42.2
Strasbourg, 24 juillet 1943.
Draco s'efforçait de river son attention sur les documents qu'il lui fallait remplir. Des rapports, essentiellement, des tas de paperasses que son père lui demandait régulièrement. Tel était son rôle, surveiller la germanisation de l'Alsace. Une tâche qu'il avait presque oubliée tant ses priorités étaient autres, mais que son paternel tâchait de lui rappeler, inlassablement et avec toujours plus d'empressement.
Le travail représentait une chance de s'évader de ses tracas quotidiens et, en pareil moment, il en avait besoin plus que jamais. Il noircissait des pages et des pages avec un zèle dont il était peu coutumier. Ses collègues saluaient ce dévouement avec un respect davantage tiré d'un nom qu'il arborait fièrement que de son travail à proprement parler.
Draco broyait du noir. La situation n'évoluait pas ou du moins, pas suffisamment à ses yeux. Il avait tenté de quérir des informations auprès de Nott, mais celui-ci s'était révélé intraitable. Hermione lui avait alors intimé le mot d'ordre : jouer les victimes et masquer au mieux leur désir de revanche. Nott était un homme plein de ressources, mais surtout bien trop sûr de lui pour ne commettre aucune erreur. Le médecin l'assurait, ils devaient attendre un manque de jugement pour agir, mais combien de temps cela prendrait ?
L'anniversaire d'Harry approchait à grands pas et Draco refusait d'être séparé ainsi de son amant en pareille occasion. Il s'impatientait et Hermione craignait que le caractère du blond ne mette à mal leurs chances. La seule chose que l'Allemand pouvait faire était d'essayer d'en apprendre davantage au sujet de son ennemi. Ce dernier pouvait se vanter d'une excellente réputation auprès de ses collègues. Il s'investissait plus que nécessaire dans son poste et se plaignait rarement. Draco ne supportait pas que Nott connaisse des pans entiers de son existence là où il ignorait tout de la sienne. Cela le frustrait et le couvrait de honte.
— Monsieur Malfoy !
L'intéressé se redressa. Un homme se tenait dans l'embrasure de la porte, un collègue auquel il n'avait jamais adressé la parole et qu'il l'indifférait au plus au point. Celui-ci parut impressionné, comme si pénétrer dans l'antre de quelqu'un d'aussi influent relevait du sacrilège.
— Qu'y a-t-il ?
— Le téléphone pour vous.
Draco bondit sur ses pieds et abandonna la plume à même le document qui concentrait toute son attention quelques instants plus tôt. Qui cela pouvait-il bien être ? Severus ? L'Allemand l'espérait sincèrement, voyant en lui leur seul espoir de salut. Il suivit celui qui avait brisé le calme plat des derniers instants jusqu'à la pièce isolée dans laquelle trônait le téléphone. Ici, chacun pouvait avoir accès au précieux ustensile et communiquer en toute intimité. Respectant cette règle d'or, l'homme s'éclipsa avant même que Draco ait eu le bon goût de lui en faire la remarque acide. L'aristocrate cueillit le combiné et le porta à son oreille, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine, une attente démesurée au creux des lèvres.
— Draco ?
Un soupir de soulagement mêlé d'un semblant de déception franchit le seuil de ses lèvres. Il murmura :
— Mère.
Draco entendit ce qui s'apparenta à un sanglot étouffé et sa gorge se serra. Il était un fils indigne d'une génitrice aussi attentionnée qu'elle, un fils égoïste qui ne songeait pas à donner des nouvelles à celle qui l'avait mis au monde.
— Je m'inquiétais, Draco. Je n'ai pas eu de nouvelles depuis que tu es parti.
— Je vous ai appelé une fois, tenta-t-il de nier, vainement.
— Un seul appel, en plus de deux mois. Je pensais que la venue de Pansy parviendrait à te raisonner.
Draco déglutit. Sa mère avait-elle encouragé son épouse à le rejoindre ? Il ignorait que Narcissa avait pleinement conscience que leur mariage était loin d'être une réussite et qu'elle n'imposerait pour rien au monde une décision qui engendrerait le malheur de son fils.
— Pardonnez-moi, je... j'ai été très occupé. Père m'a confié un travail qui mobilise tout mon temps.
— Justement, je voulais te parler de travail. De travail et également de Lucius.
L'Allemand s'assit sur la chaise qui bordait la table sur laquelle le téléphone avait été soigneusement disposé. Il jouissait ici d'une intimité dont il ne disposait presque nulle part ailleurs à l'exception de son bureau. Pansy scrutait le moindre de ses gestes, scrutant allègrement celle qui se faisait passer pour leur bonne.
— Ton père commence à s'interroger. Ton travail est moins soigné qu'il l'espérait et il a le sentiment que ton investissement n'est que superficiel. A-t-il raison de s'en inquiéter, Draco ?
L'interpellé se tendit et hésita.
— Je t'en prie, réponds-moi sincèrement. Lucius n'en saura rien si tu le désires.
— J'ai quelques... soucis en ce moment, j'avoue que je n'ai pas vraiment la tête à mes obligations. Je ne pensais pas que c'était aussi évident, lâcha Draco, du bout des lèvres, incapable de résister plus longtemps.
Un bref silence lui répondit et le jeune aristocrate sut qu'il venait de raviver l'inquiétude de sa mère. Il se mordit l'intérieur de la bouche. Devait-il préciser ou ne rien ajouter de plus ? Il craignait de trahir plus que sa pensée et de placer ses amis dans une situation inconfortable.
— Il y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour t'aider ?
— Je crains que non.
— Est-ce que ces problèmes ont un lien avec tes récentes dépenses ?
Draco s'étrangla. Bien sûr, Lucius avait dû constater les sommes importantes qu'il avait retirées ces derniers jours. Le patriarche de la famille Malfoy était très proche de sa fortune, elle-même qu'il avait bâti au prix d'importants sacrifices, et ce comportement inhabituel de la part de son fils n'était pas passé inaperçu.
— J'ai mis ces dépenses sur le compte de la nature très dépensière de ton épouse et sur... ton enthousiasme de mari heureux de retrouver sa femme, mais tu te doutes que l'excuse n'a pas entièrement satisfait Lucius.
Un silence éloquent lui répondit. L'héritier serrait les poings, l'étau se refermant encore davantage autour de lui. Si son père venait à surveiller de plus près ses affaires, ce serait la fin pour lui. Il n'imaginait pas un seul instant qu'il puisse découvrir les manigances de Nott. Nul doute que son géniteur en blâmerait bien peu l'auteur de cet odieux chantage et concentrerait son courroux sur son fils.
— Est-ce que quelqu'un profiterait-il de...
— C'est une histoire compliquée, mère, mais je vous promets que cela ne durera pas. Faites-moi confiance.
— Ne peux-tu pas demander l'aide de ton père ? Je comprends que cela puisse paraître humiliant, mais si cela s'avère nécessaire, tu ne devrais pas hésiter.
— Je... Je ne peux pas.
Nouveau silence qui parut représenter un moment de réflexion de la part de Narcissa. À quelques centaines de kilomètres de Strasbourg, dans sa résidence tranquille et luxueuse de Munich, l'épouse Malfoy assemblait quelques idées avec l'aisance qui avait toujours été sienne. Elle était vive d'esprit, ce que bien des hommes refusaient d'admettre, mais qu'elle nourrissait en secret. Elle finit par déclarer, à juste titre :
— Tes soucis ont un lien avec Harry Potter, je me trompe ?
Draco aurait certainement dû nier avec virulence, prétendre fièrement le contraire et même se moquer de la crédulité de sa génitrice, mais il n'en fit rien. Un soupir las et découragé lui échappa, pour toute réponse. Cela suffit amplement à confirmer les soupçons de Narcissa.
— Lucius ne doit rien en savoir. Je m'occupe de réorienter son attention, mais je t'en conjure, ne sois pas imprudent.
Il ferma brièvement les yeux. Sa mère était une véritable bénédiction, un miracle de compréhension à son égard.
— Merci, mère, souffla-t-il, avec sincérité.
— Je suis inquiète, Draco.
Alors, Narcissa présenta l'objet de son inquiétude et, une fois encore, elle prouva à quel point elle pouvait se montrer clairvoyante et d'une rare intelligence. Très informée par le biais de son époux, elle n'ignorait pas la déchéance qui était celle du Reich. Une descente en Enfer qu'Hitler niait avec l'aplomb qui l'avait mené, une décennie auparavant, au pouvoir. La propagande qui aveuglait l'Allemagne n'était que de la poudre aux yeux et la femme le savait. Elle craignait désormais les discours qui enjolivaient la situation. Jusqu'où cette mascarade les mènerait-elle ? Lucius figurait parmi les hauts fonctionnaires nazis et avait soufflé à son épouse que le Führer ne capitulerait pour rien au monde. Narcissa n'en doutait pas un seul instant et c'était probablement le plus inquiétant.
— Rien ni personne n'arrête les soviétiques. L'Allemagne perd ce qu'elle a conquis et elle pourrait bien perdre plus encore. Ici, les certitudes de certains se fendillent et certains prétendent que le Führer n'a plus toute sa lucidité.
— Parfois, je me dis qu'ils n'ont peut-être pas entièrement tort.
Narcissa ignorait si elle devait sermonner son fils pour sous-entendre quelque chose d'aussi impensable ou si elle devait se sentir au contraire soulager de constater une objectivité devenue rare. Elle eut un maigre sourire, un rictus que son enfant ne vit pas.
— Vous ne devriez pas y penser, mère.
Parfois, il valait simplement mieux omettre l'évidence et Draco ne pouvait qu'admettre qu'il aurait aimé pouvoir suivre cette perspective. La conversation s'acheva sur cette saveur amère. Il raccrocha au terme de ces quelques minutes et quitta prestement la pièce, désormais dénotée d'attraits. Il regagna sans attendre son bureau, ressentant le besoin de s'occuper l'esprit et de fuir des pensées invasives.
Il pénétra dans son antre personnel et, à première vue, rien n'avait changé. La même pile de documents s'amassait, la plume était toujours en équilibre sur l'un d'eux. Mais lorsqu'il s'approcha, son œil avisé remarqua un détail inquiétant. Une feuille de papier soigneusement pliée en deux trônait au centre du bureau. Draco sentit une goutte de sueur se format dans le creux léger de sa tempe, prête à dégouliner le long de sa joue. Quelqu'un s'était introduit ici durant son absence.
Il se saisit de la missive et la déplia. Une seule ligne griffonnée au milieu. Un chiffre qui ne laissa pas le moindre doute sur l'identité de celui qui avait sciemment violé son identité. L'Allemand sentit la rage déferler sur son corps. Nott venait de lui faire connaître sa dernière exigence, une somme astronomique, même pour un héritier aussi riche que Draco. Son collègue avait une manière bien à lui de profiter des malheurs d'autrui, de la guerre, et des situations inconfortables dans lesquelles son entourage se trouvait. Le chantage se poursuivait après plusieurs jours de silence. L'ironie du destin.
La lettre contenait, à l'exception du chiffre rédigé avec plus d'attention que le texte qui l'accompagnait, quelques mots négligemment portés sur le papier :
À apporter avant le 31, minuit, ou ton protégé ne vivra pas assez longtemps pour apprécier ses vingt-cinq ans. Sois généreux !
Une bile âcre se répandit dans la bouche de Draco qui froissa rageusement la missive. Il maudit Nott au cœur d'une flopée d'insultes. Il se promit qu'il tuerait ce fou de ses propres mains pour avoir osé l'utiliser à sa guise et pour avoir changé Harry en prétexte, en monnaie d'échange. Pour tout cela, pour avoir eu l'audace de lui tenir tête et de menacer ainsi la vie de son amant et de son ami de toujours, Nott paierait.
Le jeu ne faisait que commencer.
Deux chapitres pour les fêtes et, en prime, le retour de Pansy pour complexifier encore un peu cette situation déjà... cocasse. Ou plutôt... dangereuse pour nos personnages ! Ils auront sans doute besoin d'un petit coup de pouce du destin pour s'en sortir.
Je vous souhaite à tous de belles fêtes <3
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