25.2

Strasbourg, 6 octobre 1940.

Hermione et Blaise étaient tous deux attablés autour d'une boisson chaude, l'air morose. Les températures commençaient à chuter et le moral suivait la tendance actuelle sans rien tenter d'aventureux. Ainsi, tenir bon représentait un défi de tous les jours, un travail sur soi parfois sans résultats apparents.

Depuis le départ d'Harry et Draco, le domicile semblait étrangement vide. Les parties d'échec se faisaient toujours plus rares et les soirées se bornaient souvent à un repas toujours moins copieux. Car les restrictions, sévères dès leur création, ne cessaient de venir assombrir un avenir déjà peu encourageant.

Le regard d'Hermione s'échouait parfois sur les traits de son patient. Il allait bien mieux que quelques semaines plus tôt. La guérison n'était désormais plus un point indiscernable à l'horizon, mais une certitude qui n'appartiendrait bientôt plus à l'avenir. Hermione l'observait sans un mot, espérant qu'il n'intercepte pas son regard avant que celui-ci ne replonge dans son thé chaud. Des traits sombres, mais fins, ce qui lui avait valu d'être battu à mort sans autre forme de procès. La médecin n'avait jamais vu de honte à porter une couleur de peau telle que la sienne, une sorte de chocolat à la texture gourmande. Pourquoi une règle aussi stupide devrait dicter une quelconque normalité et les standards d'une beauté pourtant subjective ? La jeune femme refusait de comprendre dans quelle logique cette idée s'inscrivait.

—Quand arriveront-ils ? s'enquit Blaise, d'une voix rauque.

—Je l'ignore. Luna m'a simplement prévenue d'être sur mes gardes et qu'ils seront ici d'un jour à l'autre.

Luna était venue la veille, en pleine nuit, pour les prévenir d'une nouvelle épouvantable. Ce que chacun avait redouté allait se produire dans les prochaines heures, ces hommes qui incarnaient ce qu'un général nommerait quelques années plus tard la Résistance, investiraient les lieux pour retrouver celui qui les avait trahis. Et il y avait fort à parier qu'ils agiraient avant que la SS allemande n'envahisse les rues.

—Nous ne craignons rien, tenta de tempérer Hermione, la main serrées sur sa tasse. Harry n'est plus ici, nous pouvons dire qu'il a quitté les lieux il y a longtemps et que cela fait un mois que nous sommes sans nouvelles. Nous ne sommes coupables de rien.

—Hermione... souffla Blaise, désolé de mettre un terme aussi brutal à son idéalisation. Je suis Allemand et même si je suis mort aux yeux de leur pays, je n'en reste pas moins un Boche.

—Je leur expliquerai ! Je leur dirai ce qu'ils ont à savoir.

Le métis secoua la tête de droite à gauche, un maigre sourire aux lèvres. Leur expliquer... Croyait-elle réellement qu'ils allaient écouter les discours d'un jeune médecin qui avait pris un Allemand, noir de surcroît, en pitié ? Hermione était une femme brillante, plus intelligente que bien des hommes, mais elle se montrait pour l'heure d'une naïveté redoutable. Si toutefois il était possible de confondre espoir et naïveté.

—Ces hommes sont capables de tout.

—Ils le font pour une noble cause, protesta l'Alsacienne, d'une voix étranglée.

Blaise songea qu'il était bien étonnant qu'aucun collègue de Draco n'avait fait irruption ici. Peut-être que tous ignoraient où le jeune aristocrate logeait, ce qui expliquerait la chance qui leur avait souri jusque là. Dans ce cas, un jour viendra où Lucius Malfoy rendra visite à sa précieuse progéniture. Il était inutile de préciser qu'il serait préférable que ce cas de figure ne survienne jamais. Si personne n'osait tenir tête au père de son ami, la raison n'avait rien de complexe : il était un homme redoutable.

—Cette noble cause les rend sans pitié, ajouta Blaise, avec une tendre bienveillance à l'égard de sa camarade de fortune.

Soudain, comme sonnant le glas de ce court moment de répit, plusieurs coups furent portés à la porte. Des coups fermes, qui ne laissaient sa place ni à l'hésitation ni aux pensées superflues. Hermione bondit sur ses pieds, le souffle court, ses cheveux formant une cascade désordonnées autour de son visage et de son cou. Elle intima au jeune homme, d'un redoutable sérieux :

—Reste ici, ne bouge surtout pas.

—Ces hommes sont sûrement plus dangereux que tu ne le penses, ils n'hésiteront peut-être pas à s'en prendre à une femme.

—Je préfère encore ça plutôt qu'ils répugnent de lever la main sur moi sous prétexte que je suis une femme ! lança-t-elle, avec aplomb et avant de quitter la pièce à grands pas.

Hermione atteignit la porte pour s'y arrêter, les coups portés résonnant à ses oreilles, proches de l'insupportable. D'un mouvement frénétique, elle déverrouilla l'entrée et l'ouvrit en grand, dévoilant ces visiteurs matinaux. Sur le seuil, elle reconnut Dean qui l'observait d'un regard impassible. Il était accompagné de deux hommes de grande taille et d'une corpulence impressionnante.

—Bonjour, les salua-t-elle, feignant la surprise comme l'incompréhension. Je peux vous aider ?

—Nous recherchons un certain Harry Potter. Nous savons de source sûre qu'il vit ici, inutile de mentir.

Une entrée en matière qui ne laissait pas de place au doute. La gorge sèche, Hermione s'efforça de conserver sa maîtrise de la situation. Son regard croisa une nouvelle fois celui de Dean qui ne semblait pas ressentir la moindre pitié à son égard. Bloquant l'entrée de son corps sans en avoir la prétention, le médecin répondit, avec aplomb :

—Je suis désolée que vous ayez eu à faire le chemin jusqu'ici pour rien, mais Harry ne vit plus ici. Il a disparu il y a un mois, et je n'ai plus de nouvelles depuis. J'avoue que j'espérais son retour lorsque j'ai entendu que l'on toquait à la porte.

Elle risqua un sourire factice qui gagna son visage avec une raisonnable maladresse. Elle refusait de se laisser impressionner par ces hommes qui y prendraient certainement un certain plaisir. Elle tâchait d'oublier qu'ils luttaient pour une cause commune, et qu'elle les soutenait de tout son cœur. Il lui fallait pourtant choisir, et elle préférait la vie de son ami. Elle résisterait encore malgré cette trahison, son sens de l'honneur était sauf.

—Permettez que l'on vérifie par nous-mêmes, rétorqua malgré tout l'un des hommes.

—Bien sûr, entrez, les invita Hermione, malgré la peur qui lui tordait les entrailles.

Ils pénétrèrent dans l'antre sans se faire plus prier. Ils demandèrent d'abord à visiter les chambres à l'étage, procédant à une inspection de chaque recoin. Le médecin s'enquit, espérant gagner de précieuses secondes :

—Pourquoi recherchez-vous Harry ? Qu'a-t-il fait de si grave ?

—Il nous a trahis en sauvant un otage boche, lâcha un des hommes, du bout des lèvres. Il s'est enfui avec lui, et depuis plus une trace.

—Oh, je... je l'ignorais totalement.

Ils épiaient ses réactions et la moindre de ses paroles. En cet instant, Hermione jouait les étonnées, empruntant un masque qui lui était étranger. Pourvu que cela les sauve, rien d'autre n'importait à cette heure.

La jeune Alsacienne sentait que la situation pouvait lui échapper à tout moment. Elle eut toutes les peines du monde lorsqu'elle découvrit Blaise allongé dans le lit qu'il occupait d'ordinaire, comme profondément endormi. Son visage aux traits graves reposait sur un coussin blanc et une respiration lente, mais régulière, s'échappait de ses lèvres entrouvertes.

La respiration d'Hermione se raréfia et elle hésita lorsque les résistants la questionnèrent sur l'identité de l'homme.

—C'est un patient, mentit-elle, priant pour que ce manège ne la trahisse pas. Il a été battu par des Allemands, je l'héberge ici provisoirement en attendant de trouver une solution. Le pauvre a beaucoup souffert, je ne pouvais pas le laisser mourir dans la rue. Je suis médecin, je me devais de lui porter secours. Vous comprenez, c'est une question de devoir.

—Depuis quand est-il ici ?

—Un peu plus d'une semaine. Il n'a jamais connu Harry, il ne pourra pas vous renseigner. Je ne préfère pas le réveiller, ses blessures commencent à peine à guérir, les Allemands n'ont eu aucune pitié pour lui.

Ils opinèrent avec raideur et Hermione ne put ignorer la lueur de suspicion qui brillait dans les yeux de Dean. Il ne la croyait pas, ou du moins, se doutait de quelque chose. La jeune femme accompagna les résistants dans chacune des pièces de la maison, arborant une sorte d'étonnement imbécile qui ne lui ressemblait en rien. Elle masqua le soulagement qui la submergea lorsqu'ils arrivèrent devant la porte. Un sourire poli ornait ses lèvres alors qu'elle caressait du bout des doigts sa chance inespérée. Jamais elle ne blâmerait Blaise de ne pas avoir suivi ses ordres. Jamais.

—Merci mademoiselle, lui lança l'un des hommes, dans un acquiescement de circonstance. Votre aide à notre cause est la bienvenue, pardonnez notre intrusion.

—Ce n'est rien, vous ne faisiez que votre devoir. Et je ne fais que contribuer à mon humble échelle.

La porte se referma enfin et le sourire d'Hermione fana à ses lèvres. La mascarade avait suffisamment duré et elle pouvait laisser le soulagement la gagner. Elle tourna les talons, bien décidée à rejoindre Blaise et à lui exiger des explications. À le remercier aussi, peut-être. 


Un chapitre plutôt tendu, Hermione et Blaise l'ont échappé belle, comme vous pouvez le constater. Ce bref retour en Alsace n'est donc pas de tout repos. 

J'ai effectué une grosse correction ces deux derniers jours, alors pas mal de coquilles ont dû être éliminé du lot. Je  peaufine le tout pour les nouveaux venus (et pour vous, d'ailleurs, s'il vous prend un jour l'envie de tout relire) ;3

Bonne semaine !

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