24.2

Belfort, 4 octobre 1940.

Un quartier tranquille de Belfort profitait des rayons de soleil et de la chaleur agréable de ce début d'automne. La ville semblait se porter à merveille, la misère se cachait derrière cette façade. Dans les privations et les regards tristes des habitants. Dans tout ce que les apparences ne sauraient trahir.

Un homme, dont le corps semblait avoir grandi trop vite, allumait une cigarette à l'ombre d'un hangar. Un hangar désert qui accueillait de curieuses rencontres depuis le début de la guerre. Le rouquin expira une longue bouffée de nicotine, laissant le poison s'insinuer dans ses poumons avec soulagement. Cela l'aidait à se détendre en ces temps où l'angoisse ne quittait jamais personne. Cela l'aidait aussi à attendre.

Ron Weasley n'osait y croire. Il ne parvenait à porter foi en la venue d'Harry en ces lieux. Les sources étaient pourtant sûres, mais son absence d'imagination l'empêchait d'espérer pleinement. Il guettait, du coin de l'œil, la silhouette familière de son meilleur ami.

Sa patience fut finalement récompensée. Un quart d'heure plus tard, Harry tourna à l'angle du carrefour pour s'engager dans la petite ruelle. Il faillit ne pas reconnaître la posture nonchalante du rouquin. Il s'immobilisa, les yeux écarquillés par la joie brutale de ces retrouvailles inespérées et précipitées.

—Ron !

Harry se jeta dans les bras du plus âgé dans une puissante étreinte. Il avait cette odeur un peu négligée, mais musquée, plus forte qu'autrefois.

—Tu m'as manqué, mon vieux, souffla le jeune homme, un sourire sincère

—Toi aussi, ça fait combien de temps maintenant ?

—Un bail ! Ça doit faire plus de six mois.

Harry s'écarta légèrement. Ron était resté le même tout en accusant de lourds changements. Ses cheveux roux étaient presque rasés, ses joues avaient perdu les rondeurs de son enfance, et ses tâches de rougeur ne pouvaient rien pour lutter contre cela. Il conservait cependant cette aura lumineuse, un peu simplette, qu'il dégageait. Même la gravité inédite de ses traits n'y changerait rien. Ses vêtements étaient usés jusqu'à corde, reflétant une vie que tout confort avait depuis longtemps désertée.

—Tu as changé, souleva le juif, davantage par désir de meubler la conversation que par réel besoin.

—Ouais, c'est différent ici.

Harry haussa les épaules. La situation dessinait une vraie différence entre Strasbourg et Belfort, mais il ne considérait pas les villes opposées en elles-mêmes. Son ami conservait cette nonchalance presque agaçante, ce naturel que rien ne saurait ébranler, une désinvolte incontrôlée.

—Je me sens utile ici au moins. Je sers à quelque chose.

Hermione n'aurait pas manqué de lui signaler le danger qu'il courrait. Connaissant Ron, il en avait à peine conscience et s'élançait au-devant de la menace, tête baissée et sans écouter le moindre conseil. C'était à se demander comment il pouvait être encore en vie.

—Je voulais te retrouver justement. J'aimerais... me rendre utile, moi aussi.

—Hermione m'a dit que tu vendais des journaux clandestins à Strasbourg, souleva le rouquin, les yeux plissés, suspect. Elle ne m'avait pas prévenu que tu venais non plus. Il s'est passé quelque chose que j'aie loupé ?

—Les lettres mettent sûrement du temps à vous parvenir, reprit Harry, précipitamment. Et c'est une longue histoire, mon départ n'était pas réellement prévu.

Ron considéra son ami avec une distance étrange, presque inconfortable. Les six mois passés éloignés les avaient considérablement éloignés. Le médecin en réalisait à peine la mesure. Il demanda une cigarette avec une certaine maladresse :

—Je peux ?

—Ouais, bien sûr.

Harry approcha son visage du briquet que l'autre tenait devant lui, passant la tige au-dessus de la flamme tremblante. Il ne fumait pas régulièrement, préférant détourner les propositions de Draco ou des autres jeunes gens avant lui. Mais cette fois, la situation s'y prêtait. Il avait besoin de se chercher une contenance, de donner un sens au silence qui les séparait. Il expira la bouffée de nicotine, jetant un regard absent à volutes opaques et nocives qui se dessinaient face à lui.

—Hermione, comment elle va ? T'as raison, je reçois pas tellement de lettres. On a du mal à communiquer, faut rester discrets, tu comprends. Alors on fait comme on peut.

Il avalait presque les mots, si bien que son homologue se concentra davantage sur sa diction que sur le contenu de ses paroles. Tout était prétexte à attirer son attention, le chant lointain d'un oiseau inconnu, le vent frais sur ses joues, l'ombre du hangar tombant sur eux. Absolument tout. Il lui fallut pourtant se reprendre, et vite. Il répondit, après avoir tiré une nouvelle fois sur sa cigarette :

—Elle se portait bien lorsque je suis parti.

Le silence buté de Ron poussa son cadet à poursuivre :

—Elle est fidèle à elle-même. Elle s'obstine à se lever à l'aube pour rendre visite à ses patients. Le plus souvent, lorsqu'ils n'ont pas l'argent pour la payer, elle ferme les yeux. Tu la connais aussi bien que moi, tu sais comment elle peut être !

—Justement, en six mois, j'ai l'impression d'avoir oublié. J'sais pas comment l'expliquer, je ne l'ai pas oubliée elle. Elle a continué à vivre, et moi aussi. Elle a peut-être même rencontré un gars à Strasbourg.

Harry serra les dents pour encaisser la nouvelle. Il serait préférable de taire le nom de Blaise. Il avait déjà décidé de ne pas lui parler de Draco, imaginant sans mal la réaction de son ami. Il ne ressentait aucune rancune, il aurait probablement réagi de la même manière à sa place. Le jeune médecin se répugnait de mentir ainsi à Ron, de passer sous silence d'informations importantes. C'était déloyal de sa part, mais il lui était impensable de traduire la situation actuelle en quelques mois et sans provoquer la douleur de son interlocuteur.

—Je ne pensais pas réussir à te retrouver, annonça le plus jeune. Ça fait maintenant plus d'un mois que je te recherche, et impossible de trouver la moindre piste sérieuse.

—C'est que tu ne cherchais pas où il fallait, sourit Ron, portant sa cigarette à ses lèvres. Si c'était si facile de retrouver notre trace, on serait déjà tous morts ! J'étais perdu aussi quand je suis arrivé, mais je m'y suis fait. Tu as quelqu'un pour t'aider toi au moins, moi j'étais livré à moi-même et personne pour me dire où aller.

—Comment tu...

—Severus Snape, c'est lui qui m'a contacté. J'ai tout de suite compris qu'il te connaissait.

Harry sentit l'oxygène se solidifier dans ses poumons. Il manqua d'air, inspirant une bouffée de nicotine, fébrilement. Severus Snape aurait un lien avec les farouches opposants au régime nazi ? Pourtant, il savait de source sûre qu'il avait été placé à la tête de l'établissement scolaire pour la confiance aveugle que le gouvernement d'Hitler plaçait en lui. Un élément clochait.

—Snape a un lien avec vous ? s'enquit-il, sans comprendre.

Ron, toujours adossé aux tôles miteuses du hangar, eut une sorte de rire avant d'écraser le mégot fumant sous la semelle de sa chaussure. Il dévisageait son vis-à-vis, partagé entre une envie de s'esclaffer et sa consternation.

—Ne joue pas l'innocent avec moi ! Ce mec, tout le monde le connaît ! T'as eu de la chance de tomber sur lui, c'est le genre de type droit dans ses bottes. Pas très commode, c'est sûr, mais il te laissera pas tomber. On raconte qu'il prend pas beaucoup de risques, donc très peu de nouveaux sous son aile. On peut dire que t'as eu de la veine, cette fois, Harry !

—Oui, j'ai eu de la chance qu'il accepte de m'aider.

—Je ne comprends pas pourquoi il ne m'a pas prévenu plus tôt si tu es ici depuis plus d'un mois, poursuivit Ron, d'un ton pensif.

Harry sut qu'il ne tirerait rien de plus de son ami. Il devrait mener des recherches personnelles de son côté et, surtout, sauver les apparences. Il répondit alors, s'attirant le regard chargé d'intérêt du rouquin :

—Il est prudent. Il craignait peut-être que je sois l'un de ces Allemands. Imagine une minute, j'aurais pu tous vous dénoncer en un rien de temps. Il voulait simplement s'assurer que j'étais fiable.

—Et il y a eu raison ! enchaîna Ron, toute trace de soupçons envolée. Les murs ont des oreilles, et les espions sont prêts à tout. L'autre jour, il y avait une dame qui s'est fait dénoncée par sa voisine. C'est pas la première fois que ça arrive ! Ils sont malins, ils se font passer pour des amis, des oreilles attentives, et ni une ni deux, tu te retrouves dans les locaux de la Gestapo. J'ai même entendu un type me raconter qu'un homme s'était fait avoir par sa maîtresse du moment. Sa maîtresse, tu te rends compte ?!

—C'est révoltant d'aller jusqu'à dénoncer des gens en sachant ce qui va leur arriver, commenta Harry.

En réalité, un malaise grandissant venait de le submerger. Sa maîtresse... Et Draco, qu'était-il ? Un amant allemand, qui pourrait tout aussi bien le servir sur un plateau aux autorités ? L'aristocrate en savait suffisamment pour le livrer quand bon lui semblait. Assez pour le mener à la torture, peut-être même à la mort. Cette pensée glaçante gagna Harry, lui qui n'avait jamais envisagé une telle trahison. Il réalisait avec horreur à quel point il s'était montré imprudent, voire complètement idiot.

Non, impossible. Jamais Draco ne ferait une chose pareille après ce que le médecin avait fait pour lui. Après ce qu'ils avaient partagé...

—Tu sais, tous ces collabos sont prêts à tout. Ils dénonceraient pères et mères pour quelques faveurs. Tu les verrais, à lécher les bottes de ces putains de boches, ça me ferait vomir !

—Des collabos, il y en a aussi à Strasbourg, le contra placidement Harry, grinçant des dents face à l'appellation peu flatteuse.

—Tu ne m'as pas dit pourquoi tu as quitté Strasbourg, fit remarquer Ron, sans grande subtilité.

—Eh bien... commença Harry, pris de court.

—Tu me raconteras ça plus tard, le coupa l'autre, avec un entrain soudainement renouvelé. J'ai aussi des tas de choses à te raconter !

Il souriait dans un éclat de bon humeur retrouvé. Il déclara, assénant une claque amicale dans le dos de son ami déboussolé :

—Je connais un bar sympa pas loin. Tu me raconteras cette histoire devant une bonne bière. Allez quoi, c'est moi qui régale !


Le retour (tant attendu) de ce cher Ron. Que dites-vous de notre rouquin ? 

Cette partie est le cinquantième segment de Cueillir les étoiles. Eh oui, déjà ! Je peux vous promettre qu'il nous reste encore un bout de chemin à parcourir et des tas d'aventures à traverser. Nous approchons à grands pas de la fin de la première partie de cette fanfiction. Quant à moi, je travaille dure sur la seconde partie, qui sera aussi longue que celle-ci (soit 30 chapitres) :3

Attachez vos ceintures (et lavez-vous les mains), ce n'est pas prêt d'être fini !

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