36.1
Strasbourg, 15 juillet 1943.
Une chaleur accablante s'était éprise des rues de Strasbourg. L'état venait tout juste de s'abattre et, déjà, la ville tournait au ralenti, au rythme de ses habitants que la fatigue vidait de toute énergie.
Harry dormait à poing fermé, apaisé par l'air plus frais que la fenêtre à moitié ouverte diffusait. Draco le couvait d'un regard attendri, chose qu'il n'assumerait jamais vraiment. Ainsi, le médecin ressemblait à un enfant égaré. Une créature faible, déroutée et vulnérable. Il aimait l'image que lui renvoyait son amant lorsque le sommeil le gagnait. Morphée révélait de lui une expression qui lui ferait honte si seulement il en réalisait l'ampleur. Pour rien au monde l'aristocrate allemand lui avouerait ce secret. Il l'abandonnait aux étoiles, elles seules sauraient le garder pour elle, emporté par le lever du jour.
Sous le drap fin, le corps d'Harry se pressait sans pudeur contre celui de Draco. Ce dernier aimait le contact de sa peau tout contre la sienne, il adulait la friction de leurs épidermes lorsque l'un d'eux bougeait sans s'en rendre compte. Voilà un mois que le blond s'invitait presque tous les soirs dans la couche du juif et il n'échangerait sa place pour rien au monde.
Au creux de ses bras, Harry était en proie aux rêves. Jamais il ne pourrait redessiner les arcanes de l'inconscience ou même ceux de ses songes, mais il rêvait. Bientôt, la conscience viendrait faucher le monde que Morphée révélait et le jeune homme ne garderait qu'un vague souvenir de ce qu'il avait traversé. Un sentiment étrange, indiscernable, comme de quelque chose de puissant, mais qu'il n'atteindrait jamais vraiment. Quelque chose de lointain, quelque chose qui appartenait à un autre temps. Dès qu'il se tirerait des bras tentateurs du sommeil, l'immédiate et certaine réalité qui l'entourait disparaîtrait aussitôt. Comme une goutte d'encre tombée par mégarde dans l'eau et qui se déploierait jusqu'à s'effacer tout à fait. Il n'en resterait rien d'autre qu'un pâle souvenir, vague sensation vide de sens.
Draco sentit tout nettement le corps de son amant s'agiter. Ce fut d'abord imperceptible. Un mouvement vif, mais quasi indiscernable. Puis, les membres du brun furent secoués de tremblements nerveux, incontrôlables, fous. L'Allemand ne sut pas comment agir. Il comprit bien vite ce qu'il se produisait, le visage d'Harry était tordu par l'angoisse et ne laissait pas de doute sur le coupable de ses maux.
— Hé ! Harry, réveille-toi.
Il posa ses mains plus fermement sur ses bras, l'invitant à se tirer des bras titanesques de Morphée. Cela ne dura qu'une poignée de secondes, mais lorsque le Français s'extirpa enfin des limbes du sommeil, une fine pellicule de sueur recouvrait son front. Il avala un gémissement, encore habité par les monstres qui peuplaient ses nuits. Des visages, des noms, des lieux et, surtout, des morts. La respiration difficile, la transition vers la conscience ne se fit pas sans peine et il ne put se raccrocher qu'au regard pâle de Draco.
— Ce n'était qu'un cauchemar, Harry, tu n'es plus à Schirmeck. C'est fini, je t'en fais la promesse, murmura l'homme, d'une voix qu'il espérait rassurante.
Le plus jeune lui avait raconté l'enfer du camp. L'imagination nazie était sans limite lorsqu'il était question de souffrance, véritable machine à broyer les corps et les esprits. On ne ressortait pas indemne d'un tel lieu et Harry en portait les stigmates. Rares étaient les nuits où les chimères ne le tiraient pas de son sommeil. Draco assistait à ce triste spectacle destiné à renforcer sa culpabilité. Il avait prêté une oreille attentive au récit que lui avait tenu son amant. Alors, lorsque les lèvres de son cadet articulaient le nom de Cédric Diggory, il ne pouvait mimer la surprise. L'héritier Malfoy aurait sans doute été animé d'une jalousie viscérale si l'homme auquel le juif s'était attaché n'avait pas connu une fin aussi tragique.
Draco se ressaisit et la douceur de ses caresses trahit la rancune qu'il nourrissait envers lui-même. Il tentait de se racheter chaque jour, discrètement pour ne pas heurter sa fierté. Il se sentait coupable de cette souffrance intolérable et il n'avait sûrement pas entièrement tort.
— Ce n'était qu'un mauvais rêve, le rassura-t-il, d'une voix qu'il empruntait qu'à de rares exceptions.
— Oui, ce n'est rien... murmura Harry, davantage pour se rassurer lui-même que pour son homologue.
Il n'y croyait pas une seule seconde. Comme pour démentir ses propres paroles, pour lui prouver l'inverse, un bruit sourd déchira ses tympans. Il pensa d'abord, encore hagard de sommeil, qu'il ne s'agissait que du tonnerre. Les températures avoisinaient les quarante degrés depuis quelques jours et de l'orage n'aurait pas été bien étonnant. Bien qu'Harry n'apprécie pas particulièrement le déchaînement des éléments que les éclairs représentaient, il aurait préféré voir juste. Des bruits de moteur lointain se firent entendre et le Français comprit l'ampleur de son erreur. Il articula, cette fois entièrement éveillé et redressé en position assise sous le regard interrogateur de son interlocuteur :
— Oh non, pas ça...
Draco comprit un instant plus tard. Des avions survolaient la ville et il ne s'agissait pas d'engins allemands. La Royal Air Force britannique larguait ses bombes sur Strasbourg au beau milieu de la nuit. Il ne s'agissait pas d'un événement isolé, mais cela avait rarement été d'une telle violence. Comme si l'allié de la France de la Résistance se faisait un devoir d'anéantir tous les territoires envahis par le dictateur allemand sans prêter attention aux malheureux qui croupissaient à terre, révoltés aussi, mais à bien faible mesure. Churchill déversait une haine viscérale contre le totalitarisme. Le vieux lion faisait du zèle, ne dormait pas, se dévouait à la cause chère à son cœur. Comment en vouloir à la figure emblématique d'Angleterre et adorée par ses citoyens ? Ceux qui mourraient sous le feu de ses bombardements ne pouvaient que le honnir. Voilà comment la haine changeait de camp !
— Harry, on devrait peut-être...
Un éclat de panique brute envahit les prunelles d'Harry. Nu comme un vers, vulnérable comme il ne l'avait jamais été dans les bras de son amant, il perdait tout sens du discernement. Draco s'efforçait de ravaler la peur qui le rongeait sans toutefois y parvenir. À travers la fenêtre, il pouvait apercevoir les avions, aussi nombreux qu'une nuée d'oiseaux, établir sur eux un déluge de feu comme un châtiment qu'aucun d'entre eux ne pensait mériter.
— Habille-toi ! rugit Harry, se tirant de sa mortelle léthargie pour bondir sur ses pieds.
Et le blond obéit. Le geste maladroit, il parvint à enfiler de quoi sauver sa pudeur et renvoyer une image un tant soit peut décente. Le Français semblait s'en sortir bien mieux que lui, plus familier à de telles situations. Les yeux rivés sur l'extérieur, sur sa ville d'adoption une nouvelle fois meurtrie. Il réfléchissait, assemblait des idées à une vitesse endiablée et en tirait les conclusions nécessaires. Il avisait rapidement les éléments qui s'offraient à lui, conscient que l'urgence qui le poussait dans ses retranchements pourrait tout aussi bien le mener à la mort. Une mort qui, ce soir-là, se révélait le fruit du hasard et s'abattait sur quiconque avait le malheur de croiser sa route. Il n'était plus question de mériter la vie ou de l'avoir offensée, les règles du jeu ne reposaient sur rien. C'était d'une cruauté sans limites !
— On descend ! Blaise et Hermione doivent déjà être en bas ! Dépêche-toi, il n'y a pas un seul instant à perdre !
Déjà, Harry entraînait son amant dans les couloirs de la demeure. À l'aveugle, puisque la seule lumière provenait de brèves illuminations précédant l'impact des bombes britanniques, ils descendirent les escaliers. Draco trébucha, mais rétablit son équilibre à temps et ne ralentit pas. Son cœur s'emballait déjà dans sa poitrine tandis qu'une sueur froide dévalait le long de sa colonne vertébrale.
Dans le salon, Blaise et Hermione entretenaient une conversation particulièrement animée. Les deux jeunes gens cherchaient une solution, bien plus éveillés que ne l'étaient Draco et Harry. L'Alsacienne réfléchissait à toute allure, mais la terreur que chaque son engendrait ne lui facilitait pas la tâche. Les murs tremblaient comme du papier et elle considérait chaque possibilité avec minutie et sérieux.
— Hermione, qu'est-ce qu'on fait ? s'enquit le médecin, planté au milieu de la cuisine avec la féroce impression qu'il pourrait bien y mourir.
— J-Je n'en sais rien !
— On ne peut pas rester ici, affirma Draco, essayant de garder bonne figure, bien qu'il n'en menait pas large et son meilleur ami pouvait le deviner d'un seul coup d'œil. Il y a des... des abris, non ?
— Oui, il y en a ! Mais ils doivent être surchargés à l'heure qu'il est et se promener sous les bombes n'est pas exactement ce que j'appellerais une balade de santé, rétorqua Blaise, avant d'atteindre la fenêtre, de tirer le rideau pour jeter un coup d'œil au chaos extérieur.
— On ne va pas rester ici sans rien faire. Quoi ? Vous comptez attendre qu'une bombe nous tombe sur le crâne pour réagir ? s'échauffa Harry, auquel l'immobilité ne convenait pas.
Hermione soupira et se mordit les lèvres jusqu'au sang. Elle qui peinait à se tirer des draps depuis des jours ne ressentait plus aucune trace de sommeil. Son cerveau fonctionnait à plein régime dans le mécanisme instinctif de la survie. Elle observait du coin de l'œil le visage rouge de colère du Français ainsi que leur peur à tous. Dehors, le ciel ne leur laissait aucun répit. Combien de temps la violence s'éterniserait-elle ? Elle savait que la Royale Air Force possédait assez de missiles pour tenir un tel train jusqu'à l'aube. D'ici là, il ne resterait que des cendres de Strasbourg et tous les abris en cette terre n'y changerait rien. Elle chassa cette idée désagréable de son esprit et se focalisa sur l'essentiel. Bientôt, moins d'une trentaine de secondes plus tard, elle établit une réponse mordante aux jérémiades de ses camarades d'infortune :
— Blaise a raison, nous ne pouvons pas sortir et pas uniquement pour les raisons qu'il a données. Aux yeux de l'Allemagne, tu es mort, Blaise. Tu ne peux pas te trouver dans Strasbourg, même en pleine nuit. Tu prends déjà assez de risques et... les rues seront pleines de soldats. La Gestapo sera là et si elle met le grappin sur toi, ou même sur Harry...
Un sifflement aigu s'éleva et l'interrompit dans sa sempiternelle logorrhée. Un instant plus tard, une bombe explosa non loin. La terre s'abima dans une secousse effroyable. Ils purent sentir le sol trembler. Draco, dans un accès de peur, ajouta :
— Je ne peux pas être vu à vos côtés. Tu as raison, on doit rester ici.
— La probabilité pour qu'une bombe atteigne la maison est faible, renchérit encore Hermione, sachant que cette tentative de rassurer ses aînés ne rencontreraient pas de succès.
— Je ne préfère pas parier ma survie sur une simple probabilité, rétorqua Harry, sa voix trahissant sa patience mise à épreuve.
Mais bien vite, le silence se fit. Il n'y avait rien d'autre à y ajouter, sinon le désespoir le plus entier. D'un geste unanime, ils se glissèrent sous la table de la cuisine, se pressant l'un contre l'autre. Ils n'ignoraient pas que la robuste table en chêne ne les sauverait pas de la folie vengeresse des hommes. Il n'y avait rien, en cette nuit d'été pour les sauver.
Et pourtant, Harry pria Dieu, comme Draco implora toutes les divinités qui lui passèrent par la tête. Sa main enferma celle du Français et il la serra jusqu'à ce que le sang ne circule plus dans ses doigts. Jamais il ne le lâcherait, il préférait encore mourir ! Blaise rassurait Hermione, lui susurrait des paroles au creux de l'oreille, en vain. Rien ne saurait taire la nature de ce qu'ils traversaient, un enfer aux allures familières.
Ils ne demandaient qu'à vivre.
Ainsi, sous les sifflements incessants des bombardements, sous les secousses des impacts, sous les descriptions dont ils ne voyaient guère plus que l'écho épouvantable, au cœur des hurlements des agonisants, des cris et des pleurs incessants des vivants, ils espéraient revoir le jour.
Un petit passage parce que, si la guerre reste une thématique d'envergure que j'aborde, elle est aussi une toile que je tisse derrière les personnages. Ce chapitre fait figure de rappel, parce que je n'espère pas aborder toutes les thématiques qui ont fait de la deuxième guerre mondiale l'un des épisodes les plus terribles de notre histoire. Le plus meurtrier, sans doute. Cette fanfiction donne un maigre échantillon, car malgré toutes les recherches historiques que j'ai pu mener, toutes les lectures, je ne peux pas espérer tout connaître de la deuxième guerre mondiale. J'espère aussi, à ma maigre échelle, et bien que cette histoire soit fictive en tout point et que les personnages ne m'appartiennent pas, perpétuer le travail de mémoire.
Petit message un peu sérieux, mais il me tient à coeur. J'espère que vous suivrez cette oeuvre jusqu'à son terme !
Belle soirée et bon lundi <3
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