19.2

Cette fois, le jeune juif fut complètement retourné vers le blond. Il se demanda si ses oreilles lui jouaient des tours, s'il n'avait pas mal entendu. Pourtant, l'autre paraissait très sérieux et ne semblait pas prêt à revenir sur ses paroles. Une surprise de taille qu'Harry ne sut comment interpréter. Ils se jaugèrent un court instant, quelques mètres les séparant tandis que le temps défilait à une vitesse vertigineuse.

—Tu te trompes, Potter.

—Évidemment, je ne peux pas non plus avoir raison, ironisa l'intéressé, retrouvant toute sa hargne.

—Je ne te méprise pas. Je n'ai aucun mépris pour toi, que ce soit pour ce que tu es ou pour ce que tu as fait. Peut-être même que je respecte tes actes et que dans une autre situation, j'aurais aimé être comme toi.

—Malfoy, tu... tu te payes ma tête, c'est bien ça ? Ce ne peut pas être vrai.

En réalité, Harry se voyait incapable de comprendre l'étendu de cet aveu. Draco y avait manifestement longuement réfléchi et ce seul constat suffit à le désorienter. L'Allemand l'observait bien en face et s'il s'approchait encore un peu, son médecin pourrait apercevoir la sincérité dans ses prunelles anthracite.

Le jeune aristocrate luttait contre une envie d'hurler sa pensée au visage de ce garçon. Ces jours d'ignorance, ces visages volontairement fermés voire dédaigneux, cette absence de dialogue qui aurait pu mener au pire. Il se devait de mettre un terme à cela, quitte à tirer un trait sur sa fierté et à se mettre à nu. La gorge nouée malgré son indifférence presque nonchalante, il reprit :

—J'ai été idiot. Ce que je t'ai dit la fois dernière, tout ce que j'ai pu dire depuis que nous nous sommes rencontrés... je n'ai fait que répéter ce que l'on m'avait inculqué. Ce que mon père me répétait enfant, jour après jour, d'heure en heure, jusqu'à ce que l'idée soit mienne. Je ne le réalisais pas, à l'époque. Il n'y avait que Blaise pour s'en insurger, pour dire tout bas l'injustice dans lequel je grandissais. Il était le seul à comprendre. Le seul.

Draco pouvait sentir qu'il détenait l'entière attention de son auditoire. L'homme qui le constituait buvait avidement ses paroles. Il s'était même approché d'un pas, dépassant le seuil de la pièce pour s'y inviter, pour heurter l'espace que l'autre s'était approprié. Ce dernier poursuivit, après un bref silence ponctué d'un sourire, de l'ébauche d'un sourire peiné :

—Je crois que si je n'avais jamais mis les pieds ici, je n'aurais jamais compris l'étendue de mon erreur. Je serais resté comme mon père toute ma vie, sans voir plus loin que ses beaux discours. Merci de me l'avoir fait comprendre, Pot- Harry !

—Tu l'aurais peut-être compris seul, releva le susnommé, pour la forme. Blaise s'en serait chargé à ma place.

—Si tu n'avais pas été sur mon chemin, Blaise ne serait plus là pour m'empêcher de foncer dans le mur, rétorqua Draco, un sourire dans la voix.

Harry finit par mettre un terme à la distance raisonnable qui les séparait. Il rejoignit son interlocuteur devant la fenêtre, jetant un rapide coup d'œil entre les rideaux tirés. La rue était déserte et le couvre-feu, certainement passé. Il soupira lourdement. Les réverbères diffusaient une lumière trouble que l'encre de la nuit menaçait de dévorer ces derniers faisceaux. Il observait ce spectacle immobile de longues secondes durant, comme pour y puiser l'inspiration des prochaines paroles.

Le regard de Draco caressa la courbe du visage de son cadet. Son profil parfait était accompagné des éternelles lunettes noires. L'air sérieux que ce détail aurait pu lui octroyer offrait le contraste avec la détermination de ses orbes et ses mèches désordonnées. Lui aussi était beau, d'une beauté différente de la sienne, un de ces mystères du monde qui se présentait aux Hommes. Un bijou rare que la Terre aurait conservé entre ses entrailles jusqu'à ce jour.

—Je n'ai jamais connu mes parents.

Cette phrase paralysa le blond qui n'eut pas le loisir de se maudire pour son manque de tact, Harry continua, avec une étrange gravité :

—Je ne sais pas si j'aurais haï mon père pour ses idées, ou si j'en aurais été fier. Ils sont morts un an après ma naissance. Un accident de la route, tout ce qu'il y a de plus banal, mais ça ne pardonne pas. J'ai été confié à la sœur de ma mère plutôt qu'à un orphelinat et, parfois, je me dis que ça aurait sans doute mieux valu.

—Pourquoi ?

—Mon oncle et ma tante n'étaient pas le genre de parents aimants. J'avais beau être tout ce qui restait de sa sœur, Pétunia ne m'a jamais considéré comme tel. Ma mère n'était qu'une ratée à ses yeux, une femme aveugle et idéaliste. C'était une artiste, comme mon père. Elle était peintre, et mon père était son professeur dans une grande école d'art à Paris. C'est là-bas qu'ils se sont rencontrés. Une histoire d'amour digne des films romantiques.

—La fille de bonne famille qui tombe amoureuse du voyou, ou l'inverse, souligna Draco, incapable d'empêcher le dégoût de se mêler à sa voix.

—Non, la belle étrangère qui quitte le foyer pour vivre de sa passion. Ses parents n'ont jamais vu ça d'un bon œil, et sa sœur non plus. Ma tante Pétunia a aussi quitté son Irlande natale mais des années plus tard et pour y rencontrer Vernon Dursley. Tellement plus acceptable que ce James Potter, ce débauché, ce raté.

Harry se confiait librement, comme s'il était le seul destinataire de ces paroles abandonnées là. Comme si un homme ne dévorait pas chacun de ses mots avec une avidité toute trouvée. Jamais il n'avait partagé cette histoire, pas dans ses moindres détails en tout cas. Pas sur un ton aussi dévoué que celui qu'il empruntait en cet instant. Les mains crispées sur le rebord de la fenêtre, il ne trouvait pas la force de tenir ce discours en regardant son interlocuteur bien en face. Il fuyait la moindre trace de jugement, ne cherchait qu'à expliquer une naissance que les nazis maudissaient. Une justification mal venue, en quelque sorte.

—Ils sont morts jeunes. Très jeunes. Je n'avais qu'un an et j'ai été confié à cette famille bien rangée, vivant dans une petite bourgade proche de Belfort. J'y ai été élevé avec leur fils unique, Dudley. Je ne saurais pas le décrire précisément. Un porc aurait plus de manière que lui et ses parents lui offraient tout ce qu'il voulait, chaque petit caprice.

—Comment es-tu arrivé jusqu'à Strasbourg ? l'interrogea Draco, la mine soucieuse.

—Ils m'ont mis à la porte. Je venais d'avoir dix-huit ans, ils ont dû juger qu'ils pouvaient se débarrasser de moi sans avoir à rougir. Après tout, jamais ils ne m'avaient considéré comme l'égal de leur fils. Dudley avait toujours été le fils gâté, le fils chéri.

L'animosité d'Harry n'était pas feinte, il se perdait dans des détails ridicules mais qui le révoltaient profondément. Son cousin avait été choyé depuis aussi longtemps que remontaient ses souvenirs. Recouvert de cadeaux, il n'avait jamais manqué de rien. Tout le contraire du jeune juif qui n'avait pas eu la chance d'accéder aux mêmes conditions de vie. Il se souvenait sans mal des privations, des journées sans accéder à la moindre trace de nourriture, aux coups parfois, et à tout ce qui avait constitué son quotidien durant près de dix-huit ans. Jamais il ne saurait l'oublier !

—J'étais seul. J'ai eu de la chance de croiser la route d'un garçon. Il m'a emmené en Alsace où une fille l'attendait. Une amie, me disait-il à l'époque. C'était Hermione, et elle nous a accueillis les bras ouverts. C'est grâce à son père et à elle que je peux apprendre le métier de médecin. La suite, tu la connais déjà. Le début de la guerre, votre arrivée et l'annexion,...

—Oui, évidemment que je connais cette partie de l'histoire, tempéra Draco, d'une voix lointaine.

Il sourcilla. Comme entendre le récit de ces événements était étrange ! Il n'avait jamais imaginé un passé à ce garçon, il n'y avait même jamais songé. Il avait le sentiment d'apercevoir son homologue sous un autre jour, y décelant l'humain qu'il n'avait jamais souhaité voir. Il pouvait observer, du coin de l'œil, cet éclat d'humanité intact et bouleversante de beauté. Ils étaient si proches que l'aristocrate n'avait qu'à transférer le poids de son corps à gauche pour toucher l'épaule de son vis-à-vis. Une proximité vengeresse qui narguait la faiblesse du blond.

Harry soupira, rabattant complètement les rideaux pour réduire à néant toute tentation. Son regard s'attarda sur les motifs brodés du tissu avant qu'il n'affirme, avec peine :

—Tout ça pour que cette guerre me prenne tout. Quel gâchis !

—Tu es encore en vie, souleva Draco, sagement.

—Pour combien de temps encore ?

L'Allemand déglutit. Une gifle aurait sans doute été moins douloureuse. Combien de temps survivraient-ils encore ? Combien de temps avant la Mort vienne à s'éprendre de leur misérable condition humaine ? Cette soudaine idée le paralysa alors qu'il rétorquait :

—Tu ne vas pas mourir, Potter.

—Harry. Et qu'en sais-tu ? Je pourrais bien mourir demain.

—Je te l'interdis formellement.

—Tu m'interdis de mourir ?

—Oui, tu n'en as pas le droit.

Cette joute verbale aurait dû attiser l'amusement, un fou rire peut-être même. Mais rien de toutes ces joyeusetés ne vint. Le regard d'Harry croisa celui de son interlocuteur. Une œillade électrique qui s'éternisa longuement. Les paroles n'avaient plus aucune mesure désormais, seuls comptaient leurs souffles, leurs corps que l'air statufiait. Cet amas de chairs et d'os qui s'appelaient, qui quémandaient un privilège pourtant interdit.

Le juif tendit la main pour effleurer délicatement les stigmates violacés qui couvraient le visage angélique. Le contact était léger, presque rêvé, mais ils s'en contentèrent un long moment. Pas un mot, pas un mouvement de plus, juste un battement de cœur.

Puis, Draco abandonna la lutte. Il captura les lèvres tentatrices dans un baiser prodigieux et salvateur.




L'acte II de cette joute verbale plutôt animée entre nos deux protagonistes. Harry y développe son enfance et tous les événements qui l'a mené jusqu'en Alsace. J'avais hâte de m'étendre un peu sur le sujet, et j'espère que ça vous aura renseigné sur le background que j'ai imaginé au personnage. J'ai volontairement fait écho à des passages inventés par Rowling afin de conserver un parallèle avec l'oeuvre originale :3

Voilà, voilà. Dans une dizaine de chapitres (soit une vingtaine de parties), nous arriverons à la fin de la première partie de cette fanfiction. Eh oui, uniquement la première partie !

Belle et agréable semaine à vous !

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