23.1

Strasbourg, 31 août 1940.

Le lendemain, Draco s'était réveillé au milieu des draps défaits, seul. Harry avait quitté le lit avant l'aube, malade de ce qu'il avait commis et dépité de devoir fuir d'une telle manière.

Le cœur en peine, il avait laissé derrière lui un mot, une courte missive, à l'égard de son amant :

Je prépare et rassemble mes affaires pour notre départ prochain. Préviens ton parrain, je me charge d'Hermione.

Draco, maîtrisant à grande peine son émotion, s'était payé le luxe d'un instant de réflexion. Il posait un regard troublé sur la nuit passée. Il avait fait l'amour à un homme et, pire encore, il y avait pris un plaisir malsain, dévorant. L'inversion était considérée comme une maladie, comme un crime puni d'emprisonnement. Le jeune aristocrate n'ignorait pas que l'on enfermait les homosexuels dans des camps où ils mourraient dans des conditions pitoyables.

Noyées sous des interrogations douloureuses, Draco en était venu à remettre en question son départ à Belfort en compagnie de son amant d'un soir. Ne devrait-il pas rejoindre ses parents à Munich plutôt que se risquer à rester aux côtés de cet homme ? Jusqu'où Harry Potter le rendrait-il vulnérable ? Quelles autres abominations le pousserait-il à commettre ?

Au terme de longues tergiversations, il avait fini par quitter sa chambre. Il s'était empressé de rendre visite à son vieil ami. Blaise n'avait pas feint la surprise, il avait même fait preuve d'une grande compréhension. Il comprenait les raisons de ce départ précipité. Le jour viendrait où les résistants viendraient toquer à leur porte et il valait mieux que ni Harry ni Draco ne soient dans les parages en cet instant.

À demi-mot, le blond proposa au métis de l'accompagner à Belfort. Blaise avait poliment refusé, rejetant l'idée d'abandonner celle qui avait sauvé sa vie. Hermione prenait des risques immenses à sa manière, entièrement dévouée à la cause humaine. Elle avait même soigné un homme noir, un Allemand de plus. Les deux amis s'étaient séparés d'un sourire, se promettant d'échanger des lettres et de ne pas se laisser sans nouvelles.

Harry, quant à lui, attendait le retour d'Hermione dans le salon. Celle-ci devait achever son tour des patients dans l'heure, et le juif réfléchissait à la meilleure manière de lui annoncer la nouvelle. Existait-il une juste manière de procéder ?

L'urgence de sa mission obscurcissait une autre pensée, obsédante, presque douloureuse. Il ferma les yeux si fort que des points colorés dansèrent dans sa vision. Hermione venait de pénétrer dans la maison, déposant ses affaires dans l'entrée avant de s'engouffrer dans la pièce. Elle sourcilla en voyant son ami en proie à de denses réflexions, avant de l'interpeller :

—Harry ? Ça ne va pas ?

Il se redressa, passa le pouce et l'index sous ses lunettes pour venir pincer l'arête de son nez. La lassitude le saisissait. La lassitude d'une guerre à laquelle il aurait préféré ne jamais avoir à prendre part. La lassitude d'un choix qu'il haïssait et pour la relation qu'il nourrissait à l'égard de Draco, celui qui était devenu son amant au détour d'un acte fort, mais irréfléchi.

—Tu n'es pas descendu hier soir... Tu n'es pas malade au moins ?

—Non ! Non, je ne le suis pas.

Les doigts crispés sur une tasse de café brûlante, Harry cessa d'épiloguer outre mesure. Il se lança dans un long monologue. Il y expliqua les grandes lignes de son départ précipité, insistant sur l'urgence et sur la nécessité de celui-ci. Hermione ne le coupa pas une seule fois, étrangement silencieuse, le front barré par un pli soucieux. Finalement, lorsque ce fut fini, il se tut, guettant un signe d'approbation, ou une forme de protestation. L'Alsacienne laissa un sourire triste se dessiner au creux de ses lèvres, alors qu'elle s'asseyait lentement aux côtés de son ami :

—J'imagine qu'il est inutile de tenter de te raisonner...

—Je suis désolé, Mione.

—Tu es têtu, Harry. Peut-être même plus que moi. Tu n'as pas voulu m'écouter quand je te disais de ne pas aller dehors après le couvre-feu. Tu ne m'as pas écoutée lorsque je te montrais du doigt le danger, lorsque tu as amené Draco Malfoy et son ami mourant, et lorsque tu es allé le sauver des résistants. Je ne saurais pas te convaincre cette fois en sachant que tu as raison de partir.

Harry pinça les lèvres, ses doigts s'entremêlant à ceux, nettement plus fins, de son interlocutrice. De son pouce, il redessina le dos de sa main avec une tendresse véritable.

—Merci. Pour tout, merci. Je... Je ne sais pas ce que je serais devenu si tu n'avais pas été là. Je me sens tellement lâche de t'abandonner comme ça, sans prévenir.

Hermione inspira profondément. La nouvelle l'affectait bien plus qu'elle ne saurait le montrer. Une telle solitude lui était insupportable, et craignait déjà le pire. Elle n'avait nul besoin du soutien d'un homme, mais une présence familière avait quelque chose de rassurant. Blaise resterait à ses côtés, pour maigre compensation de sa perte. Elle se revoyait, quelques mois plutôt, demandant à Harry pourquoi sa valise n'était pas prête. Cette fois, ses affaires étaient bouclées et le départ s'imposait plus indéniable que jamais.

—Ron est... commença-t-elle, cette moue songeuse toujours inscrite à ses traits.

—Il lui est arrivé quelque chose ?

—Il va bien. Mais... tu risques de le retrouver bientôt.

Harry sourcilla sans comprendre. Il y avait des mois qu'il n'avait pas revu le rouquin. En vérité, il n'avait plus croisé sa route depuis son départ d'Alsace lors de la campagne de migration mise en place par le gouvernement français. Se pourrait-il que son ami soit...

—Ron est à Belfort, finit par avouer Hermione, la gorge nouée.

—Depuis tout ce temps ?

—Oui, nous correspondons par lettres depuis des mois. Il est forcé de rester très vague lorsqu'il s'agit de ce genre d'informations. Tu comprends pourquoi.

—Si la Gestapo tombe sur l'une de ces lettres, il est foutu, résuma grossièrement Harry, d'une voix presque lointaine. Ils ne pardonnent pas ça, même pas en territoire occupé.

—Oui. Il a fini par m'avouer où il se trouvait. Il m'a seulement donné la ville, mais tu pourras le retrouver une fois là-bas. Si tu y arrives, et même si tu n'y parviens pas, tiens-moi informée de tout.

Le médecin lui promit de ne pas la laisser dans le secret. Cette séparation lui pesait, d'autant plus que son ami retrouverait peut-être bientôt Ron, et qu'elle serait la seule mise à l'écart de tout. Une perspective qui lui paraissait des plus désagréables. Elle coinça une mèche rebelle derrière son oreille avec un profond soupir. Elle préférait ne pas imaginer les risques que prendraient les deux garçons une fois réunis. Car elle n'était pas dupe, Harry n'hésiterait pas un seul instant à prendre part à la Résistance qui s'installait à Belfort. Là-bas, tous ignoraient la trahison commise, et il pourrait opérer sans craintes de représailles.

Le juif masqua habilement son étonnement. Il s'était attendu à une révolte nette de la part de son amie. À la place, celle-ci faisait preuve d'un calme proche de l'abattement. De quoi attiser la culpabilité grandissante de son homologue. Hermione y mit fin, demandant à tout hasard et par nécessité de meubler le silence avide qui les touchait :

—Tu l'apprécies, Malfoy, n'est-ce pas ?

—Je le supporte de mieux en mieux, répondit Harry, aussi sobrement qu'imaginable.

Le terme supporter était évidemment des plus barbares. Il s'apprêtait à partir en compagnie de l'Allemand et de son parrain, leur confiant jusqu'à sa vie. Hermione comprenait bien que la relation qui unissait son ami et le soldat était bien au-delà de la modeste courtoisie.

—Il est moins insupportable que ce que j'ai pu penser à première vue, ajouta Harry, plus rapidement qu'il ne l'aurait dû.

Hermione opina avec raideur. Il n'y avait rien qu'elle puisse faire et elle étouffa la moindre remarque désobligeante. Harry se passerait de ses discours moralisateurs, il en avait passé l'âge. C'était le cœur en peine qu'elle lui faisait ses plus sobres adieux. Encore étourdie par tout ceci, elle parvint à articuler :

—Quand partez-vous ?

—Demain, à l'aube. 


La nouvelle est annoncée et Hermione l'accepte plutôt bien. L'heure du départ n'est plus très loin et l'aventure de nos héros prendront, de ce fait un nouveau tournant. Vous me voyez venir, si Ron est à Belfort :p Autant dire que ça promet quelques étincelles !

Portez-vous bien <3

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