31.2

Strasbourg, 2 février 1942.

La guerre faisait rage. Encore.

Depuis désormais trois ans, les morts faisaient presque partis du paysage, d'un quotidien macabre auquel personne n'oserait s'habituer.

Le 7 décembre 1941, les Etats-Unis entraient en guerre après l'attaque des Japonais contre l'île de Pearl Harbor dans la Pacifique. Le conflit était alors devenu mondial sous les yeux de la planète qui vivait ses plus sombres instants.

Dès lors, les combats n'avaient cessé. Les Américains mouraient par milliers bien loin de chez eux et même leur puissance de feu colossale ne put mettre en déroute les soldats asiatiques fanatisés autour de leur empereur, Hirohito, véritable dieu vivant. La deuxième puissance navale s'attaquait à un adversaire de taille et ses kamikazes qui avaient déjà conquis la moitié du Pacifique en seulement cinq mois mirent bien longtemps en déroute la flotte américaine. Cette même flotte qui avait appris à ses dépends l'art de mourir à la japonaise.

Quelques jours plus tôt, la Solution finale avait été décidée à Wansee. Les dirigeants nazis venaient de boucler de destin de milliers de juifs, les condamnant à une mort systématique dans des temples créés au nom de ce génocide. Les camps d'extermination situés pour la plupart en Pologne se préparaient à accueillir ces déportés venus de toute l'Europe. En France, des rafles terribles se préparaient dans l'ombre sous le régime de collaboration de Pétain. La terreur s'apprêtait à devenir loi, encore davantage qu'en ce début d'année 1942.

L'Allemagne avait renoncé à préserver l'URSS et avait fini par attaquer le vaste territoire dirigé par Staline. Les soviétiques, incapables d'endiguer cette marée humaine et la puissance armée du Reich, se repliaient vers l'intérieur des terres sous ordre du premier secrétaire lui-même. Cette année s'illustrait comme une victoire sans bavure pour Hitler et l'Axe. Et comme une humiliation au goût de sang pour le reste du monde, écrasé sous la domination allemande, japonaise, et italienne.

Harry avait vécu ces événements comme n'importe quel citoyen, avec tout l'horreur imaginable. Depuis Belfort, les conséquences n'étaient pas directes ni même immédiates. Aucun bombardement n'avait détruit la ville, mais le climat se tendait, jour après jour. Dans les rues, des clameurs s'élevaient, celles de la Résistance. Celle de Severus, maître dans l'ombre, maître incontesté, celle de tous ceux qui sauraient tolérer la violence qui inondait les âmes.

Les actes de contestation se multipliaient chaque jour, et Harry tirait une certaine fierté de ce constat. Il faisait partie intégrante de ces courageux garçons, prêts à mourir sous les coups ennemis pour retrouver leur liberté perdu. Dans ce combat, le médecin abandonnait tout. Il soignait les blessés sans hésiter un instant à mettre sa vie en danger. Hermione l'aurait sans doute enfermé à double tours dans une pièce si elle savait ne serait-ce qu'un quart des risques pris. Derrière cet engagement sans failles se cachait un besoin viscéral de se forger un but, une raison d'exister. Ce combat, c'était sa manière de se reconstruire et d'oublier le souvenir de Draco. Le doux visage d'un être perdu à jamais.

Harry avait passé ces un an et demi aux côtés de Ron. Le rouquin lui avait appris les rouages du métier et l'avait amené à emprunter des chemins d'une extrême dangerosité. Peut-être l'avait-il mené à des décisions discutables, mais qu'importe ! Severus veillait sur ces deux jeunes, intervenant que rarement et avec la froideur d'un mentor. Jamais il ne se montra affectueux envers le fils de son amour d'autrefois. L'enfant de Lily ignorera toujours la sympathie que le directeur lui témoignait en secret. Il se contentait alors de ne pas laisser ces imprudents se jeter dans l'abîme.

À ce décor des plus contrastés s'ajoutait une figure féminine nouvelle. Une jeune femme à peine adulte et qui s'était imposée au détour d'une visite. Une rencontre qui s'était éternisée de long mois.

Ginny Weasley s'était installée dans la demeure de Severus pour quelques jours. C'était du moins ce qui était initialement prévu, puisqu'elle décida de rester dans l'entourage de son frère. Sous ordre de sa pauvre mère, disait-elle, qui se rongeait les sangs au sujet de ses fils. Fred et George jouaient les passeurs dans les Alpes, sauvant des juifs des mains des autorités pour les emmener en Suisse, leur pays natal. Ginny s'occupait donc, officiellement, de garder un œil sur Ron.

Officieusement, la benjamine des Weasley était tombée sous le charme de l'ami de son frère. Harry Potter ne l'avait laissé indifférente et elle n'avait pas tardé à le lui faire entendre. Des attentions d'abord, des regards langoureux au réveil, autour d'un café noir, et puis des gestes plus forts. Des déclarations volées, articulées à demi-mots. La jeune femme s'avouait avec l'assurance et le courage de sa jeunesse, mais avec un brin de timidité.

Leur relation avait évolué plus vite qu'imaginé, et Harry s'était laissé entraîner par la fille à la crinière de feu et au caractère bien affirmé. Les baisers timides avaient bientôt laissé leur place à des caresses passionnées et des étreintes que les âmes bien pensantes ne sauraient concevoir, mais qui restaient néanmoins bien plus acceptables que les actes jugés répugnants qui avaient unis Harry et Draco un an et demi plus tôt. Ginny avait fait promettre à son amant de ne rien laisser paraître aux yeux de son frère, craignant l'engouement que leur relation pouvait créer et l'engagement qui risquait d'en découler. Une décision qui convenait parfaitement au jeune médecin. Personne ne pourrait concevoir la réaction du rouquin et se mesurer à sa colère ne figurait pas dans ses activités favorites.

Cette situation s'était éternisée plus de six mois. Le temps pour Harry de réaliser que cette relation n'était pas exactement celle qu'il espérait. Il avait sans doute prié pour que la rousse efface la place que Draco avait investie, quitte à dérober tout souvenir de son existence. Un exploit que leurs ébats répétés ne parvint pas à réaliser. Et, au grand malheur de Ginny, l'élu de son cœur avait fini par se détourner d'elle. Discrètement d'abord, avec une pudeur respectueuse, mais son instinct de femme avait très vite détecté ce malaise. Elle avait compris que ce couple encore secret battait déjà de l'aile.

Ses efforts pour conquérir l'affection d'Harry se solda par un échec cuisant. L'homme rentrait tard, parfois pas du tout, et ne lui prêtait qu'une attention polie jusqu'à instaurer une distance entre eux. Il devint impersonnel, détaché, et pas uniquement en présence de Ron. Ron qui s'était plu à se considérer comme le mentor de son vieil ami avait fini par acquérir un comportement proche de l'insupportable. Il était jaloux de l'attention que l'on portait au médecin, à la manière dont il s'était rendu indispensable au sein des réseaux de Résistance de la ville. Il n'appréciait pas être sans cesse reléguer au second plan et faisait sentir se mécontentement à tout va. Même Severus lui en avait fait la remarque, agacé par cette attitude enfantine et usante.

Harry quitta Belfort pour toutes ces raisons. Pour toutes ces raisons, et pour bien plus encore. Cette ville ne lui inspirait plus rien, il avait le sentiment de pouvoir être utile ailleurs. Cette atmosphère étouffante entre le frère et la sœur le dégoûtait, et il avait commencé à planifier son départ peu avant la fin de l'année 1941. Un vague projet qui s'était concrétisé avec le curieux soutien de Severus. Harry avait pris cette aide pour une volonté du directeur de se débarrasser d'un gêneur, alors que le parrain de son ancien amant ne désirait que le sortir de cette souricière. Il avait vu le fils de Lily perdre de sa superbe, et l'envoyer loin de ce qui le torturait apparaissait comme une solution libératrice.

Harry avait pris la décision de rentrer à Strasbourg. Il avait fait part à Blaise de ce souhait, souhaitant en faire la surprise à la jeune Alsacienne. Ils avaient organisé, avec le soutien de Severus, ce voyage risqué. Les Allemands faisaient preuve d'une paranoïa redoublée après la montée des actes de contestation en Alsace et dans toute la zone occupée. Le directeur de l'école avait joué de ses relations et Harry avait quitté Ron et Ginny au début de ce mois de février. Les deux avaient manifesté un étonnement certain, une colère sous-jacente et une grande déception, mais rien n'avait entravé la détermination du jeune Français.

Il redécouvrait Strasbourg avec une joie non dissimulée et Blaise l'accueillit à bras-ouverts. Ils échangèrent quelques paroles et Harry était heureux de retrouver le sourire spontané du métis. Il l'accompagna jusqu'à la demeure qu'ils occupaient toujours, désormais à plein temps depuis le décès du père d'Hermione, durant l'hiver de l'année précédente. Il cueillit Hermione en bas de l'escalier et une surprise dévorante investit ses traits toujours empreints de gravité. Elle s'écria, laissant tomber le livre qu'elle tenait en main :

— Harry ? Comment...

— Bonjour, Hermione, la salua l'intéressé, avant de se laisser submerger par une longue étreinte.

Il retrouvait enfin sa meilleure amie après près deux ans de séparation et cela suffit à lui redonner le sourire.

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Munich, 15 décembre 1942.

Noël serait bientôt là et, déjà, les enfants de la ville rêvaient aux présents qui ne tarderaient pas à garnir le pied du sapin. Une atmosphère traditionnellement joyeuse qui, pourtant, cachait de bien sombres humeurs.

Malgré les propos rassurants du parti nazi et de son dirigeant, Hitler, les troupes à l'Est étaient décimées par des températures glaciales. Après deux ans de combats, et une bataille qui durait depuis des mois à Stalingrad, les généraux trouvaient le courage de colporter leurs doutes. Le dictateur allemand ne leur accordait pas la moindre attention. Il croyait en sa bonne étoile.

Derrière ces discours et la propagande qui n'avait cessé d'envahir les rues depuis l'arrivée au pouvoir d'Hitler, se cachait une bien dure réalité. La Blitzkrieg avait perdu tout son sens. Les pertes sans précédents auxquelles était confronté le Reich ébranlaient sa prétendue toute-puissance. La plupart des Allemands ignorait ce que camouflaient les images diffusées en boucle. Jamais Hitler n'avait imaginé une telle résistance russe et la bataille de Stalingrad lui démontra à quel point il avait sous-estimé la menace soviétique. Même avant l'issue de ce bourbier où s'étaient empêtrés les Allemands, imaginer qu'il s'agissait d'une victoire allemande tenait de l'illusion.

Les 16 et 17 juillet 1942 s'était produit un événement qui marquerait des générations. Ce que l'on n'osait pas encore nommer la Rafle du Vel d'Hiv avait emporté plus de treize mille juifs à Auschwitz. La Solution finale avait été décidée début janvier et, depuis, Allemands et Français collaboraient pour emplir ces camps de la mort. On y mourait par milliers sans que beaucoup ne se doutent du sort qui leur avait été réservé. Un secret bien gardé dont disposait cependant le SS. Une information classée secret défense et qui en ferait frémir plus d'un. La folie hitlérienne prenait une toute autre ampleur et lançait l'un des trois plus grands génocides de ce siècle. La machine était désormais en route, et rien ne saurait l'arrêter.

Draco avait joué le rôle de spectateur face à la dureté de ses événements. Hitler avait décidé, un mois plus tôt, d'envahir la « zone libre » française. Une invasion menée avec succès et qui se poursuivait encore. Partout dans le pays, des soldats allemands imposaient la terreur dans les villages et dans les familles. Le jeune aristocrate avait à peine tressailli. Sitôt avait-il regagné Munich, sitôt avait-il retrouvé sa place au sein de la famille Malfoy. Comme si, en l'espace de quelques heures, il avait tiré une croix définitive sur Harry.

Le blond s'était fait violence pour en donner l'illusion. Après tout, son père ignorait tout de cette mésaventure et elle devait absolument demeurer secrète. La culpabilité avait noué sa gorge des jours durant et seule l'aide précieuse de Narcissa suffit à innocenter le garçon aux yeux de son géniteur, prétextant que son manque d'entrain et sa passivité étaient le fruit d'une harassante fatigue. Une excuse rêvée pour le jeune homme qui avait passé plusieurs jours enfermés dans sa chambre. Jusqu'à ce que sa mère ne l'en tire, avec plus de persuasion que quiconque. Il fallait que sa progéniture remplisse son rôle à tout prix.

Et Draco avait obéi à ce concept avec brio. Il s'était plié aux requêtes de son paternel sans rechigner. Il avait, semaines après semaines, acquis de l'importance. D'importants personnages s'intéressaient à son cas et à son brillant parcours. Le fils secondait le père avec le même sens des priorités et avec une indulgence quasi nulle. De quoi satisfaire les hauts dignitaires nazis et les hommes qui pullulaient autour du Führer. Pas une seule fois le blond n'avait déçu les attentes du Lucius, si bien que les soupçons de l'automne 1941 avait bien vite disparu.

Un autre élément s'était ajouté à ce décor. Pansy. Dès le retour de son fiancé, elle ne lui avait pas octroyé un seul instant de répit. Ses projets de mariage imposés à son futur époux, et elle mettait toutes les chances de son côté pour voir ce désir se réaliser. Draco repoussa la date autant qu'il le put, mais il ne put que retarder l'inévitable. Leur union fut célébrée le 25 avril 1942, dans un souffle printanier synonyme de renouveau. Un emprisonnement à vie, une condamnation à mort, selon l'humble avis du jeune marié. Il ne partageait en aucun cas l'allégresse de Madame Malfoy.

Lorsqu'il avait été forcé de l'honorer, durant la nuit de noces, il avait ravalé son dégoût et les dernières traces de sa culpabilité devant le corps nu de sa femme. Lorsqu'il prit possession d'elle, il imagina des courbes bien moins généreuses, des formes moins féminines, des hanches plus étroites et des râles plus graves. Il songeait au corps d'Harry et cela suffit à simuler un désir factice et une jouissance amère. Cela combla l'appétit de Pansy, du moins jusqu'à ce qu'elle ne se présente sur le lit, à nouveau entièrement nue, la position subjective. Cela se reproduisit de nombreuses fois. L'épouse quémandant le réconfort de son mari, et surtout, sa pleine attention. La pauvre ignorait que si l'être de Draco répondait bien à ses exigences, lui faisant l'amour avec une rage dépourvue d'égards, son cœur ne lui avait jamais appartenu.

— Tu es ailleurs, fit remarquer la jeune bourgeoise, un pli d'inquiétude teintée d'agacement traversant son front délicat.

— Mmh, lui répondit Draco, sans articuler la moindre réponse.

Les deux jeunes mariés profitaient d'un week-end à la campagne, dans une résidence au Sud de Munich. Un moment privilégié, rien qu'à eux, qui aurait dû les remplir de joie. Mais, sitôt arrivée, Pansy n'avait eu de cesse de pester contre l'odeur désagréable rejetée par les fermes alentours et contre les températures hivernales, lui semblant plus rudes que celles pressenties en ville.

— Que dirais-tu d'une promenade après le repas ?

— Je croyais que l'odeur de fumier t'incommodait.

— Il n'empêche que je vais finir folle si je ne sors pas d'ici.

La neige était tombée en abondance pendant la nuit et Draco songea que son épouse ne réalisait pas que, ici, les rues n'étaient pas déblayées et qu'elle risquait fort de chuter du haut de ses talons. Une scène comique qui ne le tira que momentanément de sa triste humeur.

— Alors, qu'en dis-tu ? insista encore Pansy, tirant une mine qu'elle espérait attendrissant derrière ses cils fins.

— J'en dis que nous devrions rentrer à Munich avant de ne plus pouvoir circuler sur la route.

— Qu'est-ce que tu peux être pessimiste et rabat-joie quand tu veux !

Un comble lorsqu'on savait les heures passées à se plaindre de chaque élément entravant le confort auquel elle était habituée. Elle se lamentait sur l'idée que ses amies aient épluché les magasins en son absence. Elle répétait, depuis la veille, que dans une période aussi festive que Noël, il n'était pas bon de s'enfermer de la sorte. Mais il semblerait qu'il ne s'agissait que d'une passade, puisqu'elle insistait désormais pour ne pas partir avant le soir, voire le lendemain matin. Elle souhaitait profiter de son mari autant que possible, consciente qu'il lui échapperait dès leur arrivée à Munich, à nouveau trop occupé pour prêter attention à sa charmante épouse.

— Rien qu'une promenade, et ensuite nous partirons ! glissa Pansy, sa main enfuie dans celle de Draco.

Celui-ci porta un regard circulaire à la pièce où il se trouvait. Un charme rustique, plus rudimentaire que le luxe qui était leur, mais qui correspondait point par point à l'esprit de Noël. Lui, cette atmosphère joyeuse le révulsait et l'emmenait droit vers de pénibles réflexions. Combien ne fêterait pas Noël en cette année 1942 ? Combien exactement ?

— Très bien, soupira-t-il. 

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Munich, 8 janvier 1943.

Le commencement d'une nouvelle année. Si les grands dirigeants qui pullulaient autour d'Hitler cinglaient d'étourdissantes promesses au sujet de l'an 1943, des doutes fleurissaient. La bataille de Stalingrad n'en finissait pas tandis que les premiers doutes s'annonçaient dans le camp de l'Axe.

Lucius, bien que certain de la bonne disposition de l'Allemagne, se montrait particulièrement sensible à ces signes. Les restrictions s'installaient, même au cœur du Reich. Il ne fallait surtout pas faiblir, et donc continuer d'envoyer des soldats en renfort à l'Est, au cœur des températures glaciales de l'URSS. On y envoyait des quantités faramineuses de nourritures et d'armes, et les entreprises tournaient en continue pour subvenir à ces besoins. Hitler ignorait encore qu'il en serait ainsi jusqu'à la fin, et que cet effort de guerre mènerait bientôt sa patrie à l'épuisement. Jusqu'à sa perte.

Les nouvelles arrivaient vite. Ou il n'en arrivait pas. Cette guerre totale ne laissait de répit à personne et il était aisé d'en perdre le cours. N'était-ce pas ce à quoi finissait par se résoudre les plus vulnérables ? Ces enfants d'Europe plongés au cœur du chaos et qui en conserveraient un souvenir douloureux, pénible, ineffaçables ? Ces jeunes juifs qui, sans en connaître la raison, étaient parqués dans des trains vers une destination inconnue ? Une destination de laquelle il ne reviendrait pas. Quelle cruelle destinée ! On n'endiguait plus la perversité de l'esprit humain une fois qu'il s'était trouvé l'occupation d'anéantir ses semblables. Après tout, le génie de l'espèce pouvait bien se manifester dans son habilité à se détruire.

Le fier aristocrate Malfoy avait convoqué son fils unique dans son bureau à une heure matinale. Le soleil d'hiver n'était pas encore levé et une nuit noire tapissait les bâtisses de Munich. Draco avait quitté le lit où reposait Pansy, son épouse, qu'il n'avait rejoint que très tard, échappant ainsi à ses avances et à ses insupportables minauderies. Il traversait désormais les couloirs sans fin du Manoir, aussi discret qu'un fantôme dans sa robe de chambre. Il n'avait pas pris la peine d'enfiler des vêtements convenables et se présentait à son géniteur au saut du lit, sans le moindre complexe.

Il toqua à la porte après avoir pris une profonde inspiration. Une telle invitation annoncée à l'aube ne pouvait que présager une sombre nouvelle et, derrière l'impassibilité aristocratique, il ne pouvait s'empêcher de craindre le pire. Dobby l'avait tiré du confort des draps de sa voix fluette et apeurée. Avant que son jeune maître n'ait mis un pied dehors, la silhouette courbée par l'âge et les tâches ingrates avait disparu, craignant d'écoper de quelques remontrances. L'humeur de Draco n'était pas aux punitions arbitraires, mais plutôt à un mutisme largement critiqué. Plus les mois s'écoulaient, plus il semblait dépérir.

— Entrez.

Le jeune aristocrate obéit et pénétra dans l'antre, le visage incliné vers le sol. Une fois avoir soigneusement refermé la porte derrière lui, il osa porter un regard à son géniteur. Celui-ci lui rendit son œillade sans se départir de sa froide assurance et de cet air propre aux Malfoy. Un air de conquérant destiné à conquérir ce qu'il restait à l'être.

— Fils.

— Vous souhaitiez me voir, père.

— Oui, répondit Lucius, après un court instant. Il y a un sujet important dont je dois te parler.

Draco manqua de le couper et de lui demander si ce sujet ne pouvait pas attendre une heure moins matinale. Mais une telle insolence aurait été punie et le jeune homme ne tenait pas à mettre son père dans de mauvaises dispositions en ce début de journée. Derrière son imposant bureau en chêne massif, le sérieux de l'Allemand ne pouvait être remis en question. Son fils s'assit sur une des chaises, le dos droit et le regard fier. Il prêta une oreille attentive à la requête que son géniteur avait à lui transmettre.

Il s'éternisa d'abord sur la situation de la ville de Strasbourg. Une perte de temps considérable pour cet homme qui n'avait pas pour habituer de s'embarrasser de convenances. Strasbourg faisait l'objet des actes de Résistance de plus en plus nombreux malgré les sanctions. Dès que les soldats s'étaient mis à manquer, soit au début de l'année 1942, le Reich avait fait appel aux Alsaciens. Ce que nous appellerons plus tard les « Malgré-nous » commencèrent à être incorporés de force dans l'armée allemande. Menacés de combattre sous peine de représailles envers les familles de récalcitrants, ils furent envoyés sur le Front de l'Est pour y mourir. Cette décision fut accueillie par une vague de protestation, puis de mutineries. Des événements majeurs pour les territoires annexés que Lucius conta sans préciser de tels détails. Les Alsaciens se montraient ingrats et leurs actes devaient être placés sous étroite surveillance.

— J'ose espérer que tu comprends désormais la raison de ta convocation.

— Je ne suis pas certain d'en saisir le sens, releva prudemment Draco, aveuglé par le déni.

Lucius eut une moue contrariée. Il maudit cet enfant qui, à peine l'avait-il rendu fier, s'empressait de lui faire honte. Il rectifia, de cette éternelle voix traînante :

— Je veux que tu te rendes en Alsace, à Strasbourg, et que tu surveilles tout. Je te demande des comptes rendus détaillés, des rapports réguliers. Tu auras, à ton service, des hommes et des femmes qui te seront fidèles et qui te tiendront informés de ce qui se dit, des sujets au cœur des conversations, et de l'humeur des Strasbourgeois. Ton rôle sera de veiller à ce que les ordres du Führer et de Wagner soient respectés et appliqués.

Robert Wagner, certains le considéraient comme plus nazi qu'Hitler lui-même. Un fou furieux aux yeux des Alsaciens, un homme cruel qui avait contribué à une grande partie de la germanisation de la région. Un antisémite convaincu, il rassemblait des qualités que le dictateur allemand recherchait.

— Ton rôle ne s'y limitera pas. Tu seras libre de circuler entre les postes de la gendarmerie et de corriger les méthodes afin de rendre les résultats finaux meilleurs. C'est un honneur que m'a fait le Führer de te confier une telle tâche, un emploi d'une telle importance.

— Je ne décevrai pas l'Allemagne, promit Draco, avec plus d'entrain qu'il n'en ressentait.

Lucius coula un regard exigeant sur son fils. Il lui octroyait une nouvelle chance, et détruire ce dernier soubresaut de confiance tenait de l'inconcevable. Le blond le savait mieux que personne et ne comptait pas défier l'autorité paternelle. En ce temps de guerre, aucune erreur n'était permise, pas même pour la noble famille Malfoy !

— Inutile de préciser que l'échec ne sera toléré. Notre avenir et celui du Reich en dépendent !


Et voici un récapitulatif, que j'espère pas trop long, de la situation dans laquelle se trouve Draco à l'heure actuelle. On ne peut pas dire que le mariage lui réussit, le pauvre ! Et l'ombre de son père toujours derrière lui, quoi qu'il fasse, ça n'a rien de réjouissant non plus ! 

Je vous dis à lundi prochain !

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