33.2
Strasbourg, 21 mai 1943.
Les beaux jours revenaient et, avec eux, le moral qui avait déserté l'ensemble des Strasbourgeois. Si aucune bonne nouvelle ne leur parvenait, chacun tâchait de survivre malgré le malheur quotidien. Les enfants, désormais inscrits à l'école allemande, continuaient de jouer dans les rues de la ville, de fouler le sol avec une insouciance volée, éphémère. Car même les enfants en temps de guerre vivaient avec la gravité des plus grands.
Blaise flânait dans les rues en ce milieu d'après-midi. Il évitait soigneusement les patrouilles et, malgré les températures clémentes, portait une écharpe pour camoufler autant que possible sa peau métissée. Il ne sortait que très peu, ne courant qu'un risque mesuré afin de ne pas mettre en danger ceux qui avaient sauvé sa vie. Il portait désormais un mépris renouvelé à ceux qui avaient attenté à la sienne, d'une manière ou d'une autre. Tel un fardeau, il portait aux côtés le souvenir du jour où des hommes avaient failli le tuer. Il refusait désormais de soutenir un pareil acharnement, une haine aussi profonde, une violence aussi destructrice. Alors qu'il traversait les places, jetant un œil aux étalages quasi vides des marchants en pénurie de vivres, il s'élançait en direction d'une détermination toute neuve.
Loin du centre-ville, Blaise tomba nez-à-nez avec une maison à l'architecture particulière. Les fondations défiaient les lois de la gravité et l'habitation paraissait aussi excentrique que leurs propriétaires. L'endroit était tel qu'Harry le lui avait décrit, totalement décalé et indescriptible. Quelque peu décontenancé par cette apparence peu commune, le métis hésita avant d'asséner plusieurs coups à la porte. Les secondes s'égrenèrent sans réponse et, après deux minutes de patience, le jeune homme se rendit à l'évidence : il n'y avait personne. Masquant sa déception, il s'apprêtait à s'en aller avec la même discrétion lorsqu'il aperçut, derrière la silhouette bancale de la maison, une agitation tranquille.
Affairée dans son jardin, entre jeunes pousses et mauvaises herbes, Luna sifflotait doucement. Le retour des beaux jours détenait sur elle d'une plaisante humeur, et elle ne remarqua pas la présence de ce visiteur d'infortune. Celui-ci l'observa quelques instants, un léger sourire aux lèvres alors que la jeune femme mettait du cœur à l'ouvrage. Son apparence se trouvait à la hauteur de l'imagination de Blaise. Son corps frêle et vulnérable possédait un charme tout trouvé, celui de sa crinière blonde et emmêlée. Enfin, elle releva la tête et vit l'inconnu, prostré devant la maison, un air intrigué fiché sur son visage brun. Contrairement à bien d'autres, elle n'eut pas le moindre mouvement de recul, ses traits ne portèrent pas la marque d'un quelconque dégoût, et elle ne songea même pas à l'ignorer. Elle vint à la rencontre de ce visiteur avant de le remettre, de sa voix aiguë :
— Tu dois certainement être Blaise, dit-elle, un léger sourire rêveur flottant à ses lèvres.
— Et toi, Luna.
Cette ébauche de conversation amusa grandement Blaise. Il ne côtoyait que peu de monde, personne si l'on excluait Hermione et Harry, et cette jeune femme portait en elle un vent agréable de fraîcheur. Comme un bout d'innocence étonnamment intact par les temps qui courraient.
La jeune femme l'entraîna à l'intérieur sans lui laisser le choix. Elle lui imposa, plutôt qu'elle lui proposa, une tasse de thé brûlante. Une boisson au goût amer que le métis ne sut qualifier, mais qu'il but à petites gorgées, poliment. Finalement, Blaise consentit à aborder le sens de la visite de cet inconnu. Ils ne se connaissaient que par l'intermédiaire d'Hermione et d'Harry, et ni l'un ni l'autre ne s'était rencontrés auparavant. Ce premier contact avait des allures d'incohérence, de drôles futilités et d'importance à peine voilée.
— Si j'ai fait tout ce trajet, c'est que j'aurais une proposition à te faire, énonça le métis, avec moins de tact qu'à l'accoutumée.
— Oh...
— Qu'y-a-t-il ? Tu sembles déçue.
— Je pensais que tu venais pour déguster mon thé. Toutes les plantes viennent de mon jardin, tu sais ? Tu l'as aimé, n'est-ce pas ? Tu en veux une deuxième tasse ?
En réflexe, Blaise écrasa sa main sur le dessus, empêchant son interlocutrice de verser le liquide à l'intérieur. Celle-ci avait déjà la main sur la hanse, prête à mettre ses menaces à exécution. Elle revint sur son geste et essuya simplement la terre coriace incrustée sous ses ongles à l'aide d'un chiffon, passable blessée par ce refus catégorique, et maladroit. Immédiatement, son invité réalisa l'étendue de son erreur et se justifia sans attendre :
— Il est délicieux ! Je ne suis simplement pas un grand amateur de thé, et je n'en bois qu'à de rares occasions. Mais tu as raison d'en être fière, le tien est très bon !
Rassurée, Luna cessa de porter son attention sur ses ongles meurtris, essuyant la paume de ses mains sur son tablier. Elle demanda, comme si tout malentendu avait été balayé par ces piteuses explications :
— Dis-moi la raison de ta venue, alors. J'imagine que c'est Harry qui t'envoie. Il y a bien trois semaines que je ne l'ai pas vu, comment va-t-il ? Hermione m'a dit qu'il n'était pas dans son assiette depuis quelques temps, je me demande si la lune ne serait pas en cause. La position des astres nous rende parfois d'humeur étrange. Harry y est peut-être plus sensible que toi et moi.
Blaise n'eut pas à cœur de couper court à la logorrhée de la jeune femme. Il la laissa achever son discours de son air penseur, l'esprit troublé par mille pensées contraires qui la rendaient presque impossible à cerner. Un morceau d'inexplicable. Harry et Hermione avaient souhaité, d'un commun accord, cacher le séjour de ce premier à Schirmeck. L'Alsacienne avait prétexté un séjour temporaire à Belfort dans un besoin de changer d'air. Luna n'avait pas insisté, croyant en la parole d'une amie chère.
— Il va bien, je ne sais pas si la... lune influence son humeur, mais c'est sans doute passager.
C'était faux, bien sûr, et personne n'était en mesure de prévoir combien de temps Harry se trouverait aussi abattu. Mais Blaise préféra un mensonge plus aisé qu'une pénible vérité. Il exposa, sans s'attarder sur l'état préoccupant du jeune juif, la raison de sa visite. Il se désignait comme volontaire à la diffusion du Chicaneur en France de l'intérieur. Si le journal se contentait de lecteurs alsaciens et mosellans, Luna avait déjà songé à étendre son public au reste de l'Hexagone. Mais, faute de personnes prêtes à prendre de tels risques, la jeune femme et son père, Xenophilus Lovegood, avaient rapidement abandonné ce projet ambitieux.
La blondinette réfléchit avant d'accepter la proposition alléchante de cet inconnu. Elle était loin d'être sotte et se refusait la fantaisie d'une telle décision prise à la légère. Percevant son hésitation, Blaise reprit, de cette voix suave et rassurante :
— J'ai en ma possession des informations que la Résistance rêverait d'obtenir. J'en ai assez de me trouver entre deux camps, rejeté par l'un et ignoré par l'autre. J'ai vu l'horreur dont Hitler est capable, j'en ai été témoin, j'en ai même été victime. Personne n'est plus à même que moi à témoigner de l'organisation parfaite des nazis. Je suis prêt à faire les deux, vous informer et vous aider à diffuser le Chicaneur jusqu'en France libre.
Il n'y avait rien à en dire, Blaise savait se montrer persuasif. Son allemand fluide ne cherchait pas ses mots et si Luna s'exprime dans la langue du Reich, elle ne bénéficiait pas de la même aisance. Ils s'observèrent, toujours attablés dans la cuisine miteuse, mais aux apparences chaleureuses. Le désordre qui y régnait sonnait comme une signature personnelle propre à cette famille bien particulière. Cette fois encore, le métis ne put retenir un sourire à la vue du mobilier, tout aussi indéfinissable que la bâtisse de l'extérieur.
Luna accepta sans tenter de dissuader le jeune homme. L'Alsace et la France tout entière manquait de courageux tel que lui, elle ne pouvait retourner son offre. Alors, ils discutèrent brièvement, puis l'Allemand énonça qu'il était temps pour lui de partir, alors qu'il s'apprêtait à passer le seuil de l'étrange maison, la jeune femme le retint pour lui souffler :
— Ton ami est de retour à Strasbourg.
Blaise demeura pantois, faisant à peine le lien entre ses paroles et leur sens. Un petit sourire candide, presque badin, fendit le visage de Luna qui recula d'un pas, abandonnant presque son vis-à-vis à ce mystère. Pourtant, il ne pouvait s'agir que de Draco, aucun doute n'était permis, mais l'incompréhension rendait légitime toutes les interrogations.
— Comment pourrais-tu le savoir ?
Elle haussa les épaules, cet air énigmatique et impénétrable inscrit sur ses joues maculées de terre humide.
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Blaise avait regagné ce qui était désormais son « chez lui ». Ce lieu qui n'appartenait à personne, que Draco leur avait offert, l'air de rien, comme d'un objet encombrant et sans valeur. Lui qui ne sortait qu'à de rares exceptions, ne perçut pas son retour comme un nouvel emprisonnement, mais comme le seul fait de regagner un lieu qui, sans qu'il ne s'en doute, avait gagné son affection.
Il eut à peine le temps d'accrocher son manteau derrière la porte close qu'une tempête de cheveux hirsutes et d'angoisse le faucha. Hermione, visiblement dans tous ses états, les mains plantées sur ses hanches, fixait l'homme qu'elle avait sauvé avec un air intransigeant. Elle attendait des explications de pieds fermes, à mi-chemin entre le soulagement, la peur et la colère. Finalement, voyant qu'aucune justification ne comblait son appétit, elle s'enquit :
— Où étais-tu ?
— Dehors.
— Oh, figure-toi que je l'avais remarqué sans ton aide ! s'exclama-t-elle, d'une humeur peu propice aux jeux inconscients et de mauvais goût.
— Je suis passé chez Luna, avoua Blaise, sans même songer à lui mentir.
Toute la farouche assurance du médecin se dissocia, réduite à néant. Un éclat d'incompréhension et de doute naquit dans ses prunelles noisette. Un regard suffit à son homologue pour savoir qu'elle avait passé son après-midi auprès de ses patients. Son tablier était intact et elle portait des habits destinés à ne pas attirer l'attention sur elle.
— Pourquoi ?
— J'avais une proposition à lui faire, commença Blaise, avant de se lancer dans le récit de son projet, exposant point par point le motif et ce qui en résultait.
Hermione demeura sans voix, incapable de formuler une réaction construite à cette révélation. Alors, comme pour dompter la colère et la terreur qui signaient leur grand retour, elle tourna les talons et gravit les escaliers quatre à quatre en direction des chambres, Blaise sur ses talons. Un courroux incontrôlable pulsait dans les veines de la jeune femme et même l'influence positive de son cher ami n'endiguait pas le mal. Celui-ci aurait aimé partager avec elle la nouvelle du retour de Draco à Strasbourg, s'enivrer de ses conseils rassurants, mais l'humeur de l'Alsacienne ne s'y prêtait pas.
À défaut de mieux, totalement désemparé par la tournure que prenaient les événements, Blaise déposa ses deux mains à plat sur les épaules tremblantes d'Hermione. Celle-ci, dans l'intimité de sa chambre, aurait aimé laisser libre cours à cette fureur injustifiée et sertie de peur.
— Je ne comprends pas, Mione, lui dit Blaise, sans lui laisser la chance de fuir.
— Je ne te demande pas de comprendre. Sors, je t'en prie. Laisse-moi seule, je m'agace à me montrer si puérile.
Finalement, elle consentit à se retourner, honteuse d'une telle démonstration de faiblesse à laquelle elle n'avait jamais habitué personne. Elle affronta le regard doux, mais interrogateur de celui qu'elle avait sauvé, déglutit, puis articula péniblement :
— Je n'arrive pas à supporter l'idée que tu puisses mettre en danger la vie que j'ai sauvée. J'ai peur pour Harry, je devrais encore craindre pour toi des heures entières. C'est cruel !
Alors, Blaise comprit ce qu'Hermione lui reprochait, ce qui la rongeait depuis le début de la guerre et qu'elle avait toujours tâché de taire. Elle sécha une larme au coin de son œil, mais une autre la suivit, et l'homme la chassa à son tour, avec bien plus de tendresse. Il promit, avec sincérité :
— Je te promets d'être prudent.
— J'ai l'impression de revivre le départ de Ron. C'est plus douloureux encore que la fois précédente.
Le métis ne dit rien. En sa présence, comme par pudeur à l'égard de ses sentiments, Hermione prenait soin de ne pas nommer le nom de l'homme qu'elle avait cru aimé. Mais, peu à peu, son souvenir s'était fait moins net, et elle s'interrogeait désormais : qui était ce garçon qui, dans ses lettres, s'adressait à elle comme d'un objet qui lui appartiendrait toujours ? Le rouquin s'occultait, par son comportement et par son absence, de l'affection de l'Alsacienne. Désormais, Blaise n'avait plus à rougir de la relation qui avait jadis lié les deux jeunes gens.
— Je ne peux pas t'en empêcher, je sais que la décision que tu as prise était la meilleure et j'en suis fière, quelque part. C'est égoïste de ma part, ma contribution est bien maigre comparée à la vôtre, et j'en ai honte !
— Une femme aussi forte que toi ne devrais pas avoir à rougir, la contredit Blaise.
Et, sans savoir qui des deux avaient immiscé le premier mouvement, leurs lèvres s'épousèrent dans un baiser tourmenté, mais délectable.
Tiens, tiens ! On dirait qu'un nouveau couple vient de voir le jour ! Qu'en pensez-vous ? Je ne voulais pas qu'il sorte de nulle part, mais je ne souhaitais pas non plus qu'il soit évident. J'attends donc vos avis.
Côté écriture, je conserve ma grosse avance. Il reste une dizaine de chapitres à écrire (une douzaine en comptant l'épilogue auquel j'ai réfléchi). J'avais fini par croire que cette fanfiction serait sans fin x3
Je vous embrasse et bonne rentrée à ceux qui reprennent tout juste les cours ~
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