41.2

Strasbourg, 18 juillet 1943.

Draco n'émergea qu'en début d'après-midi, luttant contre les effluves d'alcool et la migraine qui compressait son cerveau. Son corps tout entier protestait contre le traitement subi et chaque cellule paraissait vouloir lui faire payer ses abus de la veille. Pendant un court instant, les souvenirs de la nuit dernière demeurèrent opaques, intouchables, mais le voile ne tarda pas à se lever, laissant apparaître l'hideuse vérité.

Nott, Harry, Blaise, Hermione. Ces noms, et tout ce qui leur était associé, bons comme mauvais souvenirs, déferlèrent sur le corps sans défense de Draco. Il rejeta la couverture qui l'étouffait et gémit sans retenue. Ses pleurs s'étaient taris, l'alcool avait dévoilé une part bien faible de sa personne et il aurait aimé en mourir de honte. La porte close et le lit dans lequel il s'était endormi après de longues minutes à sangloter en vain, formaient une sorte de cocon. Une entrave à la réalité et il préférait y demeurer, ne pas affronter le monde extérieur. Peut-être qu'Hermione le laisserait s'enfermer dans le silence, peut-être que personne ne viendrait le déloger de sa tanière ?

Draco ne put s'y résoudre. Il avait trop souvent agi par lâcheté pour se prêter une nouvelle fois à ce jeu répugnant. Nott ne méritait pas qu'il baisse les armes de la sorte. Cette ordure lui avait volé les deux êtres qu'il aimait le plus exceptée sa mère, il ne pouvait pas le laisser s'en tirer sans représailles. Le jeune aristocrate lutta contre la migraine, contre une fatigue que le sommeil n'était pas parvenu à vaincre, et alimenta la haine qui nourrissait déjà ses désirs de revanche. Cette même volonté dans laquelle il puisa sa force et qui lui permit de se relever. Quelques instants plus tôt, il ne s'en serait pas cru capable.

Il marcha jusqu'à la fenêtre et repoussa le rideau pour jeter une œillade furtive vers l'extérieur. Les gens se promenaient en cette belle après-midi de juillet et, si on ne lisait pas une extrême lassitude sur leurs traits fatigués, on aurait aisément pu penser que cette ville vivait en paix. Quelle mascarade ! Strasbourg se remettait à peine des bombardements qui l'avaient terrassée et d'autres attaques étaient à prévoir. La riposte des Alliés était en marche et Draco en avait conscience sans savoir s'il devait ou non se réjouir.

Quelques jours auparavant, le Führer avait ordonné l'arrêt de l'opération Citadelle, l'ultime tentative du Reich de reprendre le contrôle du front est. Un échec cuisant auquel Draco peinait à consacrer toute son attention. Au commissariat, où il passait la majeure partie de ses journées depuis son retour à Strasbourg, s'ébranlait face à la peur croissante de certains Allemands une partie de l'ordre établi. La confiance aveugle qu'ils portaient en Hitler s'était amoindrie. La plus grande bataille de chars de l'Histoire, ces combats gigantesques dans lesquels s'étaient engagés eux millions d'hommes, avait été une nouvelle défaite. Depuis des mois, la chance ne souriait plus aux forces de l'Axe et, malgré la propagande nazie, les plus lucides voyaient déjà se profiler la chute du Troisième Reich. La bataille de Stalingrad avait enclenché le processus et déclenché un message glaçant : personne, pas même les Allemands, ne saurait tenir tête aux soviétiques. Staline n'avait eu de cesse de le prouver et son armée inépuisable avançait en direction de Berlin comme si rien ne pouvait l'arrêter.

Draco aurait dû craindre leur venue, trembler devant ces faits qu'Hitler démentait bien mal. Il n'y parvenait plus, l'endoctrinement qu'il avait subi depuis sa plus tendre enfance ne suffisait plus à masquer son jugement.

Si une urgence ne s'était pas immiscée dans sa vie, il aurait sans doute réfléchi outre mesure à cette pertinente interrogation. Quel était son camp ? Harry ne l'avait jamais forcé à participer aux actes de Résistance, mais désapprouvait farouchement sa position. Il pourrait faire davantage, agir pour le mieux. Quelques années auparavant, alors qu'Hitler montait au pouvoir, Draco pensait détenir une vérité indélébile et absolue. La doctrine du dictateur allemand était la sienne, il partageait ses idées sans même réaliser qu'elles n'étaient pas les siennes. Qu'en était-il aujourd'hui ?

Le blond se pinça les lèvres et le rideau s'abattit dans un mouvement élégant de flanelle. Il avait le sentiment d'appartenir à aucun camp. Grâce à Harry, le voile que son enfance bercée par l'endoctrinement avait laissé n'était plus, il voyait de quelles horreurs les fidèles représentants d'Hitler étaient capables. L'inhumanité existait bel et bien et Draco ne pouvait plus s'en préserver, il savait et, parfois, il aurait préféré demeurer dans l'ignorance. Il s'imagina brièvement basculer dans le camp de la Résistance. Le camp des bons, le camp de la justice, le camp de ceux qui croyaient et se battaient pour une Europe libérée du joug nazi. L'Allemand ne niait pas la légitimité de leur combat, ni même la bonté de leurs intentions, mais ces braves hommes l'accepteraient-ils ? Non, évidemment que non, son accent germanique suffirait à le trahir et Harry aurait beau leur dire, leur expliquer, rien n'y ferait. Que se produirait-il si les Alliés, Russes ou Américains parvenaient à chasser l'envahisseur des terres alsaciennes ? Le sang de Draco se glaça à cette seule pensée.

Il avait le sentiment d'être empêtré dans un malheur qui n'en finissait pas. Le premier représentait évidemment la situation de son amant et de son meilleur ami, mais il y avait autre chose. L'Allemand était écartelé entre des principes dont il n'aurait jamais cru être la source et le rôle qu'il était supposé jouer, un moule à son nom qu'il ne parvenait pas à fuir. Draco étouffait avec le sentiment qu'on avait toujours dicté sa conduite, ses choix, sa destinée.

Il mit un terme à ses tergiversations avec une fermeté qui l'étonna. L'heure n'était pas à s'interroger sur le sens de l'existence. Il descendit les escaliers, le regard encore vague et le pas incertain. L'alcool n'avait pas encore entièrement déserté ses cellules et il en avait suffisamment conscience pour ne pas jouer les imbéciles. Hermione l'attendait dans la salle à manger, attablée et plongée dans la lecture d'un de ses éternels bouquins de médecine.

— Tu ne dors donc jamais ?

— Draco ! Je ne pensais pas que tu te réveillerais si tôt !

Elle referma le livre d'un coup sec, centrant son attention sur son interlocuteur. Son œil expert détermina son état et elle fut soulagée de constater qu'elle avait affaire au véritable Draco et non au pantin alcoolisé qu'elle avait dû morigéner comme un enfant. L'adulte s'assit en face d'elle, les mains sagement posées sur le rebord de la table.

— J'imagine que tu as déjà un plan pour les sortir de là.

— Tu as une image bien élogieuse de mes capacités, railla Hermione, un sourire vaguement gêné sur les lèvres.

— Je suis certain que tu y as réfléchi.

— C'est vrai, je n'ai pas pu m'en empêcher.

Elle repoussa loin d'elle le livre dans lequel elle était plongée quelques instants plus tôt, comme pour éloigner toute chose susceptible de la déconcentrer. Elle paraissait lasse malgré l'aplomb qui lui donnait toute sa vigueur, Draco le lisait sur les traits fatigués de son visage. Elle prit une profonde inspiration avant de se lancer :

— J'ai contacté ton parrain plutôt que Ron, je me disais que la réponse viendrait sans doute plus vite. Je leur ai demandé de l'aide. S'il se produit quelque chose, nous ne serons pas seuls, ils sauront ce qu'il s'est passé.

— Combien de temps avant qu'une réponse nous parvienne ?

— Je l'ignore. S'ils décident de faire le déplacement, peut-être une dizaine de jours, une semaine pour une réponse manuscrite. J'ai plaidé notre cause comme j'ai pu. Ton parrain semble très attaché à toi et Ron refusera de laisser tomber son meilleur ami, je pense qu'ils agiront au plus vite. Nous pouvons compter sur eux.

Severus considérait presque, derrière sa raideur et ses défenses habituelles, Draco comme son fils et Hermione avait amplement raison. Cependant, Ron ne viendrait pas uniquement pour Harry, mais également pour elle, et elle paraissait en rejeter l'évidence. L'Allemand lissa des mèches de cheveux du plat de sa main. Il n'avait même pas pris la peine de se coiffer et bien peu de gens en ce monde l'avaient vu aussi négligé. L'Alsacienne ne s'en offusquait pourtant pas.

— Nous ne pouvons pas attendre aussi longtemps. Il est possible qu'ils fassent le trajet pour rien.

— Je le sais, j'y ai pensé, mais ne prévenir personne, c'est nous rendre plus vulnérables que nous le sommes déjà. Nous devons agir au plus vite, mais sans négliger les étapes. L'arrivée de Pansy est l'une d'elles.

Le visage de Draco s'assombrit encore davantage. La cerise sur le gâteau... Il n'avait pas la moindre envie de revoir son épouse et demeurait certain que sa présence à Strasbourg ne pouvait que les importuner. Hermione décela l'ombre qui s'installa sur les traits fins et la peau pâle de son interlocuteur et poursuivit, convaincante :

— Nott ne peut pas se servir d'elle comme d'un appât.

— J'en viendrais presque à espérer qu'il me débarrasse d'elle.

— Draco... le morigéna l'Alsacienne.

— Si je devais choisir entre Harry et elle, je n'hésiterais pas un seul instant !

— C'est parce que tu ne l'aimes pas, elle.

Le blond déglutit péniblement. Ainsi, elle savait. Comment avait-il pu imaginer lui cacher quoi que ce soit ? Hermione lui adressa un sourire peiné, ils partageaient le même fardeau et désiraient autant l'un que l'autre sauver la vie des deux otages. Draco tremblait d'une émotion contenue, bêtement heureux que la femme ne l'injure pas pour son inacceptable inversion et enragé par la complexité de la situation. Comme il aimerait aller dénoncer Nott à son père, il en ferait de la charpie. Mais pris à son propre jeu, le jeune aristocrate se trouvait dans une impasse sans issue et leur adversaire en avait parfaitement conscience.

— Nous attendons les directives de Severus, il possède un recul sur la situation dont nous sommes dépourvus, énonça Draco, avec une clarté d'esprit qui le surprit.

— Tu vas obéir à cet homme, poursuivit Hermione, mue d'une détermination inflexible. Essaie d'en apprendre autant que tu le pourras à son sujet. D'où il vient, quelles sont ses ambitions, est-il marié, tout ce qui pourra t'être utile. J'essayerai, pour ma part, de savoir où il loge et si c'est à cet endroit qu'il détient Blaise et Harry.

— Ce serait bien trop simple. Il n'est pas idiot, ils sont forcément ailleurs.

— Draco, cet homme savait exactement comme t'atteindre. Il en savait probablement plus sur ton compte que ce que tu t'imagines. Nous devons mener notre enquête, savoir de quoi il est capable et, surtout, comment le faire ployer. Foncer en espérant limiter les dégâts est hors de considération, nous aurions tout à y perdre. J'y ai songé et je suis persuadée que cette solution nous mènerait à la catastrophe. Laissons-le croire que nous sommes faits comme des rats, qu'il a l'avantage.

— Il y a de fortes chances pour que cela satisfasse son égocentrisme pendant un temps.

— Ça nous permettra surtout de gagner du temps, un temps précieux.

— Et s'il décide de liquider Blaise et Harry pendant que nous jouons aux inspecteurs ? s'enquit l'homme, d'une voix étouffée.

La respiration d'Hermione s'amoindrit et elle parut perdre contenance. Sa main se perdit dans la masse indomptable de ses boucles brunes et son regard s'égara par-delà la fenêtre, à l'extérieur. Un court instant où elle se dissipa, fuit toute responsabilité.

— Il ne le fera pas. Ils sont sa seule monnaie d'échange, il n'aurait aucun intérêt à les tuer.

Elle s'exprimait d'une voix blanche. Elle préférait croire en cette version des faits et tentait davantage de se persuader elle-même que de convaincre son aîné. Celui-ci aussi aurait aimé la croire, lui faire don d'une confiance aveugle, mais le doute le guettait, impitoyable. Il massa ses tempes sans que son geste ne parvienne à abolir la migraine qui faisait rage. Il manquait considérablement de recul. Les vies de son amant et de son meilleur ami étaient en jeu, comment pourrait-il en être autrement.

— Très bien, nous ferons comme il te semble juste de faire.

Le lendemain, il regagnerait le commissariat comme si rien ne s'était produit. Il passerait à l'administration, consulterait les archives s'il le fallait. Il ferait bonne figure, ne laisserait rien supposer. Il se plierait au manège pervers de Nott et planifierait sa vengeance. Un coup de poignard dans le dos, le sort réservé aux traîtres et cet individu méritait la mort la plus indigne qui soit !



Deux chapitres encore ce soir parce que nous avons passé les 3k (nous devons être à presque 3k1 en à peine quelques jours), merci à vous, lecteurs. J'espère que cette deuxième partie vous plaira autant que la première, il reste encore une vingtaine de chapitres à poster. Pour ma part, je réfléchis tranquillement à un troisième Drarry :3

Je vous embrasse ! <3

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