24.1
Belfort, 2 octobre 1940.
Un mois venait de s'écouler.
Plus d'une trentaine de jours envolée, partie en fumée en un claquement de doigts. Harry n'en revenait toujours pas.
Il avait rendu visite à Hermione quelques jours plus tôt, s'assurant qu'elle ne manquait de rien et qu'elle survivait sans trop de difficultés. La réponse s'était soldée par l'affirmative, sans grand étonnement.
Blaise se portait mieux. Il était même presque entièrement rétabli et ne gardait que quelques séquelles de ses terribles blessures. Il avait cependant avoué s'ennuyer ferme, cloîtré comme il l'était dans la maison. Il n'était pas question pour lui de mettre le nez dehors, le risque se révélait trop important pour être pris. Il songeait donc à trouver une occupation, ou une solution à cet exil des plus pénibles.
Harry s'était donc fait à ce nouveau lieu de vie. Il s'acclimatait doucement aux conséquences et à l'omniprésence de Draco à ses côtés. La tentation incarnée s'endormait à quelques mètres seulement, lui considérant une plate et douloureuse indifférence. Les deux êtres vivaient sans s'attarder sur le devenir de l'autre. Sans savoir qu'ils souffraient autant le premier que le second de cette ignorance créée de toute pièce.
Le juif avait traqué la trace de Ron. Pour se faire, il avait cherché les visages de ceux qui se dressaient contre l'ennemi, ces résistants de la première heure résidant à Belfort. La discrétion dont ils faisaient preuve les rendait presque introuvables pour un étranger des lieux. Les prémices d'une organisation secrète qui agissait dans le plus grand anonymat et avec une telle efficacité qu'elle faisait trembler l'ennemi en personne. L'ennemi qui ne mesurait pas encore le danger de ces actes isolés qui prendraient de l'ampleur jour après jour, mois après mois. Jusqu'à sonner le glas du Reich et de son étau de terreur sur la majeure partie de l'Europe.
Les recherches d'Harry s'étaient donc révélées inefficaces, au grand désespoir du concerné. Il avait dû annoncer la triste nouvelle à Hermione qui avait masqué au mieux sa déception. Elle ne doutait pas de la persévérance de son ami, il ferait tout pour retrouver le rouquin.
Ici aussi, la guerre ravageait les corps et les esprits. L'abattement de certains inspirait la révolte aux autres. Les restrictions se mettaient en place tandis que la Gestapo allemande envahissait les rues pour insuffler un vent de terreur.
Harry s'invitait au cœur de Belfort, dans ses ruelles et dans ses larges places surmontées des fortifications, au contact de cette population brimée. Tout était à la fois semblable et diamétralement différent de Strasbourg. Entre les territoires annexés et les territoires libres. Le jeune homme songea qu'il existait une zone encore libre sur laquelle Pétain mettait en place un gouvernement antisémite prêt à collaborer avec l'ennemi d'hier. Ce qui serait bientôt un pouvoir abusif et autoritaire. Les murmures dans les bars le lui avaient appris cela. La France se paraît d'un tout nouveau visage.
La veille, l'école s'était emplie de monde. Plus d'une centaine de jeunes élèves qui foulaient le sol et qui traversaient les couloirs pour s'y perdre, le plus souvent. Des petites têtes curieuses desquelles Harry et Draco se cachaient, ils fuyaient l'arrivée de ces écoliers bruyants et dont l'indiscipline ne tarderait pas à être redressée par l'autorité incontestée de Severus.
Finalement, le médecin fut convoqué chez le directeur de l'établissement en fin de journée. La majeure partie des enfants avaient quitté les bancs de l'école, et l'autre partie, interne, avait pour ordre de ne pas sortir le nez de leurs chambres avant l'annonce du dîner. Ce fut l'esprit tranquille que le jeune homme se dirigea vers le bureau du sévère parrain de Draco.
Il toqua deux coups brefs sur la porte, s'interrogeant à peine sur le sujet de ce rendez-vous forcé. Qu'avait-on encore à lui reprocher ? Harry finissait par s'acclimater aux paroles froides de son aîné et à son attitude des plus blessantes. La voix doucereuse s'éleva de l'autre côté de l'issue close :
—Entrez.
D'une redoutable simplicité. Le juif obéit et pénétra dans l'antre sans se faire prier. Severus patientait, assis derrière l'imposant bureau en chêne. Plusieurs piles de documents se dressaient face à lui et ne semblaient en aucun cas attiser l'affolement chez le directeur qui toisa son cadet sans rien ajouter de plus. Un regard vaguement ennuyé par la situation qu'il ponctua d'une parole de circonstance teintée de mépris :
—Vous semblez vous habituer à votre vie à Belfort. Plus confortable que le trou à rats où l'on vous a extrait, n'est-ce pas ?
La provocation coupa le souffle d'Harry. Il ne croisait qu'à de rares occasions l'homme qui l'hébergeait. La haine qui lui inspirait grandissait chaque fois davantage, atteignant un stade dangereux.
—Que savez-vous de l'endroit où l'on m'a tiré ?
—Peu importe ce que j'en sais, le coupa sèchement Severus. Ce n'est pas pour discuter de ces... vulgaires banalités que je vous ai demandé de venir ce soir.
Harry enfonça ses mains dans ses poches, décidé à écouter ce que l'on avait à lui transmettre. Une bonne nouvelle ? Une mauvaise ? Difficile à évaluer, Severus demeurait plus imperturbable que jamais. Les yeux froncés sur un nez aquilin et une face de craie, ses cheveux noir corbeau lui conféraient l'allure d'une créature vampirique. L'idée effleura le médecin qui la repoussa aussitôt, de peur de perdre le peu de sérieux qu'il avait recueilli.
—Qu'avez-vous à me dire ? le pressa Harry, désireux d'en finir.
—Avez-vous reçu des nouvelles de l'Alsace ?
—Pas depuis que j'y suis retourné.
—Vous ne lisez pas les journaux, Potter ?
L'intéressé eut un soupir las et légèrement contrarié. Il n'avait pas lu les journaux depuis quelques jours. Son voyage en Alsace avait été périlleux et Severus n'avait pas manqué de soulever la difficulté qu'il avait eu à obtenir les autorisations de pénétrer dans le territoire désormais annexé. Sans l'appui de Draco, jamais il n'aurait accepté de les fournir aussi facilement.
—La synagogue de Strasbourg a été détruite dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre.
—Je vous demande pardon ?
—Vous l'ignoriez ? reprit Severus, satisfait de l'effet de surprise. Les sources sont peu claires et les journaux se contredisent. On y parle d'explosion et d'incendie, mais il ne reste presque plus rien de l'édifice. Un tas de cendres fumantes, tout au plus.
Le choc de la nouvelle assomma littéralement Harry. Une gifle en pleine figure.
S'il n'avait jamais été pratiquant comme ses parents avaient pu l'être avant leur mort, il ressentait malgré tout une douleur aiguë face à cet acte répugnant. Il ne prit même pas la peine d'interroger son aîné sur les responsables, l'imaginant que trop bien. Le lieu de culte de centaines de pratiquants réduit à néant par simple loisir. Harry pouvait aisément voir la scène : des nazis ou des sympathisants mettant le feu aux poudres, injuriant copieusement les juifs du monde entier.
—Y a-t-il eu des blessés ? s'enquit le médecin, gravement.
—Cela n'a pas été mentionné.
Cela ne signifiait pas qu'aucune perte humaine n'était à déplorer. Le gouvernement allemand avait cette fâcheuse manie de masquer les détails embarrassants au profit d'une réalité arrangée. Ce qui constituerait le régime de Vichy suivait l'exemple de son voisin, Pétain adhérant à cette politique de censure et de propagande vigoureusement démentie.
Severus considérait le jeune homme sans rien ajouter de plus. Il lui octroya le temps d'essuyer le coup porté et de reprendre en main ses émotions. Il avait, face à lui, un Potter affaibli, qu'attendait-il pour lui asséner le coup de grâce ? Mais croisant le regard émeraude du petit, il ne put s'y résigner.
Des yeux identiques à ceux de Lily. Sa tendre Lily...
—J'ai une bonne nouvelle pour vous, Potter, reprit le directeur, taisant la peine dans sa voix.
—Vous me renvoyez chez moi à coups de pied aux fesses ?
Une offense inutile, gratuite même. Mais il n'existait pas meilleur moyen de dompter sa douleur que de provoquer celle d'autrui, Harry lui-même ne faisait pas exception. Le regard perçant derrière ses lunettes rondes, il jaugeait son adversaire, prêt à lui rendre ses coups si nécessaire.
—Bien que l'envie ne manque pas, ce n'était pas à cette bonne nouvelle que je faisais allusion.
Harry conserva un silence buté, intimant à son interlocuteur de poursuivre son discours. Sa curiosité était piqué, bien entendu, mais pour rien au monde il l'avouerait. En présence de cet homme, le jeune médecin se voyait conduit par le même orgueil que Draco. Une fierté aussi implacable que détestable.
—Il se pourrait que j'aie retrouvé la trace d'une de vos connaissances, avança Severus, doucereux.
—Vous savez où se trouve Ron ?
—Votre ami... Le rouquin, ajouta le directeur, une pointe de dégoût imprégnant ce mot, est bien à Belfort.
—Je le sais, mais où ? Ça fait un mois que je le cherche partout, aucune trace de lui !
—Vous ne recherchez peut-être pas là où vous le devriez.
L'homme se délectait de l'impatience du plus jeune. Il jouait avec ses nerfs avec une dextérité remarquable et sans même quitter des yeux l'impertinent. Cela permettait à Severus de taire le danger que représentait cette révélation. Car il n'était pas dupe, il savait ce qu'allait entreprendre le jeune Potter une fois qu'il aurait croisé la route de Ron Weasley. Il réintégrerait ce petit groupe qui agissait de son mieux sans réel organisation pour s'y forger un nouveau nom et agir pour la libération de la France. Au péril de sa vie si cela s'avérait nécessaire.
—Je peux vous organiser une entrevue si vous me le demandez aimablement.
Harry contracta si fort la mâchoire que ses dents grincèrent. Irait-il jusqu'à supplier cet être à l'apparence de bourreau pour la cause la plus chère à son cœur ? Un soupçon s'invita en lui, discret, mais assez présent pour le pousser à énoncer, les sourcils levés en guise de provocation :
—Et pourquoi feriez-vous ça ? Vous savez très bien que Ron patauge dans des affaires pas nettes dont la Gestapo se méfie. Je suis étonné que vous ne l'ayez pas déjà dénoncé, avant même de m'avoir prévenu de sa présence ici.
—Beaucoup de constats vous étonneraient me concernant, Potter. La liste est longue, et je n'ai aucune envie de m'y attarder. Acceptez simplement l'aide que je vous propose avant que je me décide à revenir sur ma décision.
D'une froideur glaciale, les mots prenaient un sens caché, mais toujours aussi blessant. Fidèle à lui-même, Severus usait de l'intelligence inédite de ses propos pour taire la protestation avant qu'elle n'apparaisse. Harry abandonna effectivement la lutte, pestant en son for intérieur sans exprimer quoi que ce soit. Dans un soupir las et profondément agacé, il demanda :
—Dites-moi où je peux le trouver !
J'ai TOTALEMENT oublié que nous étions lundi. Mille excuses, voici le chapitre (vaut mieux tard que jamais comme on dit).
Prenez soin de vous !
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