39.1
Strasbourg, 17 juillet 1943.
Hermione patientait sagement dans le hall de l'imposante bâtisse. C'était ce que l'homme lui avait ordonné et, pour l'heure, la médecin obéissait sans protester. Elle respectait à la lettre le plan établi et s'en félicitait. Pourtant, le temps passait, inexorable, et l'angoisse lui montait à la gorge.
— Mademoiselle, vous allez bien ?
La jeune femme sursautait. Un jeune homme, probablement un stagiaire, venait de s'adresser à elle. Petit, menu, aux cheveux bruns, il ne correspondait pas à l'idée que se faisait l'Allemagne de la race supérieure. La race aryenne à laquelle Draco Malfoy paraissait appartenir. Il semblait moins méfiant à son égard que ses aînés, eux qui la considéraient avec un soupçon perceptible. Et force était de constater qu'ils avaient bien raison !
— O-Oui, balbutia Hermione, un air troublé pas entièrement feint fondu sur son visage. Il fait simplement très chaud.
— Nous avons de l'eau dans la pièce commune. Cela pourrait prendre du temps, vous êtes sûre que vous n'avez besoin de rien ?
— Un verre d'eau, merci.
Elle eut un sourire mal habile, mais qui convainquit son interlocuteur. Elle n'avait pas pour habitude de jouer de ses charmes, elle qui s'en pensait dépourvue, mais la situation lui parut trop critique pour ne pas en user. Le garçon devait être à peine plus âgé qu'elle et avait été forcé de garder les lieux tandis que ses supérieurs avaient couru au-devant d'un supposé danger. Ils étaient seuls, en excluant la présence de la vieille femme sévère à l'accueil, séparée d'eux par une vitre épaisse et celle du chien de garde, une sorte de molosse humain à l'allure peu rassurante.
Il disparut et elle se tint debout, au beau milieu de l'entrée. Elle cachait à merveille le trouble qui la dominait. Elle n'avait pas pour habitude de prendre de tels risques et cela lui pesait. Elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer le pire, de concevoir toute sorte de scénarios, de se dessiner le désastre avant qu'il ne se déclare.
Pourquoi ne venait-il pas ? Draco était supposé se présenter à elle, sans rien montrer de la relation qu'ils entretenaient, sa présence suffisant à la rassurer sur la réussite de cette mission suicide. Cela faisait près d'une demi-heure qu'elle patientait bêtement. Les Allemands lui avaient ordonné de demeurer ici en attendant de vérifier que les informations qu'elle leur avait confiées étaient justes. Il avait été aisé de se faire passer pour une malheureuse Alsacienne, une honorable jeune femme qui aurait accouru par loyauté pour le Führer ici-même. Hermione endossait ce rôle à merveille, son air sérieux et sa maturité ne laissait aucun doute à ce sujet.
Le jeune homme semblait chargé de la surveiller. Bien entendu, il ne s'était pas présenté comme tel, mais la médecin avait vite fait de le comprendre. Les Allemands ne manquaient pas de méfiance à leur égard et ils avaient été dupés par tellement de beaux minois aussi innocents que celui d'Hermione qu'ils n'accordaient plus si facilement leur confiance. Les actes de Résistance se multipliaient et si cela la réjouissait d'ordinaire, elle aurait préféré qu'il n'en soit pas ainsi à l'instant où le regard sévère de la dame l'épiait par-dessus ses lunettes rectangulaires.
Elle consulta discrètement sa montre, modeste héritage de son défunt père, et ne put que céder à la panique. Sa respiration s'était accélérée et de la sueur plaquait ses cheveux au haut de son crâne. Aucune alarme ne s'était déclenchée, mais elle était déjà certaine qu'il était arrivé malheur à Blaise. Elle ne se le permettrait pas !
Une silhouette se dessina alors à l'angle du long couloir à droite de l'accueil. D'un coup d'œil, Hermione sut qu'il ne s'agissait pas de l'homme de tantôt. Celui qui marchait en sa direction était de plus haute taille, d'une carrure plus imposante et disposait d'une plus grande maturité. Il était assurément plus âgé, sans qu'elle ne puisse deviner son âge, sans doute celui de Draco. Il avançait vers elle d'un pas sûr et elle recula d'un pas. Une petite voix lui soufflait de s'enfuir sans qu'aucune explication rationnelle ne se mêle à cette vile impression. Peut-être simplement une lueur au fond du regard, une noirceur sans équivoque qui la paralysa avant de déclencher l'adrénaline nécessaire à sa fuite.
Elle se souvint du conseil de Draco. Un conseil qu'il lui avait murmuré à elle seule, avant qu'elle ne se jette dans la gueule du loup :
« Surtout, si tu perçois quoi que ce soit d'anormal. Si quelqu'un te paraît louche, si tu as le moindre mauvais pressentiment à la moindre occasion, tu déguerpis. »
Draco savait que ces lieux pouvaient s'apparenter à un nid de guêpes et qu'il ne fallait surtout pas qu'Hermione y soit piégée. Il était tout à fait possible qu'ils l'arrêtent avant que Draco ne soit revenu à elle, c'était pourquoi la fuite s'imposa à la jeune femme comme une évidence. Une sorte d'alarme qui, à défaut de se déclencher dans les entrailles de ces locaux réorganisés selon l'ordre nazi, retentit dans les tréfonds de ses propres viscères. De ces choses qu'il était impossible d'ignorer.
Hermione réagit par réflexe plus que par réflexion. Elle pivota et marcha d'un pas vif vers la sortie, camouflant de son mieux son trouble afin de se donner une allure plus vraisemblable. Il fallut quelques secondes à la femme de l'accueil pour réagir, s'écriant d'une voix grinçante :
— Elle s'enfuit ! Mais qu'est-ce que vous attendez ? Rattrapez-la !
Alors, Hermione sut qu'il n'y avait plus d'autres issues et elle se maudit pour sa faiblesse, pour s'être enfoui aussi bêtement au simple regard insistant d'un inconnu. Elle courut, se précipitant dans une foule danse dans le centre-ville de Strasbourg. Une aubaine qu'elle s'accapara comme un atout. Elle connaissait les lieux mieux que personne pour y être née, alors que ses poursuivants n'étaient guère plus que des étrangers. Un regard derrière son épaule lui suffit à constater que seul le géant s'était lancé à sa poursuite. Celle qui l'avait menée à prendre ses jambes à son cou ne s'était pas donné la peine de s'élancer à sa suite.
Son assaillant avait l'avantage de la forme physique, mais Hermione était plus agile et se faufilait sans peine entre les corps qui ralentissaient sa progression. Cela ne dura pas plus que quelques minutes et la jeune femme gagna ce duel de justesse. Elle avait bifurqué brusquement à l'angle d'une rue et l'homme avait continué sa route sans ralentir. La respiration sifflante, le dos appuyé contre le mur, Hermione reprenait péniblement son souffle. Elle l'avait échappé belle !
Soucieuse, elle attendit quelques minutes avant de reprendre le chemin de sa maison. Elle pria pour retrouver Blaise et Harry intacts à l'intérieur, soulagée de cette frayeur matinale. Les joues rougies par l'effort, elle pria pour que l'homme qu'elle avait aperçu ne décide pas de rédiger un avis de recherche en son nom. Elle avait évidemment donné une fausse identité, prétextant un oubli quant à ses papiers dans la précipitation. Une excuse que les Allemands avaient avalée sans peine, mais qu'elle trouva nettement moins brillante désormais. Lorsque les hommes reviendraient bredouilles au commissariat, il n'hésiterait pas un seul instant à porter la faute sur la demoiselle qui les avait envoyés là-bas, à l'autre extrémité de Strasbourg, jurant que ce taudis renfermait un résistant qu'ils traquaient depuis des mois.
Hermione passa le seuil de la porte et, sans prendre la peine de se dévêtir, se précipita dans le salon. Personne. Le souffle lui manqua et elle prit une profonde inspiration avant de monter les escaliers sans ralentir. La peur au ventre, elle inspecta chaque chambre avec attention. Il n'y avait pas âme qui vive.
Alors, désespérée, elle descendit les marches et s'y assit un court instant. Que devait-elle faire ? Rester ici et attendre un possible retour ? Aller au devant du danger en ignorant les risques qu'un tel risque comprenait ? Elle ne pouvait abandonner Blaise aux mains des Allemands en sachant pertinemment ce qu'il encourait. Elle prit une nouvelle inspiration, contrant son hésitation par le courage qu'elle espérait convaincant. Elle bondit sur ses pieds et quitta la maison sans un regard en arrière. Sans ses habitants, la bâtisse lui semblait morne, dépourvue de tout charme. La jeune femme ne se laisserait pas voler sa dernière famille.
Poussée par cette pensée, par la férocité de cette réflexion, Hermione pressa le pas. Elle salua quelques passants, des patients qui la respectaient autant qu'ils l'appréciaient, et elle se mêla à la foule. Au sein de ces dizaines d'anonymes, elle se sentit comme invulnérable. Une sensation éphémère qui cessa lorsqu'elle s'en extirpa, arrivée en moins d'un quart d'heure là où elle souhaitait se rendre. Elle avait ignoré les dégâts des bombardements alliés sur la ville, consciente qu'elle ne pourrait pas s'arrêter pour prêter main-forte aux sinistrés.
Le commissariat, alors que le soleil n'avait pas encore atteint son zénith, projetait une ombre sur plusieurs dizaines de mètres, comme la personnification du mal que renfermaient les lieux. Les Alsaciens ne s'aventuraient à l'intérieur que par obligation et seule la part qui acceptait la présence de l'envahisseur, qui l'encourageait même, s'y aventurait sans peur. Hermione n'était pas de ceux-là et elle avait dû dominer sa panique à l'instant où elle avait franchi le pas de la porte, remplissant un rôle à merveille, prononçant son texte au premier venu. L'angoisse de sa posture et de sa voix n'avait pas été feinte, elle maudissait les Allemands pour avoir souillé ces locaux de leur empreinte perfide et répugnante.
Elle se repéra sans mal dans les alentours et débusqua l'endroit où Harry était supposé attendre l'évasion miracle de Blaise. Un endroit sombre, un endroit parfait qui reliait la sortie de secours du commissariat au reste de la ville fourmillante à ses pieds. Elle pénétra dans l'impasse avec une détermination intacte, mais cernée d'une angoisse identique à celle de tantôt. Il n'y avait personne et elle ne put ravaler le frémissement qui l'ébranla. Devait-elle y voir la preuve de l'échec de leur mission ? Si proches du but, ils avaient finalement échoué ?
Elle ne trouva pas de réponse dans les murs nus, mais un son, comme un froissement de papier, la tira de sa réflexion. Avant qu'elle n'eut le temps de se retourner, de se repentir de son courage aveugle, un objet vint se presser contre l'arrière de son crâne.
— Je te défends de bouger.
Hermione ferma les yeux comme pour dominer la peur viscérale qui la paralysait. Elle devina sans mal ce avec quoi on la menaçait. Un révolver était maintenu contre sa tête, prêt à faire éclater sa cervelle et à repeindre le sol avec des morceaux calcinés. Elle déglutit péniblement, la terreur la rabaissant à l'état d'être obéissant.
— Ecoute-moi bien, petite larve. Tu vas dire à Malfoy que je détiens quelque chose qui lui appartient, même deux choses qui lui appartient et que, s'il souhait les retrouver, il devra lui-même me les réclamer. J'ai hâte de voir le parfait héritier baiser mes pieds !
Pas de grand blabla, je vous laisse directement avec le deuxième chapitre du jour. Je vous explique cette petite surprise tout de suite et j'espère qu'elle égayera ce dernier lundi de novembre !
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