42.1
Strasbourg, 20 juillet 1943.
La gare grouillait de monde sur les coups de midi. Le soleil n'assommait pas encore la volonté de certains et les quais étaient emplis de retrouvailles émouvantes. Si Draco ne se laissait pas émouvoir par de telles démonstrations, Hermione le sommait de ne rien laisser paraître de son ennui. Ils devaient faire bonne figure, aussi bien l'un que l'autre. La nervosité de l'Allemand n'égalait pas son envie de fuir cet endroit à toute jambe. Le train s'arrêta en gare dans un panache de fumée noire et malodorante. Cela signait leur fin, d'une manière ou d'une autre.
Pansy émergea bien vite des wagons de première classe. Elle y avait effectué à un trajet qu'elle qualifierait d'inconfortable, n'ayant pas en très bonne estime ces engins depuis sa plus tendre enfance. Elle salua son amie de voyage, une personne qui ne représenterait bientôt qu'un vague souvenir, et ordonna à un des responsables de s'emparer de ses valises, bien trop nombreuses pour un court séjour. Elle cherchait d'ores et déjà son époux d'un regard à la fois inquiet, las et impatient.
Elle s'était attendue à des retrouvailles aussi émouvantes que celles des autres passagers de son train, mais allait être fortement déçue. Elle lissa promptement sa robe avant de passer sa main dans ses cheveux, craignant qu'une mèche dépasse de sa coiffure compliquée et typique de l'aristocratie. Ses yeux fardés cherchaient frénétiquement la silhouette familière de son mari dans cette horde d'inconnu. Draco la vit avant qu'elle ne le découvre. Pour un peu, elle l'aurait touché, s'il ne la connaissait pas, il l'aurait pris pour une brebis égarée. Cette femme pourrie gâtée et hautaine cachait bien son jeu.
— Draco ! s'écria-t-elle, avec un fort accent allemand.
L'intéressé demeura parfaitement immobile, même lorsqu'elle abandonna toutes ses manières pour l'étreindre en public. Le blond l'enlaça sans grand enthousiasme, mais y mit plus d'entrain lorsque son regard croisa celui réprobateur d'Hermione. Il referma ses bras autour de la taille gracile de son épouse et attendit que les éclats de leurs retrouvailles prennent fin.
— Je suis heureuse de te revoir ! J'attendais une réponse de ta part, mais...
— Ta lettre m'est parvenue avec du retard, je n'ai pas eu le temps de te rédiger une réponse.
Pansy bougonna une réponse dans sa langue maternelle et à propos du retard fréquent des missives. Elle en oubliait les convenances, pour l'une des rares fois de son existence, trop exaltée par son bonheur pour y songer. Hermione se tenait légèrement en retrait, se prêtant subliment au jeu de la jeune alsacienne effacée et polie.
— Draco, tu ne m'as pas présenté à cette jeune femme.
L'interpellé outrepassa le manque cruel de politesse de cette remarque malgré l'air pincé et qu'à moitié souriant qu'affichait la bourgeoise.
— Pansy, je te présente Hermione, elle s'occupe de ma résidence.
La jeune allemande sourcilla. Que faisait-elle ici s'il s'agissait d'une vulgaire femme à tout faire ? Son éducation ne lui permettait pas d'en exprimer l'interrogation, mais son expression en disait long sur sa pensée.
— Elle est rapidement devenue une amie, je l'ai rencontrée lors de mon premier séjour ici, ajouta Draco, comprenant que son épouse ne se laisserait pas duper par si peu.
— Enchantée ! lança Hermione, mue d'un naturel désarmant.
Pansy fut forcée de serrer la main que l'Alsacienne lui tendait avec une réticence presque grotesque. Elle dévisagea celle qu'elle considérait d'ores et déjà comme une menace potentielle. Une concurrente et peut-être même la cause de tous les problèmes qui accaparaient son couple. La jeune Parkinson se promit de garder un œil sur elle.
Draco sourit discrètement. Hermione avait eu une idée de génie, à n'en pas douter. Lui attribuer le rôle de femme à tout faire lui prendrait un temps précieux, un temps qu'elle aurait pu consacrer à ses patients, mais il lui permettrait de centrer l'attention de Pansy sur un danger imaginaire et non sur la menace qui planait véritablement au-dessus de leurs têtes. Cela l'aiderait à se concentrer dessus et à ne pas s'attarder sur les états d'âme de son épouse.
— Je suis ravie de vous rencontrer, Madame Malfoy, votre époux m'a longuement parlé de vous.
Hermione endossait son rôle à la perfection et Draco ne pouvait s'empêcher d'être admiratif. Même en faisant d'importants efforts, il ne parvenait pas à masquer totalement la tension qui s'éprenait de lui. Il savait ce que comprenait le retour de Pansy, à savoir vivre à nouveau dans le logement qui lui avait été assigné, demeure lavée de fond en comble par l'Alsacienne et lui ces dernières heures, et surtout, partager sa couche après de longues semaines sans y être forcé. Il éprouvait un dégoût profond à cette seule idée.
Ils marchèrent dans les rues de Strasbourg et Pansy détaillait l'ensemble de la ville de son air critique. Elle n'y avait jamais mis les pieds et finit par donner son approbation :
— C'est une bien belle ville.
— Je suis certaine que Munich est bien plus beau, rétorqua Hermione, récoltant un regard désapprobateur de la part de son aînée, outrée qu'une servante se permette de lui adresser la parole sans y avoir été invitée.
Draco pinça les lèvres. Il y avait encore quelques détails à régler.
Ils marchaient sans y penser, échangeant quelques banalités, Pansy exposant à son mari tous les détails de la vie mondaine allemande durant son absence. Le blond lui prêtait une oreille distraite, surveillant davantage les alentours que les incessants bavardages de la femme pendue à son bras. Elle lui rappelait les bals quelques années plus tôt et l'enfer de devoir tenir une conversation à de riches héritières. Le prestige qu'une personne de haut-rang s'intéresse à soi était vite éclipsé par l'ennui. L'ennui était le maître mot et, en l'absence de Blaise, les festivités ne possédaient pas le moindre attrait. Même les atours des jeunes femmes ne l'intéressaient guère.
— Draco ! Quel plaisir de te voir ici !
Le sang de l'intéressé se glaça dans ses veines. Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Nott se tenait à quelques pas, visiblement ravi de son effet. Avec ce sourire bienheureux sur son visage, n'importe qui l'aurait pris pour un simple d'esprit. Or le bougre cachait bien son jeu, lui aussi. Ses cheveux légèrement désordonnés lui conféraient cette aura chaleureuse du garçon qui ne se négligeait pas, mais qui soignait le moindre détail. Ses yeux sombres, deux billes noires, brillaient à la lueur fixe du soleil à son zénith.
— Je me demandais pourquoi tu avais pris congé aujourd'hui, mais le mystère n'est plus. Madame, c'est un véritable honneur de vous rencontrer.
L'homme exécuta un baisemain digne d'un gentleman à la jeune Pansy qui sourit de toutes ses dents. Elle n'était pas insensible à la politesse et aux compliments de ceux qui l'approchaient, aussi ce Nott lui faisait-il excellente impression.
— Eh bien, Draco, tu ne nous présentes pas.
— Pansy, je te présente Nott, un collègue depuis mon retour à Strasbourg.
— Collègue et ami, précisa Nott, après un clin d'œil entendu qui passa pour de la complicité aux yeux de la bourgeoise.
Draco se retint de ne pas abattre son poing sur la joue de l'impertinent. Il calma ses ardeurs avec peine et esquissa un sourire confiant, bien loin de l'émotion qui dominait son être. Il ne pensait pas possible d'haïr autant un individu, son courroux aurait pu le mener à des accès de violence extrême. En cet instant et s'il en avait la possibilité, l'aristocrate allemand n'aurait pas hésité à abattre le scélérat.
— Je suis certain que nous aurons l'occasion de nous revoir bientôt, assura Nott.
— Ce serait avec grand plaisir !
La bonne entente qui existait entre son épouse et celui qui le manipulait consciemment horripila encore davantage Draco. Hermione luttait elle aussi, détaillant celui qui avait osé braquer un revolver contre l'arrière de son crâne. Elle n'avait pas eu l'occasion de le faire auparavant, mais elle tentait d'estimer sa dangerosité. En silence, elle évaluait à l'aide de son esprit d'analyse. Draco et elle avaient commencé leurs recherches à son sujet. Théodore Nott était issu d'une petite noblesse, son père s'était ruiné dans des investissements et leurs ambitions communes avaient sombré au même titre que leurs affaires. Le blond avait dressé un portrait rapide et avait compris immédiatement à qui ils avaient affaire : un garçon jaloux des plus chanceux, des riches héritiers comme Draco. Nott voyait en cette occasion une manière de venger sa propre déchéance et les privilèges qui ne s'abattaient que sur les autres.
Hermione déglutit. Si Draco avait vu juste, alors cet homme serait prêt à tout. Qui sait jusqu'où il pourrait aller pour amorcer la chute de sa proie ?
— Draco, nous nous reverrons demain !
L'intéressé demeura impassible et sa réponse, toute aussi neutre, ne le trahit pas. Pansy avait oublié ses tracas et passerait certainement le reste du trajet à déblatérer au sujet de ce charmant jeune homme.
— Pense à ton amant, souffla Nott, voilà des heures qu'il te réclame.
Draco pâlit considérablement et ce fut la seule réaction physique notable. Pansy n'avait pas entendu et, l'instant d'après, le prédateur s'était éclipsé dans les rues animées de Strasbourg. Il avait simplement semé le doute, la certitude même. Il savait pour Harry et lui et détenait, ainsi, une carte supplémentaire en poche. Leur maigre avancée issue de leurs recherches des dernières heures ne pouvaient pas égaler une telle avance, une telle supériorité. Draco se maudit pour sa naïveté, il avait bêtement cru détenir quoi que ce soit susceptible de changer la donne. Il ne prenait pas mesure des conséquences de cette révélation, mais le choc se lisait dans son expression défaite.
— Draco ? Draco ? Que t'arrive-t-il ? Tu es pâle, tu ne serais pas tombé malade au moins ?
La voix de Pansy l'atteignit avec un temps de retard, assourdie par d'interminables échos. Harry... Harry entre les mains de cet homme, c'était tout bonnement intolérable. Son imagination prenait le relais et ne lui épargnait rien, les images se succédaient dans un silence entrecoupé de cris. La guerre éveillait la monstruosité des hommes et si Draco n'en avait pas eu la certitude jusqu'alors, celle-ci se présenta tout nettement à lui. Une évidence qui le frappa de son envergure.
— Draco ? insista-t-elle, sa main posée sur son épaule, une expression inquiète sur son visage.
Hermione eut pitié pour elle, pour cette femme qui n'attirait jamais l'attention de son époux et qui en souffrait forcément. Pourtant, quand elle lut le déchirement dans les prunelles de Draco, lui qui dominait si bien ses émotions, elle prit peur. Quelque chose de grave les guettait et si elle ne pouvait pas exprimer à haute-voix son interrogation, l'œillade que le blond lui accorda valut davantage que toutes les réponses. Les apparences, il ne fallait en aucun cas les négliger.
— Je vais bien, Pansy, ce n'est qu'un vertige, réagit enfin l'Allemand, d'une voix blanche. Rentrons.
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