37.2

Blaise Zabini se tenait face à lui. Assis sur une chaise dans un équilibre précaire, il l'observait de son unique œil valide. L'homme de tantôt n'avait pas menti sur la marchandise et ils n'y étaient visiblement pas allés de main morte. Le visage tuméfié du métis en témoignait, outre la surprise de le découvrir en ces lieux.

— Tu t'attendais peut-être à quelqu'un d'autre, releva son meilleur ami, captant la surprise que trahissait le blond.

— Je te pensais plus sage que cela, rétorqua celui-ci.

Un sourire malheureux échauda les lèvres de Blaise. La lèvre inférieure avait éclaté sous la violence d'un coup de poing et un hématome se présentait déjà sur le haut de sa pommette meurtrie. Le cœur de Draco se serra à cette vue alors qu'il maudissait ces individus de s'être acharnés sur son ami pour en suite se présenter à celui qui détenait le pouvoir, la queue entre les jambes. C'était si simple de s'en prendre à ceux qui n'avaient pas la force de rappliquer, qu'elle soit physique ou d'une toute autre teneur. Cela le répugnait au plus haut point.

— Il m'arrive parfois de m'emporter, consentit à avouer le métis, d'une voix qui venait de perdre une part de sa superbe.

— Je ne l'aurais jamais cru. Cela ne te ressemble pas, Blaise.

— Ils s'en prenaient à une femme lorsque je suis intervenue, cracha l'intéressé. Une femme enceinte ! Et ils ont eu le culot de me demander mes papiers après ça !

La verve du jeune homme trouva une justification aux yeux de Draco qui se radoucit. Malgré tout, son meilleur ami venait de les entraîner dans une position délicate, voire même sans issue. Comment expliquer la présence d'un être supposé être mort depuis près de trois ans ? Cela n'avait pas le moindre sens et, si Lucius l'apprenait, son fils unique pouvait dire adieu à ses privilèges comme à toute son existence.

— Est-ce qu'ils ont...

— Tapé fort ? Je t'en prie, Draco, tu connais la réponse aussi bien que moi ! Ce sont des brutes, ils sautent sur la moindre occasion de faire ravaler le courage au premier assez idiot pour ouvrir la bouche. Pourquoi m'auraient-ils épargné ? Je suis noir, c'est un motif supplémentaire pour ne pas me prendre en pitié !

— Ils le payeront... gronda l'aristocrate, avec cette hargne sauvage que Blaise lui connaissait si bien.

— Et comment comptes-tu t'y prendre ? le provoqua ce dernier, d'une voix pleine d'amertume. Je suis sous les verrous et tu es coincé.

Il venait de soulever un problème auquel Draco aurait préféré se soustraire. Pourtant, il ne pouvait blâmer son meilleur ami après avoir entendu les raisons qui avaient motivé sa conduite. Il observa le métis avec l'expression de celui qui venait, en l'espace de quelques heures, de perdre bien plus qu'il ne saurait l'imaginer. Dans la pénombre de la cellule, il cherchait en vain une solution, une issue à cette impasse qui se dressait face à lui.

— Je n'en ai pas la moindre idée, finit-il par capituler.

— Je suis navré, Draco. Si je n'étais pas sorti...

— Ne commence pas à raisonner de la sorte. Je trouverais une solution, je t'en fais la promesse !

Une promesse dans de telles circonstances ne pouvait être de bons augures et Blaise était assez intelligent pour en avoir conscience. Son ami cherchait à le ménager et la solution qu'il dépeignait ne pouvait très bien jamais se présenter. Une douleur diffuse brûlait son visage meurtri, comme un rappel pénible, un avant-goût de ce qui l'attendait. Il prit la parole une fois encore, et les mots se ployèrent sous sa volonté :

— Tu ne peux pas rester ici. Ils ne me libéreront pas sans un bon prétexte. J'ai encore mes papiers, mais que vaut l'identité d'un homme mort ? Dis-moi ? Tu sais aussi bien que moi à quelles oreilles tout ceci remontra. Ton père ne laissera pas couler cette fois-ci, Draco. Il me tuera et il te réservera une punition mémorable. Qui sait s'il ne t'enverra pas au front à l'Est ! Ils remonteront jusqu'à Hermione et Harry, d'une manière ou d'une autre. J'ai enclenché ce que tu t'es toujours employé à éviter et, crois-moi, j'en suis le premier désolé.

Draco accusa le choc, adossé contre la porte. Et si quelqu'un surprenait cette conversation. Une cascade se déversait sur son corps inerte et il n'était pas en mesure de lutter contre ce flot de réflexions stériles. Comment sauver ce morceau encore fragile de bonheur ? Comment lutter lorsque l'engrenage menaçait de broyer les corps, les âmes, les vies ? La lueur d'intelligence qui brûlait dans les prunelles de Blaise ne le trompait pas, elle ne l'avait d'ailleurs jamais dupé. Il avait toujours été le plus sage, le moins faible à la tentation des deux.

— Tu peux essayer de te faire passer pour un autre. Un vulgaire hors-la-loi ou que sais-je, proposa le blond, d'une voix étonnamment faible.

— Ils n'hésiteront pas à me liquider, poursuivit le métis, impitoyable.

Il n'avait pas tort. L'Allemagne ne tolérait pas ces individus indésirables à la race aryenne promise et fantasmée par le Führer. Depuis son siège et malgré sa position peu confortable, l'aîné semblait jouir d'une capacité renouvelée à dominer l'échange. Rattrapé par une angoisse sinueuse, Draco ne parvenait guère à lui tenir tête. Ses arguments déjà creux tombaient à plat devant les défenses de Blaise.

— On ne trouvera aucune solution ce soir, lâcha-t-il, comme de quelque chose de secondaire.

— Mes hommes sont probablement rentrés chez eux et, si je leur demande, ils ne t'importuneront pas avant demain, rebondit le blond, d'une voix qui manquait cruellement d'assurance.

— Rentre.

— Non ! Je ne vais pas t'abandonner au milieu de ces vipères !

— Tu l'as toi-même admis, ils ne me feront aucun mal si tu ne leur en donnes pas l'ordre.

— Je n'ai pas autant de pouvoir sur eux que je l'aimerais.

— Je t'en prie ! railla Blaise, à mi-chemin entre l'humour et la gravité que lui inspirait une telle situation. N'ose pas prétendre que l'honorable Draco Malfoy manque d'autorité sur ses subalternes !

— Subalternes qui peinent à comprendre la notion d'obéissance, justement, grogna l'intéressé.

Ils se considérèrent en silence. La vue de son meilleur ami dans un pareil état mettait le plus jeune au supplice. Il portait la responsabilité de sa survie sur ses épaules et si ce n'était pas clairement exprimé, cela n'avait échappé ni à l'un, ni à l'autre. Et Blaise répugnait plus que tout cette dépendance. Dans l'ombre, ses jambes supportaient mal l'immobilité forcée et, déjà, il s'agitait, cherchant à s'extraire de ses liens et à quitter cette cage. Le lion ne supportait pas l'environnement clos que le dresseur lui imposait.

— Je crois qu'Harry a eu aussi affaire aux autorités, articula Draco, comme un aveu bafoué.

— Il est aussi...

— Non, le coupa-t-il encore, incapable de se l'entendre dire. Je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé, mais il a agressé un de nos hommes. Ils ne laisseront pas passer une chose pareille, ils risquent de le rechercher, de dresser un portrait et de lancer une chasse à l'homme.

— Dans une période aussi trouble, ils n'iraient pas jusque là. Ils doivent avoir d'autres priorités.

Une autre raison qui le menait à penser à une exécution rapide et sommaire. La sienne. Le Reich ne perdrait pas son temps avec un nègre, un être qui ne méritait même pas le titre d'homme. Déjà, une idée germait dans l'esprit vif de Blaise. Il ne se laisserait pas abattre comme du bétail. Il en refusait jusqu'à la mention. Il avait survécu à bien pire que cela et c'était sans doute la raison pour laquelle il appréhendait le danger avec une telle sérénité.

— Raison supplémentaire pour rentrer, Draco. Ils vont se faire un sang d'encre si personne ne leur explique ce qui se passe et tu comprends bien que, vu la situation, je peux difficilement m'en charger.

Draco se mura dans le silence. Il pressentait que l'argumentation de son ami était trop impeccable pour ne cacher qu'une bonne volonté. Le métis essayait de le faire ployer, d'effacer toute trace de culpabilité et de suspicion. D'ailleurs, il y parvenait à merveille et ce, depuis leur plus tendre enfance. Le plus âgé se fonda sur ce mutisme pour poursuivre sur sa lancée, étonnamment sûr de lui malgré sa position des plus délicates :

— Va te reposer, tu es aussi épuisé que je le suis. La nuit porte conseil et c'est bien l'unique chance de nous en sortir.

— Je ne peux pas t'abandonner, Blaise.

— Allez, quoi ! Je suis presque plus en sécurité ici qu'ailleurs. Au moins ce ne sont pas les bombardements qui m'auront ! ricana l'intéressé.

L'aristocrate allemand ne put estimer à quel moment il baissa les armes ou quand il cessa de lutter. Après tout, Blaise ne pouvait avoir tort, pas cette fois. Il battit en retraite, trop obnubilé par son désir de mettre le doigt sur l'unique solution pour distinguer le stratagème mis en œuvre par son meilleur ami dans le but de l'éloigner des lieux. Il lui prodigua quelques recommandations, quelques vaines paroles motivées par l'inquiétude. Il lui promit notamment de lui ramener de quoi le soigner et qu'il ne remettrait pas les pieds ici avant de détenir la clé de leur survie. Un mensonge trop énorme pour être avalé, mais quel Blaise répondit par un sourire indulgent.

Enfin, alors qu'il s'apprêtait à refermer la porte derrière lui et à abandonner, à contrecœur et encore incrédule face à la facilité avec laquelle le métis l'avait persuadé, son ami d'enfance et de toujours, ce dernier interrompit son geste d'une parole qui le glaça :

— Dis à Hermione que je l'aime !

Pourquoi cela ressemblait-il autant à des adieux ? 

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