38.2
Strasbourg, 17 juillet 1943.
La tête de Blaise dodelinait de droite à gauche et de haut en bas. Malgré l'épuisement physique qui le clouait sur la chaise, dont il ne pouvait de toute façon pas s'extirper, il ne parvenait pas à trouver le sommeil. Morphée s'était montré capricieux durant de longues heures. Il s'était peut-être assoupi quelques minutes, mais se réveillait immédiatement, la nuque douloureuse et une angoisse folle au corps.
Finalement, Blaise avait abandonné l'idée même du repos. Il se contentait de fixer le mur sale qui se dressait face à lui. Cela lui rappelait l'hygiène déplorable des camps où il avait été gardien et il ne pouvait s'empêcher de faire l'inévitable rapprochement. Il tâchait, dans les instants où ses paupières lourdes ne se fermaient pas d'elles-mêmes, de ne pas laisser ses pensées s'axer vers le dénouement de cette mascarade sordide. Il savait qu'aucune issue ne serait envisageable et priait pour que Draco n'ait rien tenté d'inconsidéré.
Il humecta ses lèvres sèches. Il n'avait rien bu depuis des heures, l'homme de la veille, le dernier à lui rendre une visite éclair, un homme étrange, lui avait accordé un verre de mauvaise grâce. La faim lui tiraillait l'estomac et il pouvait aisément deviner les hématomes ombrant son épiderme. Une constellation douloureuse.
Il avait perdu toute notion du temps, incapable de situer l'heure à laquelle il formulait ces quelques pensées. Etait-il une heure du matin, trois heures ou bien midi ? Il n'en avait pas la moindre idée, mais personne ne s'était aventuré ici depuis un très long moment, voilà qui ne faisait pas l'ombre d'un doute. Peut-être qu'on laissait les indésirables moisir ici, dans cette geôle lugubre, à peine éclairée, dans des conditions de détention déplorables. Lui qui s'était toujours forcé à conserver espoir, même dans la pire situation, même lorsque tout semblait perdu, voyait s'évanouir toute chance de s'en sortir. Cette geôle serait sa tombe.
Il songeait pourtant à l'évasion. Peut-être une chance se présenterait-elle au moment le plus inattendu ? Un passage infime qui mènerait à la liberté ? Une erreur de jugement d'un des cerbères qui gardaient l'entrée, un instant d'inattention qu'il saisirait avidement, sans attendre. Bercé par ce qu'il savait être de viles illusions, il s'abandonna au gré du temps, chaque minute plus insurmontable que la précédente.
Puis, le son régulier des pas parvint à ses oreilles. Deux hommes. Blaise le sut même avant de distinguer leurs silhouettes. Attentif, les sens à l'affut, il guettait chaque indice. Peut-être que l'épuisement prenait la forme de la folie, mais cela lui épargnait bien des tourments. Il faillit laisser paraître sa surprise, couplée à son indignation, lorsqu'il reconnut la silhouette de Draco. Un homme, d'allure commune et à l'air benêt lui ouvrit la voie.
— Comme vous l'avez demandé, personne n'est venu pendant la nuit.
— Bien.
Le regard de Draco, que l'obscurité rendait presque noir, ne transpirait aucune émotion et cette neutralité aida son meilleur ami à l'imiter.
— Que comptez-vous faire de ce hors-la-loi ?
— Ce n'est pas à moi que reviens la décision, articula le blond, avec ce qui pouvait s'apparenter à du regret.
— Pourquoi lui rendre visite, alors ?
Le petit homme regretta sa curiosité à l'instant où il eut le malheur d'en formuler une interrogation. Le visage du jeune aristocrate se ferma complètement pour ne laisser s'échapper qu'une rage crue.
— Pour en remettre une couche.
La voix de Blaise, éraillée par la soif, s'éleva dans un silence parfait et il se félicita pour cette audace. L'autre pâlit considérablement, son regard oscillant entre Draco et le prisonnier. Il n'avait fallu qu'un regard à ce dernier pour comprendre que cet énergumène ne lui serait d'aucune utilité et qu'il était des plus inoffensifs. Un lâche qui se pliait aux ordres sans trop se salir les mains, pas une brute, non, simplement un lâche.
— Je vous conseille de mesurer vos paroles. Je n'ai jamais permis que l'on s'adresse à moi de la sorte et le jour où cela arrivera n'est pas arrivé, encore moins de la bouche répugnante d'un nègre !
La réponse avait cinglé avec une telle aisance que le métis fut presque tenté d'y croire. La répartie dont faisait preuve de Draco le glaça à peine moins que le contenu de ses paroles. De telles injures, il n'aurait jamais cru les entendre de la bouche de son meilleur ami. Pourtant, il se rassura. Il détenait la preuve que son allié entrait dans son jeu et, surtout, qu'il en avait compris les règles.
— Est-ce que je peux...
— Non, vous ne pouvez pas. Je vais me charger seul de son cas, fais en sorte que personne ne vienne nous déranger avant un moment !
Blaise sentit son souffle se raréfier et manqua d'éclater de rire. Son cadet avait toujours été un menteur extraordinaire, de ceux qui peuvent vous faire gober n'importe quelle énormité, mais là, cela dépassait l'entendement ! Après un regard pour lui, l'homme tourna les talons, presque compatissant pour le prisonnier qui allait, manifestement, passer un sale quart d'heure. Lorsqu'il fut absolument sûr que son subalterne avait déguerpi, Draco se permit enfin d'ouvrir la porte.
— Si je n'avais pas eu les mains liées, crois-moi que j'aurais applaudi !
— Ne me fais pas croire que tu es impressionné pour si peu, dit-il, détachant les liens qui coupaient la circulation du sang de son ami.
— Un véritable artiste !
— Trêve de plaisanterie, Blaise, je ne suis pas d'humeur à plaisanter... ou on rira de tout cela quand nous serons en sécurité dehors !
L'intéressé se reprit aussitôt. La fatigue rendait sa concentration bien moindre malgré la situation pour le moins alarmante. Peut-être ressentait-il le besoin de rire de sa misère, manière comme une autre de se purger de la peur qui le menait au pied du mur.
— Qu'est-ce que tu as en tête ? souffla le métis, du bout des lèvres, frottant la peau meurtrie de ses poignets.
— Tu n'as pourtant pas pour habitude de poser les questions auxquelles tu connais déjà toutes les réponses.
Draco, sans octroyer plus de réponses à son meilleur ami, consulta brièvement la montre à son poignet, précieux objet reçu en héritage il y avait quelques années. Ses sourcils blonds ombraient son regard déjà dévoré par l'obscurité. Il manqua de faire remarquer l'odeur épouvantable qui régnait dans la cellule avant de réaliser à quel point cela pouvait paraître déplacé.
— Personne n'est venu te voir cette nuit ? l'interrogea-t-il, au détour d'une pensée.
— Seulement un homme, il m'a apporté de l'eau.
— Il n'a rien fait d'autre ?
— Non, rien. Il n'a pas ouvert la bouche. Tu évites mes questions, Draco, ne me prends pas pour un idiot. Qu'attendons-nous ?
— Tu ne devines pas ?
Exaspéré, Blaise soupira. Son intelligence ne concernait pas les dons divinatoires, il n'était donc pas dans la possibilité de lire l'avenir. Dans de mystères alors que sa vie était en jeu commençait à l'agacer plus que de raison. À quoi pouvait-il bien jouer ?
— Il est l'heure, suis-moi et, surtout, aies l'air naturel.
— Je ne mettrai pas un pied dehors de cette cellule avant que tu m'aies expliqué, exigea le métis, las de cette mascarade qui ne l'amusait plus.
Draco soupira, comme si cette perspective l'affligeait profondément, à moins que le stress ne l'invite à agir de manière disproportionnée. Ou alors il savait par avance que son ami rechignerait à se prêter au plan qu'ils avaient minutieusement élaboré. Il soutint le regard de Blaise avec moins d'assurance qu'à l'ordinaire, lui aussi ressentait la brûlure d'une gorge trop sèche. Il baissa les armes, conscient qu'ils ne pouvaient se permettre de perdre de temps.
— Harry, Hermione et moi avons passé la nuit à réfléchir à une manière de te sortir de cette geôle.
— Je t'avais dit de ne prendre aucun risque, le morigéna Blaise, depuis le milieu de sa cellule, immobile comme un condamné attendant sa peine.
— Nous sommes parvenus à élaborer un plan, poursuivit Draco, sans s'encombrer des revendications de son ami d'enfance. Il n'est pas parfait, certes et tu en conviendras, mais c'est à cette heure ton seul espoir de salut.
— Je m'en contenterai, ironisa son aîné.
— Je dois te conduire à l'extérieur, nous passerons par l'issue de secours et emprunteront le chemin le moins fréquenté. Une fois dehors, Harry t'attendra à l'angle de la rue et moi, je regagnerai mon poste l'instant d'après. Il faudrait un miracle pour que qui que ce soit remarque quelque chose.
Blaise secoua la tête de droite à gauche, sans égards pour les craquements sinistres de sa nuque. Draco Malfoy aurait-il perdu la tête ? La couleur sombre de sa peau ne masquait pas la couleur noirâtre de celle-ci sur plusieurs centimètres et ses yeux miroitaient comme un gisement de pétrole à l'air libre.
— Tu es fou, Draco ! Nous croiserons forcément des hommes et tu as beau les commander avec autant de doigté que ton père te l'a appris, tu ne les empêcheras pas de s'interroger. Qu'iront-ils penser lorsque j'aurais disparu ? Ton nom ressortira, tôt ou tard !
— Nous ne croiserons personne ! J'ai chargé Hermione d'assurer une diversion efficace, les locaux seront presque entièrement déserts et ceux qui resteront seront trop occupés par les affaires de ces derniers jours pour se préoccuper de nous !
— Hermione ? s'étrangla Blaise, blêmissant brusquement. Tu as chargé Hermione de...
— Elle ne court aucun risque. Je ne pouvais pas envoyer Harry dans la gueule du loup après son altercation d'hier, cela serait du suicide, pour lui comme pour nous. Hermione va simplement dénoncer un des hommes les plus recherchés. La Gestapo le recherche depuis des mois, ils déploieront un effectif maximal et...
— Et s'ils décident de la garder au poste ?
— Tu la sous-estimes, Blaise. Elle saura s'en sortir sans notre aide et je suis persuadée qu'elle craint plus pour nous que pour sa propre sécurité à l'instant où je te parle.
L'intéressé détourna le regard. Hermione lui reprochait souvent ce manque de confiance en elle. Il ne parvenait pas à lui accorder son entier crédit et elle y voyait comme un affront. Evidemment, la fière Hermione Granger ne pouvait pas accepter que quiconque remette en question son aptitude à résoudre n'importe quelle situation. Il hésita durant de longues secondes, pesant soigneusement le pour et le contre dans un silence glacial et saturé de tensions. Draco guettait sur son visage le moindre indice et si son ami continuait de penser que ce plan ingénieux n'était que folies, il fut forcé d'admettre qu'aucune alternative ne se présentait à lui. Il choisit de confier sa vie à son ami de toujours et d'accorder son entière confiance à Hermione.
— Très bien.
Le blond opina.
— Dépêchons !
Il n'y avait plus un seul instant à perdre et tous les gestes de l'aristocrate allemand trahissaient cette impatience, cette urgence imperméable à toute autre émotion. Il entraînera son homologue à l'extérieur de sa cellule et cala son pas, bien que dynamique, sur celui des membres endoloris de Blaise. Celui-ci pressait l'allure, mais ne pouvait aller à l'encontre du désir impétueux de son corps. Un corps meurtri qui lui refusait une obéissance optimale.
Il ne prêta que peu attention au décor, des murs nus, parfois peints d'une couleur fade selon l'idéal allemand d'une perfection maniaque et systématique, bien loin de la saleté des sous-sols. Ils ne croisèrent personne, pas âme qui vive en ces lieux et Blaise ne relâcha une part de la pression extraordinaire qui lui coupait la respiration. Draco, malgré ses grands discours, n'en menait pas large. Il jouait son poste, sa réputation et bien plus encore. Il craignait une erreur dans l'algorithme, une variable que ni Hermione, ni Harry ni lui-même n'avait su prévoir.
Mais rien ne vint jamais. Ils atteignirent l'extérieur en quelques minutes à peine et, enfin, le blond se détendit. Le prisonnier inhala un grand bol d'air frais avec une joie non feinte. Il avait cru ne jamais goûter à un tel délice et jouissait sans demi-mesure de ce bonheur simple.
— Tu es libre, dit simplement Draco, qui demeurait sur le pas de la porte.
Des escaliers vertigineux menaient à sa liberté et rien ne saurait arrêter Blaise dans sa quête. Il touchait au but et rien ne semblait prêt à se dresser entre lui et cet objectif. Ses amis étaient parvenus à exaucer un souhait, ils avaient commis l'impensable et y étaient parvenus. Aucune parole ne lui venait et il demeura dans un silence presque émerveillé.
— Tu me remercieras plus tard. Harry est à l'angle de cette rue, il t'attend. Rentrez immédiatement à la maison, ne faites aucun détour.
— Oui. Merci, mon frère.
Draco sourit de ce rictus aussi rare que précieux. Blaise n'avait même pas songé à contester ses ordres et ils avaient, tous deux et pour la première fois de leur existence, le sentiment d'appartenir à une famille. Un événement inattendu, propre à ce conflit qui n'en finissait pas, avait bien failli briser cette harmonie. Mais rien ne pouvait détruire l'inébranlable.
Le blond disparut et referma la porte derrière lui. Il filait déjà à son post, prévoyait déjà de se remettre au tas de paperasse qui l'y attendait et de feindre la normalité. Blaise, quant à lui, descendait les marches d'un pas vif. Il se trouvait derrière la gendarmerie, ce lieu réinvestit par les nazis avec une rare efficacité après la prise de Strasbourg. Un petit muret séparait le bâtiment d'une autre rue, d'autres bâtisses et du maillon vital de cette ville. L'homme s'y précipita avec autant de vigueur que ses jambes faibles le lui permettaient, il chassa le malaise qui l'envahissait, récurent et mal venu. Il tourna à l'angle comme Draco le lui avait ordonné et...
Et là où il aurait dû découvrir la silhouette familière d'Harry, sans doute un poil angoissé, il se heurta à celle d'un inconnu. D'un inconnu ? Non, de l'homme de la veille, celui dont il ignorait le nom et qui lui avait rendu visite tard dans la soirée. L'homme qui, désormais, le menaçait de son pistolet soigneusement astiqué. Il déclara, un sourire en coin flottant à ses lèvres :
— Surprise !
Oui, je sais, il y a meilleures surprises que celle-là, mais on aborde enfin un pan important de cette seconde partie. Le tout a mis du temps à démarrer pour que tous les éléments soient en place, mais nous y sommes ! J'espère que ce que je vous ai préparé vous plaira !
Je vous souhaite une belle semaine !
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