43.1

Strasbourg, 29 juillet 1943.

L'aube se déclarait paresseusement à l'horizon, berçant Strasbourg d'une lueur tendre, délicate. Baignée de cette lumière rosée, la ville alsacienne paraissait paisible, comme épargnée des sévices que la guerre entraînait. Une façade seulement, puisque les dégâts des derniers bombardements saillaient encore, immonde cicatrice sur la face pleine de charme de Strasbourg.

Une silhouette se frayait un passage entre les bâtisses. Rien n'avait changé depuis sa dernière visite, Strasbourg achevait sa germanisation qui se lisait désormais partout : dans les drapeaux à la croix gammée qui flottaient partout, sur les noms des rues désormais rédigées en allemand, sur la rigueur stricte que même la chaleur étouffante de l'été ne parvenait pas à calmer. La haute stature, toute vêtue de sombre, caressait du regard ces détails déchirants sans rien montrer de son affliction. Cela le peinait pourtant, la manière dont Strasbourg avait changé de visage après ces quelques années d'annexion. Ce qui se cachait derrière cette façade, l'homme le devinait sans mal. La Résistance gagnait du terrain, toujours plus vive malgré les sévères punitions qu'encouraient ceux que la police allemande retrouvait sur le fait. Cette insurrection, ce refus catégorique, voilà l'espoir de l'Alsace. Un espoir qui gonflait le cœur de la silhouette grave d'une fierté qu'il ravala bien vite au profil de son éternelle mine dure.

À plusieurs centaines de mètres, Draco dormait paisiblement. Il s'habituait, tant bien que mal, à la présence féminine à ses côtés. Il n'était évidemment pas question de fuir le lit conjugal en présence de son épouse, il avait donc dû se prêter au jeu. Heureusement, il vivait dans sa demeure, et non dans celle qu'il occupait lors de son propre séjour, la maison étant occupée par Hermione depuis le décès de son père. Il n'avait donc pas été confronté au parallèle inévitable qui se dessinait entre la compagnie de Pansy et celle d'Harry. Il y songeait souvent, toutes les nuits en fait, mais le contraste était moins pénible.

Sa femme, trop heureuse de retrouver l'intimité de son mari, attendait de lui qu'il remplisse son devoir. Un devoir dont Draco aurait aimé se passer. Encore en cette heure matinale, un long moment après qu'ils se soient endormis, elle se pressait contre son corps, blottie contre son épaule, les bras enroulés autour de sa taille, les jambes emmêlées à celles de son époux. Sa chaleur étouffait ce dernier, même plongé dans les bras de Morphée, comme une présence dérangeante qui viendrait le hanter.

Lors de son retour, la veille, il avait mangé le maigre repas préparé par Hermione sous les plaintes de Pansy. La jeune bourgeoise était habituée aux mets raffinés qu'on lui servait à Munich, non à la bouillasse dénotée de saveur que son mari avait présentée comme la bonne servait. Il fallait bien avouer que les talents d'Hermione se situaient ailleurs et certainement pas derrière les fourneaux. Draco lui avait glissé, alors que Pansy avait le dos tourné, qu'elle ferait une bien piètre épouse. Ce à quoi l'Alsacienne avait répondu, sans se démonter :

— Je suis certaine que la tienne se ferait un plaisir de te mitonner de bons petits plats.

Afin d'éviter un dérapage mal venu, Draco avait entraîné sa femme dans la chambre et Hermione s'en était allée. Là, il avait fallu affronter un obstacle de taille : le désir sans cesse croissant de Pansy. Comme le soir de leurs retrouvailles, où la passion de l'Allemande n'avait pu se rassasier de chastes baisers, il avait dû faire abstraction de sa répulsion. Ce n'était pas tant le corps féminin de sa femme qui l'écœurait, bien que ses courbes généreuses, ses hanches larges et ses seins lourds ne l'excitaient pas le moins du monde, mais bel et bien son attitude séductrice. Alors qu'il lui faisait l'amour, qu'il ondulait contre son corps qui transpirait l'extase, Draco pensait à un tout autre corps, à une silhouette toute en muscles. Il jouit alors que l'image du visage voilé de plaisir d'Harry se superposait à celui de Pansy.

Draco jouissait désormais d'un repos bien mérité et les ténèbres du sommeil lui permettaient de fuir, durant quelques heures, son calvaire. Que ce soit entre le commissariat et cette demeure sans âme qu'il occupait depuis quelques jours, rien n'égayait ses journées. Hermione lui remontait le moral sans grande conviction et la peur les cernait tous deux. Il cauchemardait lorsqu'un bruit sourd le tira de son sommeil. Trois coups secs portés par un visiteur matinal qui résonnèrent dans toute la maison.

Le blond sursauta, les sens alertes, imaginant déjà le pire alors que son esprit, plus lent que son corps à s'éveiller, assemblait des idées inexactes. Pansy marmonna quelque chose dans son sommeil, resserrant sa prise autour de la taille de son époux. Celui-ci lui échappa quand même, à son grand désespoir. Il s'adressa à elle, d'une voix rauque :

— Rendors-toi.

Elle avait seulement un œil ouvert et obéit sans protester, son visage froissé de fatigue. À moitié soulagé de s'échapper de la manière la plus lâche qui soit, il s'extirpa des draps et se vêtit rapidement, aux maigres lueurs de l'aurore. Qui que soit son visiteur, il s'excusait par avance du visage peu amène qu'il s'apprêtait à renvoyer. Il enfila une chemise qu'il noua vivement, puis un pantalon, sans chercher à assembler les couleurs, ce qu'il s'évertuait toujours à accomplir, quelle que soit l'occasion. Il descendit les quelques marches, manquant de trébucher sur la dernière. Il posa la main sur la clenche avec une nette envie de renvoyer celui qui avait osé déranger son sommeil d'une remarque bien sentie. Il ouvrit la porte avec cette volonté inébranlable en tête. Sa volonté s'effrita à l'instant où il découvrit, sur le seuil, l'identité de l'intrus.

— Bonjour, Draco.

Severus Snape se dressait face à lui et toutes les résolutions de son filleul s'envolèrent. Il laissa la surprise l'envahir et marquer ses traits.

— Parrain, qu'est-ce que tu...

— Tu ne me laisses pas entrer ? Décidément, où sont passées tes bonnes manières ?

Trop surpris pour réagir, Draco s'écarta simplement afin de laisser entrer Severus à l'intérieur. Il ne s'attendait pas à cette visite surprise et encore moins à pareille heure.

— Désolé, je... je ne m'attendais pas à ta venue, se justifia-t-il, avec une maladresse dont il était peu coutumier.

— Je suis venu dès que j'ai pu. Le courrier que j'aurais pu envoyer serait sans doute arrivé après moi.

— Merci d'être venu aussi vite, dit-il, dans son un souffle.

Il s'exprimait à voix basse, craignant de réveiller définitivement Pansy. Severus coula sur lui un regard suspect et Draco se justifia :

— Pansy m'a rejoint il y a quelques jours, elle ne doit pas savoir. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour étouffer l'affaire. Je la connais, elle serait incapable de tenir sa langue et... et si mon père l'apprend...

— Lucius n'hésiterait pas à t'infliger une punition exemplaire. Cacher ton meilleur ami aux yeux des autorités allemandes est une chose, prendre sous ton aile un juif et... forniquer avec en est une autre.

Draco se décomposa et un frisson d'horreur le parcourut. Comment était-ce possible ? Comment pouvait-il savoir ? Severus soutenait son regard avec une forme de défiance, presque de la provocation. Il se jouait de l'effet de surprise alors que leurs préoccupations devraient être autres.

— Comment... ?

— Tu es peut-être un mystère pour tout le monde, Draco, mais tu n'es pas une énigme pour moi.

— Tu le savais et tu as malgré tout accepté de...

— De vous héberger ? De vous accueillir ? Je hais Potter, mais tu tiens manifestement à lui, voilà pourquoi j'ai accepté.

— Je comprends mieux pourquoi tu le détestes.

— Pour cette raison ou pour toutes les autres.

Penaud sans même connaître la raison de la honte qui l'envahissait, peut-être simplement issue du seul fait d'assumer une relation illégale et même criminel, il fuyait le regard de son parrain. Tous deux immobiles sur le pas de la porte, glacés par cette ébauche de conversation peu engageantes, ils sursautèrent lorsque la porte de la chambre à quelques mètres claqua. La silhouette de Pansy, à peine vêtue d'une fine robe de chambre qui laissait peu de place à l'imagination, se tenait là. Severus n'eut pas la décence de détourner le regard, comme si la vue de ce corps dénudé l'indifférait.

— Pansy, tu es déjà levée ? s'enquit Draco, misant sur une crédibilité qu'il savait mise à l'épreuve.

— Oui, je me demandais qui nous rendait visite de si bon matin.

— Navré d'avoir perturbé votre sommeil, Madame Malfoy.

— Ne vous excusez pas, je vous en prie. Je suis ravie de vous revoir, Monsieur Snape.

— Bonheur partagé.

Des convenances que Severus débitait de sa voix doucereuse, un brin mielleuse et que son filleul savait d'une redoutable hypocrisie. Pansy en avait-elle conscience ou s'acharnait-elle à ne rien voir ? Un court moment de gêne s'instaura malgré tout et l'épouse Malfoy ne paraissait pas remarquer en être la source.

— Pansy, Severus et moi devons avoir une conversation. Il doit visiter les locaux du commissariat et...

— Tu sais que je ne m'immisce pas dans tout ce qui touche à ton travail. J'imagine que tu ne rentreras pas avant ce soir, je t'attendrai !

Draco remercia en silence son épouse pour lui rendre la tâche aisée et pour ne pas la complexifier comme elle en avait l'habitude. Il éprouva un net soulagement et, quelques commodités plus tard, ils furent à l'extérieur. Le jeune aristocrate goûta à une profonde bouffée d'air frais. Bientôt, les températures grimperaient jusqu'à atteindre une chaleur étouffante et l'homme profitait de cette douceur. Cela lui permit, l'espace d'un bref instant, de s'isoler des tourments qui ne lui laissaient, d'ordinaire, aucun répit.

— Belle pirouette, commenta Severus, le regard rivé sur la route qu'il paraissait connaître malgré le mensonge du blond.

— Elle ne doit rien savoir de ce qui se passe, Hermione et moi en faisons notre priorité.

— Explique-moi en détails la situation et comment elle a évolué. La lettre de Granger était trop... vague pour que je puisse saisir tous les détails.

Ils marchèrent et, sans ralentir ni s'arrêter, Draco entama son discours. Sa voix souffrit quelques trémolos dont il eut honte, mais que son parrain ne sembla pas reconnaître. Il raconta ce qu'il s'était produit avec la cruelle impression de redécouvrir l'histoire à mesure qu'il en faisait l'exposé précis. Jamais Severus ne l'interrompit, il le laissa achever son discours comme si cela relevait d'un désir plus personnel, celui de se remémorer les faits précis et non uniquement ce que la peur tirait comme conclusions hâtives.

— C'est Hermione qui a pensé à faire appel à toi. Je pense que je n'aurais pas eu sa lucidité. Encore maintenant, je n'ai qu'une pensée : me débarrasser de lui. J'en meurs d'envie.

— Granger a bien fait de me contacter. Quant à toi, si tu pouvais rappeler à toi tes pulsions meurtrières, tu préserverais le mal qu'elle s'est donnée. Rentrer dans son jeu, c'est le perdre.

Draco inspira profondément. Y songer ravivait la blessure et pourtant, il se raisonnait, il ne devait pas agir par impulsivité, comme Harry l'aurait fait. Cette pensée lui arracha un pauvre sourire. Ils se dirigeaient vers la demeure que le blond portait dans son cœur, l'endroit où le juif et lui avaient fait l'amour pour la première fois, l'endroit où il se sentait enfin chez lui.

— Je me suis renseigné à son sujet et, au vu de mes relations, je pourrais sans mal découvrir ce qui est nécessaire de savoir au sujet de ce Théodore Nott.

Draco ne trouva pas les mots nécessaires à l'expression de sa reconnaissance. Severus représentait l'aide inespérée, le véritable miracle humain. Si la situation avait été autre, l'Allemand aurait fait jouer la position privilégiée qu'était la sienne, ou bien celle de son père, mais il ne pouvait se permettre d'attirer l'attention sur lui et encore moins celle de Lucius Malfoy.

Ils parvinrent à destination, la façade reconnaissable entre mille de la demeure vieillie par quelques années de guerre. Draco fut saisi d'une bouffée de nostalgie et il dut fermer les yeux pour chasser la sensation de son organisme. Aux côtés de Severus, il ressentait le besoin d'emprisonner ses émotions, de les rendre invisibles aussi bien que son parrain en était capable. Un désir de mimétisme qui le frappait à de rares occasions.

Ils pénétrèrent dans l'antre sans même y avoir été invités. Hermione vint à leur rencontre, les traits tirés par la fatigue, mais bel et bien debout malgré l'heure plus que matinale. Draco ne fut pas étonné, il la savait incapable de dormir en une telle période, bien que l'épuisement se dessine tout nettement sur ses traits encore juvéniles. Ses boucles indociles renforçaient cette impression et, pendant tout le temps que s'éternisèrent les explications, les mêmes qu'avait eu Severus à son égard quelques minutes plus tôt, le jeune aristocrate se coupa de la conversation. Il n'en perçut plus les paroles, se contentant de lire sur les lèvres les dires que s'échangeaient ces deux êtres, différents en tout point, mais prêts à s'allier.

— Nott m'a demandé une somme importante avant le 31, minuit, ajouta finalement Draco, apportant sa maigre contribution aux discussions desquelles il s'était volontairement tenu écarté.

— Es-tu capable de la lui donner ? s'enquit Severus, assis autour de la table à manger au même titre que ses hôtes.

— La question n'est pas si je peux la lui donner, mais si je peux le faire sans éveiller les soupçons de mon père.

Son parrain et Hermione acquiescèrent de concert. Attablés, ils réfléchissaient ensemble à une solution qui, jusqu'alors, avait échappé aux deux jeunes gens. L'Alsacienne paraissait plus détendue, voyant en Severus l'espoir qu'elle s'était efforcée de maintenir.

— Il y a fort à parier que Nott ne s'arrêtera pas là. L'argent n'est certainement pas ce qui le motive et il te demandera probablement plus personnel. Ce n'est que question de temps.

— Il aura le temps de me plumer jusqu'au dernier sou, d'ici là !

— Langage, Draco ! siffla le plus âgé, entre ses dents, coulant un regard noir sur la silhouette longiligne et étonnamment prostré, lui dont la tenue était en général irréprochable. Nous n'attendrons pas aussi longtemps, mais ton impatience risque de mettre en péril la vie de Blaise et aussi celle de Potter.

Draco se mordit cruellement l'intérieur de la bouche pour ne rien répliquer. Sa peine le rendait acerbe, injuste même. Severus avait quitté l'établissement qu'il dirigeait pour lui venir en aide, il avait abandonné ses responsabilités et avait peut-être même sacrifié plus encore pour se trouver ici, fidèle et efficace. Son filleul ignorait tout cela, ce qui se cachait derrière la silhouette presque lugubre de cet homme.

— Je me charge d'effectuer les recherches nécessaires à son sujet, savoir où il détient Blaise et Potter. Vous, adoptez exactement le même comportement. Il ne doit remarquer aucun changement ou il se doutera de quelque chose. De même, il doit ignorer ma présence ici.

Hermione comprit, avec un certain soulagement, qu'elle avait donné les bonnes directives et un léger soupir ébranla sa silhouette délicate, mais solide.

— Granger a raison, poursuivit-il, sans même remarquer la tension qui s'était envolée des épaules de la jeune femme, la meilleure façon de se débarrasser de Nott, c'est de le prendre à son propre jeu.

Draco réfléchissait. Son angle de vu se limitait à un désir égoïste et il en avait conscience sans pouvoir entraver sa propre volonté. L'anniversaire d'Harry approchait, une échéance qui lui paraissait soudain bien funeste. Il se haïssait et son visage ne trahissait pas la moindre émotion, imperméable, simplement marqué par une sincère fatigue physique. Le mental s'usait sous la couche de peau et d'os, personne ne serait témoin de sa ruine, il s'en était fait la promesse.

— Une fois que nous aurons toutes les cartes en main, nous pourrons décider de l'occasion à laquelle nous lui rendrons ce qu'il vous a offert, conclut Severus, sombrement.


Un gros morceau pour compenser le fait qu'il n'y aura pas de deuxième partie ce soir (il faut vous laisser diriger vos repas de fête tranquillement ;)). C'est Severus qui est venu prêter main forte à Draco et Hermione et ils vont en avoir cruellement besoin !

J'espère que vous avez profité de vos proches autant que possible et je vous dis à 2021 pour la suite de Cueillir les étoiles ! <3 Merci !!

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