26.1

Belfort, 6 octobre 1940.

Harry venait de quitter Ron. La silhouette familière de son ami avait disparu à l'angle du boulevard après lui avoir adressé un signe amical de la main. Le crépuscule colorait déjà l'horizon de ses couleurs vives, comme le coup de pinceau rageur d'un peintre visionnaire.

Le jeune juif traversa les rues de Belfort, traversant les ponts, les places, et les rues étroites. Il se fondait dans l'effervescence de cette fin de jour avec plus de facilité qu'il ne l'aurait espéré. Personne ne le dévisageait, et il en oublierait presque l'affreuse traîtrise qui l'avait mené jusqu'ici. Il avait évidemment caché ce détail au rouquin, brodant une vérité moins inconfortable et fabriquée de toute pièce.

La version officielle tenait en quelques mots. En ayant assez de sa passivité vis-à-vis du régime nazi, Harry avait cherché des contacts qui sauraient lui permettre des actions plus concrètes. Ron, méfiant, lui avait d'abord fait remarquer que des hommes opéraient en Alsace, certainement même aux alentours de Strasbourg. Ce à quoi son cadet lui avait répondu qu'il en avait conscience, mais il avait fait la connaissance d'un homme, Severus, qui lui avait offert la possibilité de passer la frontière et de s'implanter à Belfort. C'était, à ce moment, qu'Hermione lui avait avoué que leur ami commun y résidait lui aussi. En bref, ce mensonge reposait sur un concours de circonstances bien proche de la vérité. Ron n'avait posé aucune question.

Harry venait de passer la journée en sa compagnie. Son aîné l'avait présenté à quelques unes de ses connaissances, des résistants de la première heure et entièrement dévoués à la cause. Des hommes d'un courage exemplaire qui vouaient une haine presque séculaire à l'envahisseur. Les termes employés à l'égard de ces derniers étaient d'une violence douloureuse aux yeux du jeune médecin qui, bien qu'il puisse comprendre les raisons de cette colère, en souffrait terriblement. Une fois encore, il lui semblait trahir.

Trahir un homme qui lui était cher, ou bien la cause qu'il défendait... Les deux situations paraissaient tristement familières à celui qui connaissait les deux camps opposés, leurs aspects les plus sombres comme les meilleurs de ce qu'ils pouvaient offrir. Un tiraillement qui poursuivit l'homme tout au long de cette journée.

Ron lui avait exposé les différents moyens de communications, encore bien peu sûrs, témoins d'une organisation qui commençait à peine à apparaître. Harry le soupçonnait d'en tirer une certaine satisfaction et une once de fierté. Peu importe, puisque le rouquin le présentait comme une personne digne de confiance à ces hommes venus de tous horizons.

Ron commença à lui apprendre comme se servir d'une radio. Il lui expliqua qu'ils s'en servaient pour communiquer sur des longues distances, précisant la discrétion qui devait dicter cet acte. Ils utilisaient des messages codés efficaces, et Harry commença à apprendre les plus courants, illustrant par cette initiative le sérieux qui l'accompagnait.

Le rouquin lui présenta aussi les actions qu'ils effectuaient. Des moins dangereuses, aux missions suicides. Les sabotages des lignes de chemin de fer n'étaient pas encore très répandus, mais l'espionnage était légion. Il fallait avoir l'oreille qui traînait partout, guetter les informations, et surtout, ne jamais paraître suspects aux yeux de la police allemande, aussi vigilante que paranoïaque.

Ainsi, lorsqu'Harry regagna le lieu où il logeait, la conversation qu'il devait entretenir avec son amant lui était entièrement sortie de la tête. En réalité, l'alcool avait effacé bien des souvenirs des événements de la veille, et il était incapable de remettre les actions ridicules qui avaient été les siennes. Comme la veille, Draco était posté devant l'imposante bâtisse. Il se cachait néanmoins sur le côté, dans l'angle, afin de ne pas être aperçu des élèves qui pullulaient encore. Le médecin approcha à pas lents, se sommant d'une nécessaire discrétion. Le blond, sans le lâcher un instant du regard, exhala une dernière taffe avant d'abandonner le mégot encore fumant sur les graviers. Il s'adressa à son interlocuteur, d'une voix ferme :

—Suis-moi !

Sans protester, et sachant pertinemment les risques qu'ils prenaient à s'exhiber ainsi dans la cour de l'établissement, Harry lui emboita le pas. Ils traversèrent les couloirs sans un mot, dans un silence presque religieux. Cette aile du bâtiment était déserte, mais Severus ne plaisantait pas avec la prudence, le maître mot de la sécurité.

Draco verrouilla la porte derrière eux, soigneusement, avant de laisser un soupir franchir le seuil de ses lèvres. Harry attendait au centre de la pièce, comme s'il patientait au regard du jugement qui s'apprêtait à s'abattre sur lui. L'aristocrate allemand s'humecta les lèvres avant de lancer :

—Ton ami n'a pas eu le bon goût de te traîner dans tous les bistrots de la ville, aujourd'hui ?

—Ce n'était que des retrouvailles, répliqua mollement le juif.

—Des retrouvailles arrosées, précisa Draco, de cet air méprisant et insolent qui rendait son vis-à-vis fou de rage.

Harry secoua la tête. Cette conversation était-elle vraiment nécessaire ?

—Malfoy, écoute-moi bien. Si les seules choses que tu as à me reprocher sont la seule fois où j'ai touché à de l'alcool, cette conversation n'a pas lieu d'être.

—C'est pourtant toi qui m'as supplié de te l'accorder, articula le plus âgé, toujours immobile, le dos contre la porte close.

Le Français perdit entièrement contenance. Ses souvenirs de la soirée étaient peu précis et il n'avait pas mémoire d'avoir tenu de tels propos. Il repoussa la voix qui l'invitait à nier au bloc les accusations de son aîné. Cette solution de facilité, il aurait pu s'en convenir s'il ne craignait pas de gâcher sa sincérité et l'occasion inouïe de mettre cartes sur table.

—J'aimerais comprendre... murmura-t-il, avec moins d'assurance qu'il ne l'aurait souhaité.

—Comprendre quoi exactement ?

—C'est moi qui suis supposé avoir oublié notre conversation d'hier, pas toi, souleva Harry, un sourire misérable dans la voix. Réponds-moi ? Est-ce que j'ai été con d'espérer quoi que ce soit ?

Draco plongea dans un lourd mutisme. Chacune de ses paroles pouvait le perdre, l'entraîner dans des méandres d'où il n'était pas entièrement certain de pouvoir s'extirper. Les mots condamnent, cela ne faisait plus le moindre doute. Le regard d'Harry cherchait le sien, quémandait quelque chose dans les limites de ce que sa fierté lui dictait. Finalement, l'Allemand parvint à s'adresser à lui, à braquer son regard sur lui et à vider une partie de son sac :

—Non, j'ai été idiot. Je t'ai proposé de m'accompagner sans réfléchir aux conséquences et, une fois que je me suis pris la vérité en plein visage, j'ai préféré fuir. C'est ça qui est puéril, Harry. Mais que veux-tu ? J'aurais dû y réfléchir bien avant, quand ma raison me le permettait encore. Tout ceci, toutes ces difficultés, toute cette incertitude, auraient dû me sauter aux yeux dès les premiers instants. Je n'ai rien vu venir, et me voilà à me justifier, à expliquer cette faute sordide.

Harry ne l'interrompit à aucun instant, pesant le poids des paroles de son interlocuteur sans en mesurer le réel impact. Il n'était pas certain d'en saisir le sens exact, plongé dans une incertitude traîtresse. Il prit une inspiration hésitante, encore troublé par ce flot de mots, et sa voix s'éleva, avec un sérieux remarquable :

—Tu es plus doué que moi pour les beaux discours... Je n'ai pas réfléchi non plus avant d'accepter, mais je ne pensais pas que tu cesserais de me parler.

—Je ne le pensais pas non plus, j'ai simplement pris des résolutions drastiques qui m'y ont mené.

—Que faisons-nous, maintenant ? Je ne crois pas que je supporterais ton mépris à longueur de journée, ni même ton silence. Je préfère que tu sois clair, je trouverai une solution après ça, quitte à trouver un logement ailleurs.

Draco se raidit. Il n'avait pas imaginé, même pas une seconde, qu'Harry puisse quitter les lieux. Comment aurait-il réagi si, un beau jour et sans explication aucune, il avait retrouvé la chambre désertée de la présence de son amant ? Il n'osait envisager une telle perspective. Il répondit, dans une sorte de bredouillement qui ne lui ressemblait pas :

—C'est ce que tu comptes faire ?

—J'y ai songé oui. T'épargner ma présence, et simplement disparaître.

—C'est ton ami qui a proposé de t'héberger ? s'enquit le blond, d'une voix étouffée par un éclat pur de possessivité.

Il faillit lui faire remarquer les dangers que Ron lui faisaient courir, mais se jugea, au dernier instant, mal placé pour ce type d'objection. Il avança d'un pas, comme pour amadouer sa victime cette fois parfaitement sobre. Il n'avait plus eu de telles discussions depuis plus d'un mois, et il y avait tant à expliquer, tant à résoudre... Soudain, Draco n'était plus tout à fait certain de souhaiter ces négociations en bonnes et dues formes.

—Non. Il ne m'a rien proposé. Je ne peux simplement plus supporter cette indifférence, cette manière que tu as de me faire sentir étranger au Draco que je pensais connaître.

Harry se mordit cruellement la lèvre inférieure, endiguant les paroles fortuites qui le brûlaient. Il ne revint pas sur son envie de renvoyer les sacrifices qu'il avait effectués au nom de cet homme qui ne lui témoignait rien, pas même de la reconnaissance. Draco semblait, pourtant et en cet instant, enclin à se montrer moins glacial. La chaleur que le plus jeune lisait dans le regard de son vis-à-vis irradiait, réchauffant ses entrailles jusqu'à lui faire oublier le contenu de leurs tergiversations.

—Ce Draco que tu pensais connaître... est le seul qui mérite d'être connu. C'est aussi le seul à être vraiment sincère. 


Vous vouliez une conversation ? Celle-ci est musclée, mais vous l'avez !

Promis, la prochaine partie sera sur un ton plus... doux ? Moins animé, c'est certain, ou animé d'une toute autre manière. Je sais, c'est assez peu subtil et j'imagine que vous aurez compris ce qu'il vous attend :3

Courage pour cette dernière semaine de confinement <3

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top