27.1

Belfort, 8 octobre 1940.

La nuit était tombée.

Draco s'ennuyait toujours, avant comme après le coucher du soleil. Il attendait le retour d'Harry. Le Français l'avait prévenu, dans un élan d'amabilité, qu'il ne le rejoindrait pas avant une heure tardive. Sans autre précision, il avait abandonné son amant comme pour lui rappeler qu'il possédait un sens concret à son existence. L'Allemand aurait presque pu y déceler une infime provocation derrière l'entrain de son cadet à quitter les lieux, la démarche assurée et la motivation intacte.

Dans cette journée, tout aussi morose que les précédentes -Draco haïssait la perspective d'attendre le retour du juif avec tant d'impatience-, il s'était même résigné à rendre visite au directeur dans son bureau. Severus lui avait sifflé de fermer la porte, répétant son éternel discours sur la prudence et sur le danger. Ses yeux obsidiennes sondaient ceux, d'un gris orageux, de son filleul, comme pour y récolter la raison de sa visite.

Allongé sur le matelas dur, les yeux fixés sur le plafond fraîchement peint, Draco voyait se rejouer dans son esprit tous les détails de cette altercation

—Eh bien, Draco, ce Potter a fini par venir à bout de ta patience ?

—Non, parrain. Potter est encore en vie, et fidèle à lui-même, j'imagine que cela en dit long.

Severus avait opiné, très lentement, le menton reposant entre ses doigts noueux. Le plus jeune cachait jalousement le moindre détail de la relation entretenue avec son amant. Ainsi, le directeur demeurait certain que les deux hommes se supportaient à peine. Du moins, c'était là ce que pensait Draco.

—Je m'ennuie. Je m'ennuie comme un rat crevé.

—Ton langage, Draco.

—Enfin, parrain ! Je passe mes journées enfermées ici, je ne sors que pour me promener. Ce quotidien n'est simplement pas supportable !

—Ici, tu es en sécurité.

L'intéressé bougonna une réponse inintelligible. Severus ne ploya pas le genou, trop habitué aux caprices du blond pour y céder. Il rétorqua, haussant un sourcil, prouvant que le plus jeune ne pouvait remporter la partie face à un adversaire de sa trempe :

—Qu'attends-tu de moi ? Je consacre assez de temps à diriger à la fois cette école et votre comportement enfantin pour ne pas encore m'encombrer à te choisir des activités quotidiennes. Pour qui me prends-tu ?

—Pourtant, tu es assez libre de votre temps pour t'imposer une obligation supplémentaire, parrain.

—Je n'apprécie pas les sous-entendus, Draco. N'oublie pas que tu vis sous mon toit, et que je meure d'envie de renvoyer Potter chez lui.

Severus vit son filleul déglutir péniblement et il sut qu'il venait de toucher une corde sensible. Cela l'amusait, les efforts que le jeune adulte employait à masquer le trouble qui était le sien.

—Potter m'a parlé de toi, l'autre jour.

Le directeur haussa un sourcil.

—Il m'a parlé de toi... et de ceux qui agissent contre le Reich.

—Et que t'a-t-il dit à mon sujet ? l'encouragea l'homme, sans marquer le moindre malaise.

—Que tu aides ces résistants. Que tu fais même davantage que les aider, souffla Draco, à la manière d'un aveu.

—Assieds-toi, Draco.

Le visage de Severus s'était assombrit. La gravité de ses traits excéda celle que son cadet avait pour habitude de côtoyer. Il obéit donc et s'installa sur le siège sans un mot. Tenir tête à son parrain ne le mènerait à rien, il en avait fait l'expérience maintes fois par le passé. Lorsque son caractère d'enfant gâté surplombait la raison, les confrontations se soldaient bien souvent par une gifle bien pensée. De la part de son père, le plus souvent. Contre toute attente, l'homme aux allures lugubres ne faisait fait étalage d'une violence gratuite, lui préférant des termes acerbes, bien plus douloureux que les coups.

—Je pensais ta fidélité au Reich inébranlable, fit cependant remarquer Draco, à juste titre.

—Il n'est pas toujours question de fidélité. Ce que certains considèrent comme une traîtrise n'est ni de la lâcheté ni quoi que ce soit d'autre. C'est du bon sens, ce que l'Allemagne a fini par perdre dans les belles paroles d'Hitler. Quelques promesses et le peuple allemand à genoux.

—Tu faisais partie de ses plus fidèles partisans.

—Oui, susurra Severus, articulant chaque parole. Jusqu'à ce que je passe outre l'admiration que je nourrissais à l'égard de cet homme. J'ai compté parmi les premiers à ses côtés. Tu n'étais alors qu'un enfant et moi... guère plus qu'un gamin bourré d'ambition que ces promesses de pouvoir ont su attirer. Mais les ambitions d'autrefois ne sont plus celles d'aujourd'hui.

Draco était perplexe face à ces révélations curieusement inattendues. Pendu aux lèvres de son parrain, il ne perdit pas une seule goutte de ces aveux. Sans tressaillir, l'homme exposait des faits qui pourraient bien lui coûter la vie, tombés entre de mauvaises mains.

Severus lui dicta les raisons de sa trahison. Il exposa son retour en Allemagne, alors âgé d'une petite vingtaine d'années, auprès de sa mère. Perdu, il avait trouvé le salut auprès d'un homme qui, à cette époque, bien avant l'euphorie et l'engouement des années 30, ne faisait pas l'unanimité. Sa génitrice l'avait poussé dans les sillages d'Adolf Hitler, et il n'avait pas lutté, hypnotisé par les termes forts, la détermination farouche et le charisme de celui qui deviendrait le Führer. Lorsqu'il avait été jeté en prison après le Putsch raté de la Brasserie, en 1923, le jeune Severus s'était détaché de ses idéaux. Jusqu'à son retour, et son accession au pouvoir une décennie plus tard. Cette fois, ce n'était pas juste son choix, la destinée de toute l'Allemagne venait de prendre un tournant décisif.

Alors, jour après jour, la maturité de ces années passées avait dépassé l'aveuglement d'autrefois. Il avait pourtant obéi, sagement, s'attirant les faveurs de cet homme autoritaire et cruel. Puis, il avait reçu l'ordre de quitter l'Allemagne pour s'installer en France occupée. Il y dirigerait un établissement d'une main de maître, et aucune protestation ne serait tolérée. Severus avait alors nourri les réflexions de tantôt, au contact d'un pays humilié et meurtri par cette guerre déjà considérée comme perdue. Le directeur avait agencé un acte fou avant de s'enfoncer dans la trahison. Sa connaissance du régime nazi le plaçait au centre d'un réseau encore jeune qui s'organisait dans le chaos, le mouvement rendu efficace par la vision avant-gardiste d'un homme. Voilà comment Severus Snape avait fini par se rendre indispensable dans un jeu où il risquait fort de perdre la vie.

Au terme de ce discours, Draco se laissa bercer par le silence de ses réflexions. Le modèle de ses jeunes années venait de lui révéler son double jeu, celui d'un espion rusé et aux honorables motivations. Il parvient à s'enquérir, de sa voix traînante :

—Tu étais perdu au point d'adhérer à des idées qui, maintenant, te répugnent ?

—Je l'étais suffisamment pour faire des choix irréfléchis, des choix graves que je ne cesserai jamais de regretter. Je ne te demande pas de comprendre. Tu as demandé à savoir, et je ne t'ai rien caché.

—Pourquoi étais-tu perdu ? le questionna encore le blond, avide de réponses comme il ne l'avait jamais été.

Soudain, Severus apparut réticent. Comme si le secret qu'il couvait encore était au-delà de ce qu'il avait déjà dévoilé, comme s'il y avait pire encore, plus inavouable. Ses avant-bras posés sur le bord de son bureau, il n'esquissait pas le moindre mouvement. Il ne fuirait pas.

—Il y avait une femme... Lily...

Le mot roula dans sa bouche avec une rare élégance. Morceau de sublime qu'il s'était si longtemps refusé d'avouer. Cette beauté irlandaise disparue autrefois, mais qui, constat contradictoire, n'avait jamais su quitter véritablement la pensée du directeur. Un fantôme à la chevelure de feu et au goût de la mélancolie. D'un temps à jamais passé. La femme qu'il avait aimée resterait dans son esprit bien plus qu'un désir insatisfait, elle était la preuve affreusement morte de l'échec de sa vie. Le témoin de sa perte.

—Lily Potter...

Alors, Severus lui avait avoué ce mirage. Le passage éphémère de l'Irlandaise dans sa vie et la trace indélébile qu'elle y avait laissée. Muet de stupeur, retraçant les connexions sans un bruit, Draco avait enfin pu comprendre la raison de la haine de son parrain à l'égard de son amant. Tout prenait un sens.

James Potter lui avait volé Lily. Sa Lily. Et l'illusion de bonheur qui accompagnait ses pas. Et puis elle était morte, tragiquement, en même temps que l'homme qu'elle aimait. Combien de fois Severus avait espéré prendre la place de son rival ? Oui, même dans la mort s'il le fallait, si seulement il le fallait ! Si Lily ne devait pas connaître une mort solitaire, il se serait donné une joie de l'accompagner. Quelle cruauté de lui refuser ce privilège !

Maintenant qu'il y songeait, la tête reposée, Draco décernait l'ironie de la situation. L'homme voué à un malheur éternel forcé d'héberger le fils de son rival. Severus, derrière l'acidité de ses mots et la brusquerie de son comportement, retrouvait un morceau intact de la mère chez le garçon. Ces yeux identiques qui voyaient ressurgir bien des souvenirs. Il protégerait peut-être Harry, à défaut de venger sa rancune passée...

Alors que Draco abandonnait l'idée de retrouver son amant avant le lever du jour, des pas bruyants s'élevèrent dans le couloir. Il se redressa lentement, les sens en alerte. Quelque chose clochait, son instinct le lui hurlait. Lorsque la porte s'ouvrit et laissa entrevoir le visage de Severus, le plus jeune sut qu'il avait vu juste. Les paroles de son parrain vinrent confirmer ses craintes, au comble de l'effroi :

—Potter est dans mon bureau, Draco. Suis-moi, il n'y a pas un instant à perdre !


Un chapitre qui se concentre sur le personnage de Severus, mais pas uniquement. Il faut dire que j'ai un faible pour lui, c'est un personnage secondaire que j'apprécie particulièrement et j'espère que ce chapitre vous aura plu !

Belle semaine à vous <3

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