44.1
Strasbourg, 1 août 1943.
Severus passa le pas de la porte d'un pas sûr, d'un pas de conquérant.
Malgré la chaleur harassante de ce début août, il portait ses éternels vêtements noirs qui couvraient chaque millimètre de peau. Seul son visage grave et ses mains blanches troublaient cette uniformité monochrome. Le visage fermé, il bravait les températures de midi et le soleil agressif qui l'accompagnait.
À cette heure, le commissariat était plus calme et l'homme n'avait pas choisi ce moment pour une autre raison, conscient que cette accalmie quotidienne lui permettrait de parvenir à ses fins plus aisément.
— Monsieur ! Monsieur, par ici je vous prie. Je suis désolée, mais vous ne pouvez pas entré ainsi.
Severus coula un regard glacial sur la secrétaire qui parut regretter le ton quelque peu condescendant qu'elle venait d'emprunter. Il s'approcha de son bureau, protégé d'une épaisse vitre en verre, une mesure de précaution contre les menaces nombreuses en ce temps de guerre. L'Allemand faillit s'en moquer à haute voix, mais préféra laisser poursuivre son interlocutrice. Derrière ses lunettes, celle-ci paraissait tenter de deviner la dangerosité de celui qui se présentait à elle.
— Si vous avez pris rendez-vous, je vous invite à vous asseoir juste ici. Si ce n'est pas le cas, je suis vraiment navrée, mais...
— Je n'ai pas pris rendez-vous. Je ne suis pas venu pour une plainte ou pour une... quelconque autre raison à laquelle vous pourriez penser.
Severus avait prononcé ces paroles avec tout le dédain que cette femme lui inspirait. Elle devait avoir la trentaine, aisée s'il en jugeait par les bagues qui ornaient ses doigts et coquette, ses lèvres couvertes d'un rouge qui tentait de détourner l'attention de ses yeux ternes et à l'expression des plus désagréables.
— J'aurais des documents à consulter dans les archives.
— Je suis navrée, monsieur, mais nos archives sont privées. Si vous souhaitez consulter les archives de Strasbourg, vous n'êtes pas au bon endroit.
— Je me trouve exactement là où je dois être, rétorqua l'homme, de son ton sempiternellement mordant. Je suis Severus Snape et je vous serais gré d'accéder à ma requête, je suis pressé.
Le visage de la secrétaire perdit de son aplomb. Serait-ce à cause des paroles grinçantes qui lui étaient adressées ou à cause de l'identité de celui qui les prononçait ? Sans doute un mélange des deux. Le visage impénétrable, Severus gardait ses prunelles d'obsidienne fermement ancrées à celle de la femme qui tiqua. Toujours assise à son bureau, ses mains posées dessus dans une pose très sage, elle parut chercher ses mots, son hésitation entamant considérablement la contenance qu'elle avait eu tant de mal à ériger.
— Vos... Vos papiers, je vous prie.
Las et sans rien cacher de son mécontentement, l'autre déposa sa pièce d'identité à la vue de celle qui lui causait du tort, la laissant examiner soigneusement chaque titre. Il avait appris à faire jouer les influences, les relations, surtout depuis la montée en puissance du nazisme en Allemagne. Sa chère et défunte mère avait été une fervente partisane d'Hitler avant de décéder brusquement quelques mois après l'accession au pouvoir de celui qu'elle considérait comme le sauveur du peuple germanique. Elle avait laissé à son fils unique une fortune considérable et un nom à porter. Mais cet héritage mirobolant n'avait pas effacé la rancune du fils. Sa génitrice était une femme dérangée, une fanatique de chaque instant et il n'avait jamais osé lui avouer son amour pour Lily pour cette raison. Elle l'avait fait revenir auprès d'elle sitôt qu'elle avait appris que son enfant fréquentait des gens d'une classe sociale inférieure à la sienne. Veuve, elle pouvait exercer son pouvoir de persuasion et son influence tout autour d'elle sans avoir à souffrir l'ombre d'un homme. Le seul qu'elle acceptait demeurait Severus. Severus qui n'avait pas une seule fois pleuré sa mort, portant son nom comme un privilège plein de menace. Tous se souvenaient la place de la défunte Snape aux côtés des hauts dignitaires nazis et, de ce fait, personne n'osait refuser une volonté à son unique progéniture. Ce dernier avait appris à s'en servir avec une rigueur presque dérangeante.
Ces privilèges, même Draco n'aurait pas pu s'en vanter sans l'aval de son père. Or, recourir au prestige de son nom, c'était risquer que Lucius apprenne dans quelles affaires il était plongé. De l'avis de Severus comme de celui de son filleul, cette option paraissait impensable. C'était d'ailleurs pourquoi le plus âgé s'était porté volontaire pour se rendre aux archives, un lieu où il était bien difficile de pénétrer sans un nom sur lequel se reposer et une solide réputation. En temps de guerre encore davantage qu'en temps de paix, les relations avaient une importance capitale pour survivre et même pour s'enrichir sur le dos des plus miséreux.
— Eh bien ? s'enquit-il, le nez plissé, sur jouant presque le mépris qu'il vouait à cette femme qui se croyait importante.
Après avoir relu plusieurs fois chaque ligne, cherchant l'entourloupe dans ces papiers tout à fait en règle, le secrétaire consentit à énoncer, à contrecœur et avec une mauvaise foi évidente :
— Tout est en ordre.
— Vous m'en voyez soulagé ! Pourriez-vous avoir l'amabilité de m'accompagner ?
La bouche tordue par un courroux que Severus prenait plaisir à raviver, elle acquiesça sèchement. Elle se leva, ramassa un trousseau de clés suspendu au mur, réajusta sa jupe, la croix gammée cousu sur un brassard à son bras. Dans sa fausse dignité, l'homme ne la hait que davantage. Elle l'accompagna sans un mot, ses talons martelant le sol. Ils croisèrent un homme, un café à la main, qui les salua d'un bref hochement du chef avant d'en retourner à ses occupations. Avec une minutie née du danger dans lequel il vivait perpétuellement et depuis le début de cette guerre sans fin, il guettait le moindre signe suspect. Il ne craignait rien en particulier, mais mémorisait chaque détail du décor qu'il traversait. Ces locaux étaient autrefois français, mais il était presque impossible de l'imaginer dans l'état où ils se trouvaient. La langue qui avait été celle de l'Alsace pendant tout l'entre-deux guerres avait été effacée.
— C'est ici.
Sans même feindre la politesse, Severus pénétra dans la salle. Sur le pas de la porte, la secrétaire ajouta, avec une certaine rigidité :
— Je ne peux pas vous laisser seul sans surveillance.
— Je n'ai pas l'intention de voler vos précieux documents, soyez rassurée !
— C'est la procédure, protesta-t-elle, ses yeux brillants sous l'injustice dont elle se pensait victime.
— À votre guise.
Puis, sans plus lui témoigner d'attention, il prit soin de consulter plusieurs dossiers sans liens véritables avec l'objet de sa visite.
— Mon supérieur va sûrement me demander pourquoi vous teniez tellement à consulter les archives, intervint encore la trentenaire, arrachant un soupir exaspéré au plus âgé.
— Je crains de ne pouvoir vous donner la raison, mais je suis certain qu'Albus Dumbledore le pourra si vos craintes vous amènent à l'appeler. Il sera sans doute ravi de vous rassurer au sujet de ma démarche.
Sans prendre la peine de se retourner pour se délecter de l'expression enragée de la femme, il poursuivit sa quête. Il avait confié l'école à Albus, un vieil ami qui dirigeait le réseau de Résistance très important implanté à Belfort. Cet homme avait passé l'âge de la retraite et ne travaillait plus à proprement parler et, bien que lui demander son âge exact n'ait jamais traversé l'esprit de Severus, il se l'était déjà maintes fois posé. Il savait surtout qu'il pouvait lui accorder sa confiance et lui laisser l'école ainsi que la Résistance sans craindre le pire. Il s'agissait d'un homme sage, honnête et engagé dans la lutte pour une France libre. Il se révoltait surtout contre ce qu'il considérait comme une folie pure et son esprit brillant avait permis d'agir efficacement. Secrètement, Severus lui vouait un grand respect.
Il put poursuivre ses recherches sans être interrompu, la secrétaire finit par se décourager et par regagner son bureau, laissant la salle des archives sans surveillance. Une fois certain de ne plus être épié, celui qu'on pouvait considérer comme un brillant espion se tourna vers ce qui l'intéressait véritablement et la raison de sa visite. Il se dirigea vers les documents entassés dans de grandes feuilles, cherchant les noms du doigt avec une vitesse impatiente. Il ne pouvait pas s'éterniser ici malgré l'assurance qu'il avait fait preuve et les informations qu'il était venu chercher devait absolument être en sa possession à son retour. Il représentait le seul espoir de Draco.
Enfin, après plusieurs interminables minutes à éplucher des dossiers, il mit la main sur celui qui l'intéressait. Sur le haut de la page, le nom s'inscrivait en lettres capitales : THÉDORE NOTT. Les informations qui suivirent, Severus en prit soigneusement notes. Il ignorait ce qu'il cherchait précisément, mais chaque donnée pouvait représenter une source potentielle. Ses yeux parcouraient frénétiquement la feuille, reluquant le profil qu'une photo en noir et blanc représentait. Severus recherchait l'étincelle de malice, de méchanceté pure, de sadisme même. Après tout, Potter se trouvait entre ses mains et les chances pour que le juif soit déjà mort grandissaient à chaque minute.
Il déglutit avec plus de difficulté qu'il ne sut l'avouer. Ses yeux heurtèrent alors le nom d'une résidence, celle qu'habitait Nott avant qu'il ne se rende à Strasbourg. Une certaine demeure implantée à Munich.
Severus nota l'adresse frénétiquement sur le carnet qu'il avait emporté avec lui, feuilleta les dernières informations avant de refermer le dossier. Il avait le plus important, l'information qui lui manquait, l'information qu'il était venu chercher Il détenait peut-être la clé de l'énigme : l'endroit où Nott détenait depuis plus de deux semaines Harry et Blaise.
Le ton se durcit encore un peu et il faut dire que l'arrivée de Severus a redonné espoir à Draco et Hermione. Le temps presse et il s'agit de sauver les deux otages avant qu'il ne leur arrive malheur (si t'en est à penser qu'ils sont encore en vie).
Passez une belle semaine :))
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