38.1
Strasbourg, 16 juillet 1943.
Draco s'était précipité jusqu'à atteindre l'humble demeure, celle qui lui avait été attribuée il y avait fort longtemps et qu'il considérait comme la sienne. Le souffle court, l'allure rapide à laquelle il traversait les rues entravait ses réflexions et toute trace de culpabilité. Un répit prodigué par l'adrénaline, cette essence produite par son corps qu'il bénissait en silence, dans sa course effrénée.
Emporté par son élan, il manqua de se heurter à la porte fermée. Ses mains frémissantes peinèrent à saisir la clé et cette dernière émit un son caractéristique, mais hésitant à l'instant où elle se fraya un passage dans la serrure. La sueur, malgré les chaleurs moins accablantes du soir, inondait le visage du blond qui fit irruption dans l'entrée. Immédiatement, comme sentit appelé par tant d'agitation, l'ombre d'Harry se dessina à l'angle du couloir, au beau milieu de l'escalier.
— Draco ?
L'intéressé avala une rasade d'oxygène avant même de songer à répondre. Son cerveau en avait cruellement besoin et ses membres paralysés par l'effort ne lui répondaient plus avec le même dévouement.
— Draco ? Draco, qu'y-a-t-il ?
Harry sauta en bas des escaliers plus qu'il ne dévala les marches. Ses sourcils sombres soulignaient un regard déjà cerné par l'inquiétude. Voir son amant dans un pareil état était loin d'être courant et cela suffisait amplement à raviver sa crainte. Il s'approcha doucement, comme on pénétrerait dans l'enclos d'un animal souffrant et potentiellement dangereux. Draco mordait au contact de la douleur et le Français le savait mieux que quiconque.
— Tu es... blessé ?
— N-Non. B-Blaise a été...
— Il a été quoi ?
— Arrêté. Il a été... arrêté.
Harry ouvrit grand la bouche comme un poisson privé d'air. Ce qui avait mis plusieurs secondes à atteindre son amant une heure plus tôt se présenta à lui comme une évidence. Il réagit vite et avec une redoutable efficacité, à la manière de celui qui concevait déjà l'impossible issue :
— Je vais chercher Mione, elle est à l'étage. Toi, vas dans la cuisine, sers-toi un verre d'eau et calme-toi. Je reviens tout de suite.
Et il fila. Il remonta les escaliers quatre à quatre et abandonna son aîné à son désespoir. Celui-ci obéit sans réfléchir, plus par réflexe que par nécessité. Il se laissa choir sur la chaise, tout son corps comme désarticulé. Certains lui reprocheront sans doute de dramatiser la situation à l'extrême, mais lui percevait l'avalanche désastreuse de conséquences dont résultait cet acte. Il ne pouvait pas se permettre de prendre publiquement la défense de Blaise, son emploi en serait compromis et, pire que cela, son père en serait immédiatement informé. Draco n'était pas dupe au point d'ignorer la surveillance accrue que Lucius avait déployé, le moindre écart de conduite ne passerait pas inaperçu. Le contrôle se relâchait de jour en jour, l'inquiétude de son géniteur envers le comportement de son héritier se faisant moins extrême. Il ne pouvait s'empêcher de penser au jour où son paternel découvrirait ce secret... Alors, les conséquences seraient incontrôlables !
Draco leva ses yeux du verre d'eau qu'il s'était servi, et auquel il avait à peine touché, dès qu'Harry pénétra dans la pièce. La lampe qui l'éclairait ne suffisait pas à palier l'obscurité grandissante du soir et Hermione se détacha du sillage de son ami pour se planter face à l'Allemand. Avant même de prononcer le moindre reproche, elle lui ordonna :
— Bois !
— Réflexe de médecins, j'imagine, bougonna Draco, non sans tremper ses lèvres dans le liquide glacé.
— Déformation professionnelle, répliqua l'Alsacienne sans ciller.
Elle s'assit et, nerveusement, attacha sa crinière avec un fin lacet de cuir. Un geste adroit et vif, synonyme d'habitude, qui confectionna un chignon lâche, mais non dénué de charme. Elle ramena les deux hommes, hypnotisés par la tâche fascinante qu'elle venait d'exécuter, à la réalité d'un claquement de doigt.
— Qu'as-tu fait ?
— Rien.
— Comment Blaise a-t-il pu se retrouver entre les mains de la police ? renchérit encore Hermione, sans faiblir, camouflant sa peur derrière cet aplomb d'apparence inébranlable.
— Il a pris la défense d'une femme enceinte que des hommes brutalisaient. Ils lui ont demandé ses papiers et... je vous laisse le soin d'imaginer la suite.
La jeune femme pinça les lèvres. Elle n'aurait jamais imaginé que Blaise, un homme aussi sage que lui, prenne un risque aussi inconsidéré. Elle le connaissait altruiste, elle avait appris à le connaître sous cet angle qu'elle n'avait jamais soupçonné et ne pouvait s'empêcher de ressentit un éclat de fierté à l'égard de la raison de son enfermement.
— Tu connais les procédures, avança-t-elle, doucement, plantant un regard quasi suppliant dans celui de Draco. Que va-t-il se passer ?
— Je n'en ai pas la moindre idée. Ils vont lui demander ses papiers, pour la forme plus que pour quoi que ce soit d'autre et, quand il va refuser de les donner...
— Ils ne vont quand même pas se débarrasser de lui, dit Harry, que cette idée révulsait.
— Non ! Non... Pas immédiatement en tout cas. La procédure, s'ils décident de la suivre, serait de vérifier qu'il ne s'agit pas d'un hors-la-loi. Au mieux, il sera déporté à Schirmeck et, au pire, ce sera le Struthof.
Hermione se mordit les lèvres jusqu'au sang pour ne rien laisser paraître de sa douleur. Elle manqua d'hurler. Harry avait considérablement pâli. Beaucoup de Strasbourgeois ignoraient à quel enfer le nom de Natzwiller était associé. Mais les habitants de la vallée de la Bruche ne pouvaient l'ignorer, témoins des trains remplis de gens que plus jamais ils ne reverraient. La montagne les dévorait, une belle manière d'atténuer ce que les nazis avaient construit au cœur des carrières. Pire que Schirmeck et sa machine à détruire l'humain, pièce par pièce, pire que ce que l'Homme avait connu jusque là. Le sanctuaire des pires atrocités. Un lieu à la réputation sinistre parmi ceux qui détenaient le secret de son existence. Les hommes, une majorité d'opposants politique à laquelle s'ajoutaient des homosexuels, de véritables bouc-émissaires, y travaillaient jusqu'à l'épuisement. Personne ne franchissait les limites du camp après y être entré, on y pénétrait pour y mourir !
Les miradors établis à des endroits stratégiques y veillaient et les gardiens avaient ordre de tirer à vu. Si l'entière réalité détenue par Harry et Draco avait été épargnée à Hermione, volontairement ou non, celle-ci s'imaginait aisément l'enfer que renfermait le Struthof. Elle se doutait que Blaise ne ferait pas exception, la couleur ébène de sa peau le condamnant d'avance à une mort prématurée.
— Nous ne pouvons pas laisser faire ça ! rugit-elle, dans un éclat de fureur scandalisé.
Draco fixait ses doigts avec la même détermination, quoi que voilée des prémices de la résignation. Non, pas encore la résignation, rien que la conscience de la tâche impossible qui lui fallait surmonter.
— Tu peux le sortir de là, n'est-ce pas ?
— Non, je ne peux pas agir seul. J'y ai réfléchi, c'est impossible. Que je m'intéresse à un détenu serait trop suspect et mon père en serait immédiatement informé, débuta-t-il, d'une voix lasse.
— Tu ne veux pas ou tu ne peux pas ? intervint Harry, avant de réaliser qu'une telle insinuation ne serait pas du goût de son amant.
Et en effet, celui-ci vrilla ses orbes gris et aussi acérés qu'une lame de rasoir sur lui. Il y lut une blessure profonde, un échec intolérable. Il se considérait comme fautif de l'arrestation de son meilleur ami et de tout ce qu'il lui arriverait à la suite de cet incident. Il repoussa loin de lui le verre d'eau et cingla :
— Sauf si tu tiens tant que cela à croupir dans une cellule à ton tour, dès que mon père sera tenu informé de ma désobéissance !
Il avait failli faire allusion à Schirmeck, à en clamer la menace. Sa bouche avait dérapé, mais il s'était repris à temps. Sa colère ne devait pas influencer son jugement et encore moins dans une telle mesure.
— Il doit forcément y avoir une issue. Une évasion ?
Les yeux d'Harry roulèrent dans leur orbite. Son amie devait avoir perdue la raison pour proposer cela. C'était si loin de ses principes habituels, de sa réserve et de la sagesse qu'elle partageait avec Blaise. Une évasion prenait une ampleur démesurée et comprenait des risques énormes, pour lui comme pour eux tous.
— Tu es tombée sur la tête ?
— Je suis très sérieuse ? protesta Hermione. J'admets que ça peut paraître... fou dit de cette manière, mais nous pouvons élaborer un plan solide, un plan qui lui permettrait de s'échapper sain et sauf.
— Mione... Tu n'y penses pas.
— Et pourquoi pas ?
Désarmé, Harry chercha chez Draco le soutien qui lui manquait. L'Alsacienne pouvait se montrer aussi têtue que lui et un tel débat pouvait s'éterniser des heures sans qu'aucun ne trouve le fin mot de la discussion. Le blond, qui ne s'embarrassait pas d'un vain dialogue, trouva une alternative pour le moins efficace :
— Blaise m'a chargé de te dire qu'il t'aimait. Il s'agit de la dernière chose qu'il m'ait dite, cela doit être important.
Harry blêmit et le silence qui s'installa permit au jeune aristocrate de mettre de l'ordre dans ses idées. Hermione s'était empourprée et ne cherchait pas à se justifier outre mesure. Sa réaction parlait pour elle, mais le Français s'exclama, incapable de s'en tenir à cela :
— Mione ! Blaise et toi, vous...
— Et alors ? Que vois-tu de mal là-dedans ? Je ne me suis jamais permise le moindre jugement à l'encontre de Draco et toi !
— Oui, mais...
— Il n'y a pas de « mais » qui tienne, le reste ne regarde personne d'autre que Blaise et moi !
Cette fois, Hermione était au bord des larmes et Draco en vint à regretter sa tentative de diversion. Au moins, ils étaient fixés. Quelque chose se tramait bien entre le métis et la médecin et cela allait bien au-delà d'une simple attirance. Ils n'avaient rien su voir. Le blond se gifla intérieurement, furieux de laisser ses réflexions se perde d'une manière aussi risible. Chaque instant comptait et le temps qui filait condamnait un peu plus Blaise, minute après minute.
Alors, l'Allemand finit par énoncer, calmement, mais avec toute la commune réticence qu'une telle idée pouvait lui inspirer :
— Je me prononce pour l'évasion.
Oui, la situation craint. Il fallait bien que cette deuxième partie de la fanfiction comprenne quelques enjeux graves :3 Non, je n'ai aucun scrupule, mais je prends les plaintes si jamais !
Je vous souhaite une belle semaine et prenez soin de vous ainsi que de vos proches !
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