21.2

Strasbourg, 30 août 1940.

Severus avait élu domicile dans l'une des nombreuses chambres de la résidence. Si Hermione s'habituait sans trop de difficultés à ce nouveau pensionnaire silencieux et d'une humeur massacrante, Harry ne parvenait pas à l'imiter.

Le parrain de Draco se montrait particulièrement sévère en sa présence, lui témoignant un mépris singulier. Croiser son visage d'une pâleur mortelle, ses cheveux gras retombant mollement sur son front blême, ne pouvait être synonyme que de mauvais présage.

Le blond n'avait d'ailleurs pas trouvé le courage nécessaire à engager une conversation avec Harry. Il en avait touché un mot à Blaise qui, compatissant, lui avait clairement indiqué que cette solution était de loin la meilleure. Il l'avait rassuré d'un mot, il ne devait pas s'inquiéter pour son sort, il ne courrait aucun danger immédiat entre ses murs. Et Hermione veillait sur lui de son mieux.

Severus poussa son filleul à se décider à aller trouver le juif pour lui expliquer la situation. Ce fut en fin de journée que Draco abandonna la lutte pour héler son cadet, alors que celui-ci quittait la chambre après lui avoir annoncé une partie d'échecs à l'étage inférieur :

—Harry, attends.

L'intéressé se retourna pour lui adresser une interrogation informulée. L'Allemand lutta pour conserver le contrôle qu'il portait encore aux événements. Il articula, conscient de son extraordinaire maladresse :

—Il y a quelques jours, Severus m'a fait une... une sorte de proposition.

—Laquelle ? s'enquit Harry, sur le ton pressant de celui qui feignait l'indifférence.

—Il m'a proposé de rentrer avec lui à Belfort, lâcha Draco, le regard ancré sur celui de son interlocuteur.

Harry s'immobilisa après avoir fait face à l'Allemand, visiblement déboussolé par cet aveu. La partie d'échecs qui l'attendait en bas venait de lui sortir de l'esprit, tout comme tout autre détail insignifiant. Il se reprit rapidement, masquant son drôle par une expression faussement dégagée qui ne dupa personne.

—Quand pars-tu ? demanda-t-il.

—Pressé de te débarrasser de moi, Potter ? grinça Draco, ignorant le pincement au cœur qui le saisit.

—Tu as l'opportunité de quitter Strasbourg sans dommages, tu ne vas quand même pas la refuser.

Le malentendu grandissait de minutes en minutes. La fierté des deux hommes rentrait en jeu, et la situation pourrait bien devenir conflictuelle. Cette joute verbale n'avait plus rien de rafraîchissant et le blond choisit d'y mettre un terme. Il se leva, ignorant la douleur diffuse de ses côtes pour défier Harry d'un regard intransigeant :

—Je n'ai pas l'intention de quitter la ville seul.

—Blaise t'accompagnera, ça me paraît évident.

—Tu es un idiot, Potter.

Draco fit mourir la distance qui les séparait de quelques pas sûrs. Il secoua la tête de droite à gauche, interdit de constater le manque d'esprit de son vis-à-vis. Alors que ce dernier s'apprêtait à protester, il énonça, avec franchise :

—Severus m'a proposé de quitter Strasbourg avec toi.

—Quoi ? Mais tu as perdu la tête ? s'emporta Harry, furibond.

L'Allemand ne se laissa pas démonter par les éclats de voix de son cadet. Il détailla sa masse capillaire désordonnée qui semblait refléter l'agacement de leur propriétaire. Il croisa le regard absinthe pour finalement reprendre, armé d'une patience bien limitée :

—Écoute-moi. Ces résistants ne vont pas tarder à se retrouver devant la porte. Que comptes-tu faire le jour où cela arrivera ? Te cacher dans une chambre en priant qu'ils ne te trouvent pas ? Les affronter avec ce... maudit courage ? Un jour ou l'autre, ça va te tomber dessus.

—Je ne peux pas juste fuir comme un lâche, Malfoy ! rugit Harry, les poings serrés dans cet accès de colère incontrôlable.

—Et te terrer ici en attendant que la tempête s'éloigne, tu crois que ce n'est pas lâche, peut-être ?

—Ne pense pas que je vais abandonner Hermione pour...

—Pourquoi Potter ? Pour un putain de boche ? Pour le fils à papa que t'as eu le bon goût de sauver ? Pour le type que t'as pas pu laisser mourir ? Pourquoi, hein, Potter ?

Le juif recula de plusieurs pas, comme sonné. Venait-il de réaliser les conséquences de cette discussion ? Les conséquences de ces paroles qu'il n'avait jamais prononcées, mais que la colère avait failli laisser échapper ? Il sut, du moins, qu'il venait de toucher un point sensible. Que ce semblant de conversation venait d'heurter son homologue et bien plus qu'il ne saurait l'imaginer.

—Ce n'est pas ce que j'essayais de dire, tempéra-t-il, la gorge nouée.

—Ah, vraiment ? Alors qu'essayais-tu de dire au juste ?

—Juste que... je ne me vois pas abandonner Mione sur un coup de tête après ce qu'elle a fait pour moi.

—Dis plutôt que tu ne te vois pas l'abandonner pour t'en aller au devant du danger avec un homme dont tu ne connais rien. C'est ça qui t'effraie, Potter, ou il y a autre chose ?

Harry ouvrit la bouche dans l'optique évidente de répliquer, mais il se ravisa. Il passa une main lasse dans ses cheveux, pestant contre les mots qui dépassaient parfois la pensée, contre Draco et son sale caractère. Où tout ceci le mènerait-il ? Et, surtout, jusqu'où cet homme serait-il prêt à l'entraîner avant qu'une chute vertigineuse ne les rattrape ?

—C'est le fait de tout quitter qui m'effraie, finit-il par annoncer.

—Alors je peux partir sans un regard en arrière, cela te laissera indifférent, reprit le jeune aristocrate, le menant consciemment vers une déclaration à laquelle ni l'un ni l'autre n'était préparé.

—Tu sais bien que non.

Draco offrit au Français un regard dur. Ce soir-là, il ne lui pardonnerait aucun abus de langage, aucune faute malheureuse. Non, il voulait être bien sûr de tout avant de quitter les lieux, et surtout être bien certain de ne rien avoir à regretter ensuite. Cette décision, il se refusait à la prendre seule, et cela expliquait sans doute son intransigeance à l'égard du médecin. Il esquissa encore un pas, franchissant une distance limite entre les deux corps sans se dépourvoir de sa froideur déconcertante.

—Je ne sais rien, Potter. Du moins rien en ce qui te concerne.

—Qu'est-ce que tu veux entendre dans ce cas ?

—Rien, je t'écoute juste. Qu'est-ce que tu vas imaginer ?

—Commence par arrêter de m'appeler Potter, releva l'interpellé, avec humeur.

—Harry, rectifia le coupable, sans le quitter des yeux et avec un naturel déconcertant.

Ce fut au tour du juif de réfléchir. Cette proposition le prenait de court, véritablement. Il ne parvenait pas à distinguer la différence fondamentale entre la bonne décision, et la mauvaise. Il y fallait pourtant pencher pour l'un ou pour l'autre, et il n'avait guère le temps de se pencher sur la question outre mesure.

—Combien de temps me laisses-tu pour prendre ma décision ?

—Cela ne dépend pas uniquement de moi, soupira Draco, plus que jamais conscient de l'impatience de son parrain.

—Parce que tu penses que ça ne dépend que de moi ? renchérit son interlocuteur, haussant légèrement la voix.

Ils se fixèrent à nouveau. Un mot de travers et la conversation dégénérerait en une dispute dont la finalité ne serait satisfaisante ni pour l'un ni pour l'autre. Ils se contenaient donc, n'usant que de piques réfléchies où la fierté transparaissait inexorablement. Deux caractères forts, diamétralement opposés, ne pouvaient échapper aux étincelles provoquées par un tel début de relation. Ils ne poussèrent pas la réflexion jusqu'ici, se contentant de démêler de leur mieux le flot d'émotions contradictoires qui les submergeaient tous deux.

—Parles-en à Hermione si tu en as envie. Et réfléchis-y, tu n'auras peut-être pas cette chance deux fois.

—J'ai toujours su me débrouiller seul, le contredit immédiatement Harry, provoquant l'autre qui le détaillait, les lèvres pincées.

—Je ne suis pas certain que tu aurais survécu sans l'aide d'Hermione.

Le ton était moqueur, étrangement pas blessant, mais le Français se surprit à songer à Ron. Son ami... Il ne devait pas sa survie à lui seul, il fallait en convenir, et sans le rouquin à ses côtés, il serait sans doute mort avant que l'Allemagne envahisse les territoires de son pays. Ron qui, à présent, se battait avec la Résistance avec un courage remarquable. Ron dont il restait presque sans aucune nouvelle depuis mars de cette même année. Peut-être était-il mort depuis ? Comme toutes ces victimes innocentes, ou presque, dont l'existence s'éteignait soudain.

Harry rejeta cette funeste idée loin de lui, renonçant à la partager avec son vis-à-vis. Il préféra approuver, à demi-mot :

—Oui, tu as sans doute raison.

—Tu ne m'apprends rien, Harry.

L'intéressé déglutit difficilement. Il n'eut pas le cœur à blâmer l'Allemand sur son ego surdimensionné, ni même à lui faire la moindre remarque en conséquence. Draco était trop proche désormais, à une distance indécente de son corps. Il pouvait imaginer la chaleur de son corps, pouvait sentir la tiédeur de son souffle caressant son visage et l'intensité de son regard. Harry oublia toute optique de protestation, hypnotisé par cette proximité délicieuse.

Draco semblait le défier du moindre geste. Le médecin céda, et se hissa le premier sur la pointe de ses pieds pour ravir les lèvres tentatrices qui le narguaient jusqu'alors. 


J'avais promis une conversation houleuse, la voici !

Bon, il faut dire que le chapitre s'achève sur une note plus positive, et ce n'est pas rien vu le caractère d'Harry et Draco. Le message est passé, reste à savoir si Harry va prendre au sérieux cette main tendue ou refuser l'opportunité. Opportunité qui comprend malgré tout sa part de sacrifices. 

Qu'auriez-vous fait si le choix vous appartenait ? 

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