43.2
31 juillet 1943.
Harry respirait le plus calmement possible. Dans l'espace clos où il se trouvait, chaque mouvement, chaque inspiration, répandait un écho désagréable qu'il ne supportait plus d'entendre. Depuis combien de temps était-il captif dans ce ridicule réduit ? Deux jours ? Une semaine ? Un mois ? Il n'en avait pas la moindre idée. Il savait que Blaise avait été enlevé lui aussi, mais il ne l'avait vu qu'une fois, comme si leur geôlier tenait à ce qu'ils aient conscience de leur présence mutuelle. Ils avaient à peine échangé un regard, un molosse qui s'occupait d'eux avec une mauvaise foi évidente les avait présentés l'un à l'autre comme des trophées.
Qu'était devenu Blaise ? Il aurait aimé lui parler. L'absence de contact avec le monde extérieur le pesait au moins autant que les autres sévisses qu'il subissait. En vérité, cela faisait un peu moins de deux semaines qu'il croupissait dans cette cellule, ignorant le lieu où on l'avait transporté. Il se souvenait du trajet, bien que la drogue qu'on lui avait administrée pour qu'il se tienne tranquille ait failli le plonger dans l'inconscience. Il se rappelait de la route irrégulière sous les roues de la voiture et du bâillions dans sa bouche, imprégné d'une salive épaisse. Où l'avait-on emmené ? Il pouvait bien se trouver en Pologne ou dans n'importe quel pays européen occupé par les nazis. Loin, si loin de Strasbourg et de Draco.
Le temps s'égrenait avec une lenteur horripilante. Il y avait longtemps qu'Harry en avait perdu le compte. Au début, dans sa rage de s'être fait capturé aussi facilement, comme un débutant aveuglé par une excessive confiance en soi, il n'avait pas cherché à se concentrer sur un détail aussi secondaire. Il avait tempêté, essayé de défoncer la porte dans un déchaînement de force pure aussi dépassée qu'inefficace. Puis, il avait essayé de trouver un repère temporel, en vain. La pièce était étroite et sans aucun lien avec l'extérieur. Il y avait des jours que le jeune juif n'avait pas senti la caresse du soleil sur sa peau et il avait réalisé à quel point le corps humain en avait besoin. Un besoin vital dont on le privait. Surtout, Harry avait conscience que, à mesure que le temps passait, ses chances de survivre s'amoindrissait. Les chances qu'Hermione et Draco viennent le tirer des mains de son geôliers faiblissaient avec elles !
Le crâne posé contre le mur, roulant d'un côté, puis de l'autre, roulant au rythme de ses respirations lentes et pénibles. Il avait soif. Vraiment soif. Pas ce petit désagrément après quelques heures de canicule sans boire tout son soûl. Non, une soif qui vous brûle la gorge, vous lacère chaque cellule de votre corps, vous transporte à la limite des hallucinations. La soif se mêlait à la faim, tout aussi atroce. Son estomac vide travaillait sans que rien ne s'y trouve, lui arrachant des crampes affreuses. Jamais il n'avait ressenti pareille douleur.
Celui qui s'occupait de le nourrir le faisait à peine assez pour le maintenir en vie. Harry était d'ailleurs presque certain d'avoir perdu une bonne partie de son poids durant ce laps de temps indéterminé de captivité. Il savait également, malgré le délire dans lequel il se sentait sombrer, que celui qu'il le nourrissait n'était pas celui qui avait décidé son enlèvement. Cela se voyait au premier coup d'œil.
Harry avait tenté une fois de lui fausser compagnie, alors que ses forces le lui permettaient encore. Il avait forcé le passage de la porte qui menait à la sortie, sans succès. Le géant l'avait rattrapé en quelques enjambées et il avait écopé d'un méchant coup de poing en plein visage. Une expérience qui avait rapidement calmé les ardeurs du jeune Français.
Lorsque la porte s'ouvrit, Harry n'eut même pas la force de sursauter. On lui balança une gamelle pleine d'une bouillie malodorante, sûrement issue d'une conserve à la date de péremption dépassée de plusieurs semaines. Il ne fit pas la fine bouche et mangea jusqu'au dernier morceau de son maigre repas. Celui-ci aurait pu être plein d'asticot qu'il aurait tout avalé de la même manière, avidement, à la manière peu digne d'un animal. Cette pensée ne l'effleura même pas. La nourriture apaisait les crampes de son estomac et le verre d'eau qui accompagnait le tout calma la brûlure insupportable de sa gorge. La faim ne l'avait pourtant pas quitté lorsqu'il reposa la gamelle vide au sol, tout comme la soif qui le tiraillait péniblement.
Il ferma les yeux quelques instants, la respiration encore rapide de ce moment d'égarement. Son geôlier devait bien se moquer de son comportement, presque bestial, lorsqu'on lui servait cette maigre portion journalière.
La porte s'ouvrit en fracas pour la seconde fois et Harry rouvrit les yeux par réflexe. Sur le seuil, une silhouette se dressait. En plissant les yeux, il était tout à fait certain de n'avoir jamais croisé son visage. Serait-ce son agresseur ? Méfiant, il savait que les chances étaient grandes pour qu'il s'agisse bel et bien de lui. Il garda pourtant sa bouche hermétiquement fermée, par sécurité plus que par envie.
— Eh bah ! s'exclama l'homme, dans sa langue natale. Vous, les juifs, ne savez décidément pas vous tenir ! L'odeur est infecte ! C'est à force de te chier dessus ou c'est ton odeur naturelle ?
Harry grinça des dents. Il n'avait pas eu droit au luxe de latrines convenables et, à défaut de mieux, il avait été forcé de s'uriner dessus. Ses cuisses étaient irritées et les flagrances proches de l'irrespirable.
— C'est vous qui m'avez enlevé... murmura-t-il, la haine gorgeant sa voix jusqu'à la rendre plus rauque que jamais.
L'écho de sa propre voix l'étonna. Il lui semblait ne plus l'avoir entendue depuis bien longtemps !
— Je n'ai pas l'intention de bavarder, prévint son interlocuteur, avançant de plusieurs pas dans la cellule avec un évident dégoût.
L'espace de quelques instants, Harry se délecta de cette expression, comme si sa puanteur représentait une quelconque arme face à cet agresseur. Mais ce dernier se baissa, surmontant la saleté pénible de la geôle et articula, dans un souffle pervers qui glaça le sang au jeune captif :
— Sais-tu quel jour nous sommes ? Non ? Tu as perdu le fil ?
Harry coula un regard buté et un brin provocateur sur l'homme qui se jouait de lui. Il mourait d'envie de lui faire ravaler ses paroles, mais il n'alla pas jusqu'à mettre ses désirs à exécution. Il se savait trop faible pour ce geste fou le mène à quoi que ce soit. Sa propre impuissance le répugna tandis qu'il demeurait pendu aux lèvres de cet homme aux yeux sombres et au sourire dérangeant.
— Nous sommes le 31 juillet 1943, énonça-t-il, détachant chaque syllabe avec minutie.
L'air se vida dans les poumons du jeune médecin. Deux idées contraires le submergèrent. D'un côté, le côté sentimental qui lui criait que son anniversaire, cette année encore, ne serait pas synonyme de joie, de moments inoubliables passés aux côtés de proches aux sourires communicatifs. De l'autre, son esprit rationnel qui prenait le dessus et l'assaillait d'un calcul rapide : cela faisait exactement quatorze jours qu'il croupissait dans cette pièce. Les rouages inflexibles du temps se remettaient en place dans un grincement sonore qui lui arracha un vertige. Hermione et Draco devaient le croire mort.
Harry reprit bien vite ses esprits et, à l'image de son amant, il tenta de construire une contenance parfaite et inébranlable. Il demanda, espérant désarçonner celui qui pensait tirer les ficelles :
— Qu'est-ce que tu as fait de Blaise ?
Du revers de la main, l'autre gifla sa joue. Le crâne de juif heurta le mur et il dut prendre une profonde inspiration pour ne pas laisser les tâches noires obscurcirent complètement sa vue.
— Sale vermine ! siffla la voix de l'homme. Ce n'est pas à toi de poser les questions !
Du bout des lèvres, Harry murmura une injure dans sa langue natale et s'attira à nouveau les foudres de son geôlier qui le cogna en retour. Il filet de sang coula le long de son menton et le goût caractéristique envahit sa bouche. Il cracha sur le sol déjà souillé l'étendue de cette souffrance, ce mal qui lui rappelait si bien le camp de Schirmeck et les multiples coups qui formaient son quotidien.
Il croisa le regard de son interlocuteur. Celui-ci le surplombait de toute sa taille et ne tarda pas à abandonner son ton mordant, retrouvant sa nonchalance décalée et son esprit de provocation qui rendait son entourage fou de rage. Il aimait voir ce Potter s'agiter, tenter de résister et, surtout, le voir lamentablement échouer. Il en éprouvait un plaisir jouissif, coupable, interdit, et qu'il admettait volontiers. Le jeu en valait la chandelle, mais l'extase de ce petit jeu ajoutait l'agréable à l'utile.
— Je t'ai prévu un petit cadeau, si tu te tiens tranquille.
— Je n'en veux pas... gronda Harry, la voix cassée et la volonté de revanche plus vivace que jamais.
— Un juif qui parle trop ! Tu ne devrais même pas être encore en vie. Tu sais ce qu'on fait de la race inférieure dont tu fais partie ?
— J'en ai eu un aperçu, répondit amèrement Harry.
Il ignorait quel enfer, bien pire que celui dans lequel il avait souffert, pouvait exister. Celui qui voyait mourir des milliers et des milliers de juifs dans cette guerre qui n'en finissait pas. Il lut la haine dans le regard de ce parfait inconnu, une haine viscérale qui ne lui était pas destinée personnellement. Cet homme le détestait parce qu'il était juif.
— Lève-toi.
Harry hésita un bref instant à obéir, caressant du bout des doigts l'envie irrépressible de n'en faire qu'à sa tête. Il n'avait rien à y gagner, sinon la satisfaction éphémère de rester indompté. Il se leva, chancela quelques instants, rétablit son équilibre sur ses jambes flageolantes. Ses muscles protestèrent violemment sous le traitement douloureux qui leur était imposé. Son geôlier l'entraîna à sa suite dans un couloir qui semblait le mener nulle part, les murs étroits étouffants tout espoir superflu.
— Je t'ai préparé un petit voyage comme cadeau d'anniversaire, ajouta finalement l'Allemand.
Bonne année !! Je vous souhaite bien entendu la santé, mais aussi plein de belles surprises, la créativité et la productivité <3
2021 verra le terme de Cueillir les étoiles (si mes calculs sont justes), vous aurez le fin mot de l'histoire et je commence l'année avec un petit chapitre. Harry est en vie, en un seul morceau, mais pour combien de temps ? D'après vous, que va-t-il lui arriver ? Quels sont les plans de Nott ?
Passez une belle semaine de reprise !
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