter lorsque Nott, après avoir allumé une cigarette, se mit en marche. Il venait dans sa direction, le regard droit, sûr et assuré. Se pourrait-il que l'autre ait mis à mal sa couverture sans même s'en rendre compte ?

— Combien ? s'enquit Nott, sur un ton détaché, comme s'il s'adressait à un être qui ne méritait pas l'honneur qu'il lui faisait.

Le rouquin mit plusieurs secondes à comprendre le sens de ce seul mot. Les journaux ! Il se reprit rapidement, articula de son mieux le même chiffre que l'enfant lui avait donné quelques heures plus tôt. Le sourire de George, cet inépuisable rictus, avait fané. Son interlocuteur d'un court instant ne parut pas le remarquer, il s'empara de son bien, tendant négligemment la pièce au garçon et se détourna. L'altercation n'avait duré qu'une minute, peut-être même moins, mais cela avait été suffisant pour que le jeune homme remarque un détail glaçant. Avant que l'autre ne se soit détourné, il avait relevé une indication, celle qui lui manquait et il aurait sans doute préféré s'en passer.

Les poings de Théodore Nott étaient meurtris et des résidus de sang frais ornaient ses phalanges. 


Nouvelle partie qui signe, par ailleurs, le cap des 90 parties. Prochaine étape, les 100 (ça s'approche à grands pas) et la fin de cette fanfiction. Non, je rigole, il reste encore une trentaine de parties et une quinzaine de chapitres. 

J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop pour cette fin de chapitre un peu cruelle. Promis, c'est pour votre bien :)

Passez une belle semaine !

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