30.1

Belfort, 12 octobre 1940.

Draco avait raccroché peu après, l'âme en peine et l'esprit sans dessus-dessous. En quelques mots, sa mère était parvenue, bien malgré elle, à détruire tout ce qu'il avait cru acquis. Le semblant d'harmonie de son existence venait de subir une destruction totale et affreusement douloureuse.

Le blond aurait pu en pleurer comme un enfant tant la nouvelle lui fut pénible et déraisonnable. Il avait tenté de négocier l'irréparable, de délier les arguments et les paroles de Narcissa. Sa génitrice se révélait tout aussi peinée par le désarroi de son fils, navrée de ne pouvoir rien y changer. Une impuissance terrible, aussi bien pour elle que pour lui. Il n'y avait pourtant qu'à obéir et à se taire.

Heureusement, Severus avait pris la situation en main et avait illustré, comme pour faire taire les doutes à ce sujet, sa capacité hors norme à gérer une situation d'urgence. Il s'était informé rapidement sur les moyens les plus rapides de quitter la région pour se rendre à Munich. Un pari complexe qu'il avait relevé haut la main et sans que Draco n'ait le loisir de s'occuper de quoi que ce soit. Son parrain le somma même de ne pas se mêler de cette affaire. De son côté, il lui fallait préparer ce départ précipité aussi vite que possible afin de ne pas encourager son filleul à commettre l'irréparable.

Quelques heures venaient de s'écouler et, pourtant, le destin du jeune aristocrate venait de prendre une toute autre allure. Rien que d'y songer, il en frémissait. Il préférait taire la peur qui le rongeait et ne pas trop réfléchir aux conséquences désastreuses de ses actes. En obéissant aussi aveuglément aux ordres de son père, il venait de tirer une croix définitive sur sa relation avec Harry. Cela lui donnait la nausée.

Il n'avait pas eu le courage d'affronter son amant, de lui tenir ces quelques paroles. La gorge nouée, il avait entrevu la possibilité de se livrer au médecin, de lui avouer ses tracas et le supplier d'accepter ses excuses. Il n'avait pas d'autre choix que de se plier aux volontés de son père, et peut-être qu'Harry aurait pu le comprendre. Si seulement le blond lui en avait donné la chance ! Quelle exécrable lâcheté !

— Tout est-il prêt ? s'enquit Draco, alors que son parrain, vers la fin d'après-midi, l'avait convié dans son bureau.

— Oui, une voiture t'attend dehors. Elle te mènera à la gare où tu prendras un train pour Munich. Personne ne devrait te poser de problème et, si d'aventure on vient à te refuser le passage, voici le lettre qui devrait te garantir un trajet sans encombres jusqu'à chez tes parents.

La mine grave, Severus tendit une enveloppe fermée par un cachet à son cadet. Draco la rangea dans la poche de sa veste avant de remercier son bienfaiteur :

— Merci, parrain.

— Ne me remercie pas, j'agis à contre cœur et toi aussi.

— Tu m'épargnes des ennuis.

—Je t'évite de trop souffrir, n'est-ce pas là mon rôle ?

— C'aurait dû être le rôle de mon père avant tout, rétorqua le blond.

Le directeur de l'établissement laissait entrevoir un visage d'une rare humanité. Comme il comprenait le mal qui submergeait celui qu'il considérait presque comme son fils. Il aurait pu nourrir la même affection pour Harry si seulement il l'avait connu plus tôt.

— Tu n'as pas à me cacher ta peine, Draco, grinça Severus, d'une voix étonnamment douce. Je sais qu'Harry n'est pas un simple ami.

À ces mots, le garçon se tendit. Il était assis sur le siège devant le bureau et ressemblait à s'en méprendre à un enfant pris en faute, la main dans le bocal à bonbons. Il pinça les lèvres quelques secondes avant qu'un sanglot ne déchire sa gorge. Il gémit, pathétique. Sous le regard de son parrain, des larmes envahirent ses yeux avant d'inonder ses joues. Geste encore plus fou, le plus âgé se leva, traversa l'espace, puis enroula ses bras autour des épaules de son filleul. Une étreinte à laquelle ni l'un ni l'autre n'était habitué et qui décupla la tristesse de Draco.

Durant de longues minutes, il déchargea toutes les larmes qu'il n'avait su couler plus tôt. Il murmura, avant de s'écarter définitivement de son interlocuteur :

— Est-ce que je peux te demander de... garder un œil sur lui ?

— Potter ne me laissera pas faire, articula Severus, avec réticence.

— S'il te plaît, tu sais bien qu'il pourrait se faire tuer.

Réticent, l'homme ne pouvait décemment pas refuser cette faveur au plus jeune. À ce garçon qui n'avait rien demandé de cette guerre et qui en souffrait d'une manière bien singulière que l'Histoire oublierait sans attendre.

— Si tu ne le fais pas pour moi, ne pourrais-tu pas le faire pour le souvenir de Lily ?

— Je t'interdis de te servir d'elle ! siffla le directeur, ses yeux d'obsidienne miroitant dangereusement.

Draco n'insista pas davantage. Il comprit qu'il venait de s'aventurer sur une pente abrupte à laquelle il ne survivrait pas sans rebrousser chemin. Debout, comme minuscule face à son parrain qui il était pourtant à peine plus grand que lui, il marmonna des excuses inintelligibles.

— Je me charge d'expliquer la situation à Potter demain, lorsqu'il remarquera ton absence.

— Il va me haïr... murmura le blond, les yeux perdus dans les pires scénarios imaginables.

— Et n'aura-t-il pas raison ?

— Je me serais haï à sa place, confirma le jeune aristocrate, la gorge nouée, ravalant bravement ses larmes.

— Tu n'es pas forcé d'obéir à ton père, signala Severus, couvant son protégé d'un regard curieusement indulgent.

— Non... Non, vous savez bien que je ne le peux pas. Imaginez qu'il remonte nos traces et qu'il retrouve Blaise, qu'il remonte jusqu'à Harry et Hermione. Que fera-t-il d'eux, à ton avis ? Je ne peux pas prendre un tel risque.

Un sacrifice auquel Draco lui-même n'avait jamais songé et qui s'imposait, afin qu'il ne puisse imaginer en réchapper. Peut-être existait-il une autre solution, moins pénible. Dans ce geste, l'Allemand prouvait également son incapacité à tenir tête à son paternel et illustrait la peur sourde que Lucius Malfoy lui inspirait. Et il avait peut-être raison, son géniteur était de ceux capable de tout, et surtout du pire.

— Alors, va.

Il abdiqua, sèchement d'un mouvement rageur les larmes traîtresses qu'il avait laissées couler. Personne ne devait être témoin de cela. Personne.

Draco fut pris d'une envie dévorante de passer par la chambre d'Harry. D'attendre quelques heures s'il le fallait, car il serait réveillé à cette heure de l'après-midi, rien que pour pouvoir embrasser son front et s'excuser à voix haute. Il en crevait d'envie et, pourtant, il ne put s'y résoudre. Severus n'accepterait jamais ce délai et lui-même craignait de craquer s'il croisait le visage endormi de son amant. Il n'aurait alors plus la force de se détacher de lui et les conséquences en seraient désastreuses.

— Tu ne croiseras personne, les élèves sont en cours et la voiture est garée sur le parking. Le chauffeur t'attend.

— Merci, Severus.

— Va, et je m'occupe du reste. Tu peux partir.

Incapable d'articuler la moindre parole, Draco pesta en silence contre cette faiblesse inavouable. Il remercia une dernière fois son parrain du regard avant de quitter le bureau, puis l'établissement. Dehors, l'air était doux. La chaleur étouffante de l'été n'avait pas encore laissé place aux températures glaciales de l'hiver. Il respira un air revigorant qui lui fit le plus grand bien. Il risqua un regard au véhicule garé dans les graviers, conscient que celui-ci l'emmènerait bien loin de tout ceci.

Un dernier regard pour l'école dirigé par l'imperméable Severus, une pensée sertie de peine pour celui qui patientait à l'intérieur et qui ignorait encore tout de ce qui se tramait, puis il s'élança. Sans ralentir, il porta sa main à la poignée avant de s'engouffrer à l'intérieur de l'habitacle. Pas de salutation, pas une parole, rien qu'une œillade dans le rétroviseur interne entre le chauffeur et lui. Un coup d'œil entendu. Et la voiture démarra dans un crissement de pneu pour entraîner Draco loin de tout.

La route lui parut à la fois longue, et bien trop courte. Interminable, et ridiculement brève. Les bagages dans le coffre émettaient un bruit à chaque virage même si la circulation s'avérait étonnamment fluide. Aucun mot ne fut échangé avec celui qui conduisait l'automobile. Le blond ne prit même pas la peine de le dévisager, à peine lui adressa-t-il un hochement de tête avant de quitter enfin le véhicule.

Le train était déjà en gare et Draco monta à bord sans attendre, traînant sa valise et son lourd fardeau derrière lui. Il s'installa, le visage tourné contre la vitre, dans la perspective évidente de n'adresser la parole à personne de son long voyage. Il ne releva même pas que sa place se situait en seconde classe, et non dans la première classe à laquelle il avait été habitué. Une angoisse sourde brûlait ses entrailles alors que le wagon prenait de la vitesse et quittait le quai pour d'autres horizons.

Un souvenir venait de lui traverser l'esprit. L'épisode qui l'avait mené jusqu'entre les mains des résistants défila devant ses yeux avec un tel réalisme qu'un frisson d'horreur courut sur son épiderme. Il pouvait sentir le choc qui avait ébranlé le train, les hurlements terrifiés des voyageurs, les complaintes et puis... la douleur. Et la douleur encore.

Draco eut toutes les peines du monde à contenir sa terreur. Il se laissa finalement bercer par les discussions des autres passagers sans toutefois prêter attention au contenu de leurs dires. Le cœur en peine, ces propos ininterrompus suffirent à enrayer la peur qui le rongeait. Ainsi ne subsista que la tristesse implacable qui lui hurlait de rentrer à Belfort. Belfort, la ville dont il s'éloignait encore et encore, et qui ne serait bientôt qu'un vague souvenir d'un lieu connu, mais oublié.

Il laissa les voyageurs quitter leurs sièges avant de songer à abandonner le sien. Une cheminot lui adressa un sourire poli, mais insistant, lui signalant qu'il était temps de descendre. Devant l'absence de coopération, le rictus se fit plus froid et elle poussa le vice jusqu'à annoncer, de ce calme pressant et professionnel :

— Monsieur, je vais devoir vous demander de bien vouloir quitter votre siège. Munich est le terminus de notre train.

Pour atteindre sa ville natale, le chauffeur avait mené Draco jusqu'à Mulhouse. Severus avait sans doute souhaité lui épargner l'effort de se rendre jusqu'à Strasbourg où résider bien des souvenirs, mais aussi Blaise et Hermione. Ces pensées traversèrent le jeune aristocrate alors que le regard de la femme scrutait le sien, entièrement dépourvu de compassion.

— Monsieur, insista-t-elle encore.

Sans chercher à lui donner raison ou même à lui prêter de l'importance, l'intéressé se leva de son siège, empoigna son bagage, et quitta le wagon. L'atmosphère vive du quai le saisit, et il retint sa respiration. Ici, des retrouvailles, des corps enlacés, parfois des visages baignés de larmes. Et lui, avec son cœur lourd de culpabilité, de honte et de regrets, il ne partageait en aucun cas leur allégresse. Quelque part, Narcissa Malfoy attendait son fils, inquiète et nerveuse. Son fils qui lui prêterait alors le regard vide du voyageur malgré lui.

Il traversa une partie du quai, son regard courant sur les façades des bâtisses pour y découvrir le souvenir intact de son enfance. Sous ses yeux acérés se dévoilait sans pudeur la ville où il était né deux décennies plus tôt.

Munich. 


Oui, vous pouvez me haïr (c'est compris dans le forfait, d'ailleurs). Allez, courage, encore une partie avant la fin de cette grande partie. La seconde suivra rapidement, j'ai beaucoup d'avance ! J'attends malgré tout vous avis, mais restez corrects dans vos propos, merci !

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